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28 mars 2008 5 28 /03 /mars /2008 18:35

Cercle des chamailleurs

 

21/02/2008

 

 

« L’impensé de la démocratie. Tocqueville. La citoyenneté. La religion »  

Agnès Antoine, Fayard, 2003, 410 p

 

(Troisieme partie)

 

presentation par paul

 

 

Le dialogue de T avec Rousseau et Condorcet

La Révolution doit être poursuivie. A partir de la période féodale, mouvement de « nivellement universel » appauvrit les riches et enrichit les pauvres.

L’homme démocratique, héritier de Descartes, refuse autorité et tradition et fonde ses certitudes par sa seule raison. Il applique la méthode scientifique à la connaissance du monde augmentant son bien-être ; croit à l’égalité entre les hommes ; fait confiance à la rationalité de la démocratie, lui demande d’élargir les droits ; souhaite l’étendre au reste de l’univers, se méfie des croyances religieuses ; voit le salut dans la perfectibilité indéfinie de l’esprit.

Condorcet, l’humanité affranchie de ses chaînes marche « d’un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur ». La religion invention de quelques-uns pour s’élever au dessus des autres. Se résume par un pouvoir destructeur de la faculté rationnelle de l’homme. Synonyme d’intolérance. Il condamne l’utilisation de la religion aux fins politiques.

JJR et T. refusent d’assimiler raison, vertu et liberté. La marche de l’humanité démocratique paraît plus incertaine. Pour T., l’idée d’une raison maîtresse de soi et du réel est un mythe, désir de toute puissance qui sous-tend la passion d’égalité. Préjugé, dogme et autorité se reconstituent sans cesse et la raison démocratique en est dupe. Le destin de l’homme n’est pas d’aller toujours plus vers le bien-être.

La liberté plus que la raison fait la grandeur de l’homme. Elle est toujours à gagner Responsabilité vis-à-vis de lui-même, à l’égard des autres hommes, du monde et de son avenir. C’est la disjonction du cœur et de la raison qui fait descendre « au dessous du niveau de l’humanité ». N’avoir d’autre maître que la raison entraîne un risque de déshumanisation. Il faut que la raison n’inhibe pas le cœur « l’instinct raisonné », l’instinct religieux.

Il faut reconnaître les potentialités de la nature et chercher à les développer. L’imagination humaine a produit nombre « d’absurdités religieuses » et la religion s’est souvent fourvoyée dans le pouvoir : cela n’invalide pas l’existence d’un instinct religieux.

La dialectique tocquevillienne

L’homme « est un monstre incompréhensible » tension entre ce qui le relie aux êtres vivants et ce qui fait de lui un être qui sait qu’il existe, entre le monde des sens et le monde de la conscience, entre les dimensions matérielle et immatérielle de l’existence. Tension que la philosophie et la religion ont conceptualisé dans l’opposition matière/esprit, corps/âme, passion/raison, sensible/intelligible, visible/invisible, fini/infini, ici-bas/au-delà… Cela renvoie au péché originel : la nature unifiée de la créature a fait place à une nature déchue dans laquelle prévaut une volonté égoïste mais où demeure l’aspiration de l’âme à sa destiné originelle.

La misère de l’homme est dans son enlisement matériel, sa « grandeur » dans la capacité à prendre en main sa destinée individuelle et à participer à l’élaboration de l’histoire collective : la grandeur du croyant qui cherche à vivre « selon l’esprit », la grandeur du citoyen qui cherche à vivre « suivant l’homme ».

L’Etat aristocratique s’appuie sur le passionnel, conduit à créer une culture régie par la sublimation et l’idéalisation des instincts ; l’état démocratique fondé sur la domination de la raison aboutit à une culture de la satisfaction du corps. L’art politique est d’instaurer un équilibre entre dimensions matérielles et spirituelles de la société

La société aristocratique s’est élancée trop haut, oubliant le reste des hommes. La société démocratique a pris en compte l’ensemble des êtres humains mais préoccupée surtout du bien-être, ne constitue pas une véritable humanité. Il faut la dimension civique.

Le monothéisme est adapté à la condition démocratique, il consolide le dogme égalitaire. Mais la Révolution est d’abord une transformation sociale et politique, conduisant, providentiellement, à ce qu’il y a de plus naturel en fait de société et de gouvernement mais non à une religion politique. Une telle religion ne peut que menacer la liberté. Le messianisme séculier n’est jamais éloigné du despotisme. Confusion des ordres métaphysique et politique aboutit à la sacralisation de l’Etat au détriment de la liberté.

L’ essence du socialisme, c’est considérer l’action de l’Etat comme première et mettre l’ensemble de la vie sociale sous son autorité. Il condamne non l’Etat comme moyen de gouvernement mais sa sacralisation, confiance illimitée dans l’Etat et fascination pour le point de vue majoritaire. Le socialisme est incapable de penser ensemble liberté et égalité. Trahit la vocation métaphysique de la démocratie : permettre l’égale liberté de hommes. Rendre la société plus fraternelle, c’est appliquer la charité chrétienne à la politique.

Dieu a fait le pari de la liberté et a confié le monde à l’interdépendance et à la dynamique créatrice de la multitude des volontés individuelles. La démocratie est vraiment providentielle.

L’Amérique, vivant symbole

La démocratie américaine est un « complément de la création ». Le sol américain est l’espace symbolique où l’humanité peut à nouveau inventer un mode de vivre ensemble mais en court-circuitant le passage par l’état aristocratique lié à l’inégalité de la propriété terrienne. L’Amérique apparaît comme une terre supplémentaire. Elle déplace les frontières du monde que l’Europe croyait avoir atteintes. Métaphysiquement, en tant qu’espace de la démocratie, elle brise celles qui avaient été mises à la liberté humaine et lui offre comme aux premiers jours une terre « féconde et inépuisable ».

L’indien, le pionnier, l’esclave montrent les possibles de la liberté dans l’espace métaphysique du régime de l’égalité, à l’intérieur de chaque homme. « L’esclave ne peut apprendre à être libre, l’Indien à donner des bornes à sa liberté ». La faute qui guette l’homme démocratique est de s’endormir dans les charmes de la vie bourgeoise et d’oublier sa condition de citoyen, c’est de ne faire qu’un usage privé de sa liberté. « La vertu, c’est le choix libre de ce qui est bien ». La liberté a une dimension quasi religieuse. Les conditionnements sociaux, culturels sont importants mais la liberté malgré sa fragilité et ses limites reste appelée à grandir et avec elle la responsabilité de l’homme à l’égard de son destin.

L’éthique de la démocratie, la liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui et la liberté de participer à l’élaboration du destin collectif. Habitué à rechercher les plaisirs matériels, l’homme finit par faire un usage trop limité de sa capacité de jugement, d’influer sur son sort et sur celui de la collectivité, l’âme devient servile.

La philosophie de T au carrefour de l’humanisme républicain et du christianisme. La liberté politique dimension propre à l’être humain fait sa grandeur. Souci d’éducation au bon usage de la liberté démocratique en vue du salut, d’abord terrestre. C’est par l’exercice renforcé de la liberté politique qu’il est possible de corriger les abus de la liberté individuelle.

La création démocratique

Deux formes de servitude nées du narcissisme démocratique : dans l’une, la Cité est dissoute, l’individu est exalté, il n’y a plus de projet commun, au nom de la préservation des intérêts privés, la loi du plus fort l’emporte, c’est le libéralisme mal entendu ; dans l’autre, l’Etat omniprésent se substitue à l’initiative des individus et accapare leur liberté, doctrine « socialiste ». Dans les deux cas, l’individu refuse la liberté authentique.

Ce qui inquiète T, plus que l’homogénéisation de la grande famille de l’humanité par delà classes, nations, races c’est le fait que la société démocratique ignore la dimension spirituelle de l’égalité, n’a pas encore clairement opté pour ce qu’il appelle la « civilisation ».

Que le Père se soit retiré laissant ses fils achever librement l’oeuvre de création, signifie que c’est à l’homme désormais de veiller par ses moyens à ordonner l’univers. Par la Démocratie, Dieu veut continuer son œuvre de création. A la différence des philosophes rationalistes, il ne décrète pas la mort du Père, il le met entre parenthèse.

L’homme selon T est ce curieux être qui a besoin de vivre comme l‘animal et a besoin de savoir pourquoi exister sans quoi il ne trouve pas le bonheur. La marche de l’humanité est une quête sans cesse renouvelée de sens et de lumières.

Des hommes ont compris que les libertés qui leur sont reconnues impliquent de prendre une part active au choix de la direction que prendra le groupe humain et à son gouvernement, cherchent à discerner le sens à prendre dans le dialogue avec leurs semblables, ils avancent singulièrement mais, à travers différentes formes d’association, toujours vers l’horizon du bien commun et l’espérance que les chemins des hommes de bonne volonté, au-delà de leur diversité, vont vers les mêmes terres.

 

CONCLUSION

La conscience moderne est rationnelle et même rationaliste, convaincue de la supériorité de la rationalité. Elle prétend considérer la question de l’utile en évacuant le problème du juste, substituer la science aux croyances, la recherche du bien-être matériel à celle de la vertu. Disjonction de la raison et du cœur, cantonné au seul domaine de la vie privée.

L’homme que dessine T est un être de désir et de liberté, de liberté désirante avant d’être un être de raison. La philosophie des Lumières a reconnu cette vérité. Elle a défini l’homme comme être de raison et de liberté, en confondant les deux dimensions, comme si le régime de raison garantissait à lui seul la liberté humaine. La capacité universalisante, généralisatrice de la raison n’induit pas d’emblée la liberté morale c'est-à-dire une liberté qui a intégré l’existence d’autrui. En n’atteignant pas l’amour de l’humanité, l’homme selon T manque sa propre humanité tandis que la démocratie perd sa raison d’être.

La critique de T vise la philosophie matérialiste des Lumières et, par la mise en cause de la raison abstraite, apporte « sa contribution à la critique de l’économie politique » qui lui est liée et à la prétendue civilisation qu’elle instaure fondée sur la domestication des forces de la nature.

Du point de vue de T, si le domaine des choses inconnaissables disparaît de l’espace culturel du seul fait qu’elles sont inconnaissables, une grave lésion est faite à l’humanité, privée de ressources spirituelles les plus nécessaires à son existence et interdite d’une possibilité d’expression d’un de ses besoins le plus essentiels, le besoin de sens, au moment où ce dernier devient problématique.

L’instinct religieux est une réalité psychologique à part entière quelle que soit l’interprétation qu’on en donne. La misère existentielle de l’individu démocratique naturel ou de l’Etat social, apporte une sorte de preuve socio-historique de l’irréductibilité du fait religieux et de la nécessité de sa présence dans l’espace culturel des humains. Si l’homme majeur a fait le deuil de la présence objective de Dieu dans le monde, il lui faut maintenir néanmoins l’horizon de cette transcendance dans la cité terrestre. Le Dieu de T. empêche l’homme et la société démocratiques de s’enfermer sur eux-mêmes. Le pouvoir démocratique doit veiller à ce que la question métaphysique demeure ouverte et problématique, sous peine de dépérir lui-même.

L’homme démocratique, en dépit de sa rationalité peine à penser la complexité. Il préfère les idées simples fussent-elles fausses à la vérité dialectique. L’opposition matérialisme/ spiritualisme est un refuge commode pour l’intelligence. Sans doute aussi parce qu’il se méfie des concepts qui ont une histoire liée à la pensée religieuse. Mais sous prétexte d’éviter le dualisme entre terre et ciel, il le reconduit posant la matérialité du désir contre l’idéal ou inversement l’abstraction de la raison contre le corps.

La science politique nouvelle est un art de la dialectique. Elle vise à faire jouer la relation entre individu et société, esprit et matière, liberté et autorité, croyance et certitude, foi et philosophie, et à éviter tant leur disjonction que leur conjonction, refusant la liberté privée sans la liberté de participation, une religion qui se dissoudrait dans la raison ou se séparerait complètement d’elle, l’idéal philosophique des Lumières sans sa correction romantique, un christianisme protestantisé qui oublierait la dimension catholique, l’action sans la contemplation, l’homme sans la femme.

L’exercice de la liberté politique est un acte par lequel l’être de désir qu’est l’homme passe de l’existence à l’essence et devient un véritable sujet. Il y a interdépendance profonde entre la vocation de la démocratie et celle de l’être humain : produite par les hommes, la démocratie a, paradoxalement, la charge de la personne humaine et elle ne peut se permettre cette construction de soi qu’en ne se contentant pas de décréter abstraitement l’égalité mais en lui donnant un espace vivant où s’incarner. De rationnelle, elle doit se faire sensible.

T libéral d’une espèce nouvelle affirme que ce n’est pas tellement la liberté politique qu’il a cherché à défendre que le progrès de l’esprit humain. Il propose par sa réflexion morale sur la liberté, une philosophie du sens de la vie et le projet d’une démocratie humaine.

La philosophie humaniste de T est d’inspiration chrétienne, un humanisme de la frontière qui, à partir d’une foi réaffirmée en l’homme offre deux niveaux de lecture, laïque et théologique. Sa tâche consiste d’abord à faire de la communauté des hommes un objet d’amour. Se situe à l’intersection de la tradition de l’humanisme chrétien et de l’humanisme républicain, ouvre la voie à un nouvel humanisme, pluriel, qui donnerait à l’homme moderne l’entière liberté d’interpréter son existence, sans pourtant renoncer à l‘exigence de bien commun ni même à l’espérance d’un ciel absolu.

 

Discussion

La discussion qui a suivi l’exposé de Paul a été relativement chaotique, sans doute en raison de la richesse du livre comme on peut en juger d’après le résumé précédent.

Les relations de Tocqueville avec la religion font immédiatement penser aux positions récemment affichées par Nicolas Sarkosy lors de ses discours au Latran et à Riyad sur l’importance de la religion et sa supériorité sur les valeurs laïques :

-         « L’instinct religieux est constitutif de la nature humaine »

-         « Il n’y a qu’elles (la liberté et la religion) pour soulever les hommes au-dessus du bourbier où l’égalité démocratique les plonge… »

 

La Constitution américaine insiste sur la liberté religieuse et ceci s’explique sans doute par le fait qu’il existe de nombreuses religions aux USA et qu’il n’y a pas eu de véritable aristocratie ni une religion imposée, contrairement à ce qui s’est passé en France et dans la plupart des autres pays européens.

 

Lors de la Révolution française, on relève une sorte de contradiction (en 1793 et 1794) entre la lutte contre la religion dominante (la religion catholique) et les religieux en général et l’institution du « Culte de l’Etre Suprême », c’est-à-dire la reconnaissance d’une transcendance opposée à la Raison ? Il y a d’ailleurs eu également, à la même époque, un « Culte de la Raison » !

Le Culte de l’Etre Suprême était de promouvoir un certain nombre de valeurs et, sans doute, de combler le manque dû à l’éviction de la religion catholique afin d’éviter le risque de son retour.

Il y avait d’ailleurs des conflits importants à ce sujet entre Robespierre, qui était déiste, et les ultra-révolutionnaires.

 

Peut-on expliquer en quoi, d’après Tocqueville, égalité et liberté sont interdépendantes ?

La réponse donnée est qu’il s’agit de deux valeurs « quantitatives » et qui fonctionnent de façon complémentaire. C’est pourquoi il ne peut y avoir d’égalité sans liberté et inversement, explication qui nous laisse sur notre faim !

 

Une autre notion essentielle a été soulignée lors de la discussion : c’est qu’il est nécessaire de préserver le droit de dire non !

 

 

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28 mars 2008 5 28 /03 /mars /2008 18:22

Cercle des chamailleurs

 

21/02/2008

 

 

« L’impensé de la démocratie. Tocqueville. La citoyenneté. La religion »  

Agnès Antoine, Fayard, 2003, 410 p

 

(Deuxieme partie)

 

presentation par paul

 

 

Les convictions religieuses de T.

 

T. perd la foi à 16 ans. Le doute « se précipita avec une violence inouïe, le doute universel ». La « mélancolie la plus noire », le « dégoût » et le « désespoir ».

Le bon sens conduit « à la croyance d’une cause première », « évidente et inconcevable », « à des lois fixes que le monde physique laisse voir et qu’il faut imposer dans le monde moral, à la providence de Dieu par conséquent à sa justice, » « à la responsabilité des actions de l’homme auquel on a permis de connaître qu’il y a un bien et un mal et par conséquent à une autre vie ».

«  Si l’on appliquait sincèrement à la recherche de la vrai religion la méthode philosophique, je pense qu’on arriverait au christianisme aussi bien par la raison que par le foi ». Il dessine une religion du Père, peine à en faire un dieu personnel, le Christ grand absent.

 

 

DEMOCRATIE ET RELIGION

La révolution démocratique exclut la religion du principe de fondement de la société, non des possibilités de sens de l’existence, cela ne signifie pas la fin du religieux mais l’autonomie de la raison humaine.

            La cité de la terre régie par « l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu », celle de Dieu mue « par l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi » (Augustin). Concurrence entre l’homme et Dieu, source de dissension entre les humains. Pour sauver la cité des hommes, il faut tourner ses regards vers la terre et, à défaut d’effacer ce ciel indispensable à l’homme, faire en sorte que la cité politique soit première. Après quoi, la religion, institution humaine qui règle les rapports entre l’homme et le divin, pourra se révéler utile au bon fonctionnement de la cité.

Il n’y a pas une cité en trop. L’erreur des Modernes est de croire que la croissance de l’un entraîne le déclin de l’autre. Il faut faire travailler ensemble la liberté et la religion. Il n’y a qu’elles pour « soulever les hommes au dessus du bourbier où l’égalité démocratique les plonge naturellement lorsque l’un de ces deux leur manque ».

Universalité du fait religieux

« J’avais vu parmi nous l’esprit de religion et l’esprit de liberté marcher presque toujours en sens contraire. Ici je les retrouvais intimement liés l’un à l’autre ». Tel est le défi américain à l’encontre de la réalité française et des théories philosophiques des Lumières. La démocratie américaine a combiné « religion et liberté », les Français, pour obtenir la liberté, ont dû combattre la religion.

L’instinct religieux constitutif de la nature humaine, lié à la conscience de sa finitude. Seul entre tous les êtres, l’homme souhaite l’immortalité. La religion, «forme particulière de l’espérance », « aussi naturelle au cœur de l’homme que l’espérance », prend en charge ce besoin de l’âme. Il arrive que les hommes s’éloignent des choses religieuses mais la religion est de l’ordre du coeur et le coeur a des raisons...

La séparation du temporel et du spirituel donne sa véritable autorité à la religion. Il y a une différence de nature entre la dimension mondaine du pouvoir temporel et les objectifs extra mondains de la religion. La Révolution s’est faite contre la religion, institution qui légitimait la royauté. Dans l’union fondée sur l’intérêt, la religion se discrédite. Le cas américain est l’idéal type d’une société démocratique où la religion a été préservée par une séparation précoce d’avec le politique permettant leur coopération. La séparation du religieux et du politique est absolument nécessaire et leur disjonction est absolument mortifère.

Religion et émancipation politique » : La religion répond à un manque (Marx) auquel l’Etat ne sait répondre (T) : l’émancipation politique ne saurait accomplir véritablement l’émancipation de l’homme.

La recherche de la vérité

L’avènement démocratique est un fait métaphysique. La conception religieuse d’une vérité une et divine ne peut plus s’imposer à une société libre et souveraine. L’homme démocratique est cartésien, puise ses opinions en lui-même, soumet tout au libre examen, applique la méthode expérimentale à l’ensemble du réel. Le nouveau mode de fonctionnement politique, système électif et principe majoritaire, oblige à débattre du mode de constitution de la vérité. Mais aucune société ne peut vivre sans croyances communes, « que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter ». Sans préjugés, mais n’échappe pas au préjugé démocratique : ensemble de croyances, autour du mythe fondateur, la pleine souveraineté de la raison. Ce dogme, loin d’être soumis aux règles d’examen critique, fonctionne sur le mode religieux, de l’ordre d’une foi aveugle. Ce type de croyance est nécessaire à l’individu, toujours dépendant d’un savoir transmis qu’il doit d’abord croire avant de pouvoir les vérifier.

Utilité de la religion

« L’homme n’agit que parce qu’il croit » (Lamennais) et par ce qu’il croit. La religion « tout ce que l’homme admet sans discuter» identifiée à autorité ; philosophie « tout ce que l’homme découvre par l’effort individuel de sa raison » à liberté. L’absence de tout point de repère stable peut conduire des esprits insécurisés à se tourner vers des formes d’autorité. « Ne pouvant plus reprendre leurs anciennes croyances, ils se donnent un maître ». L’homme démocratique a tout intérêt à s’appuyer dans un premier temps sur les croyances religieuses. Peu importe qu’elles soient vraies ou non.

Si les croyances religieuses offrent un avantage en régime démocratique, c’est qu’elles sont de nature différente. La religion répond aux fins dernières, laisse à l’esprit « la force et le loisir de se porter avec calme et énergie dans tout l’espace qu’elle lui abandonne ».

La religion dans la société démocratique

1ère étape de la conscience : « L’homme croit fermement parce qu’il adopte sans approfondir. ». L’instinct religieux est naturel, les croyances religieuses se développent.

2ème étape : L’intelligence critique, les idées nouvelles ébranlent les croyances y compris religieuses. Doute universel. Etape nécessaire à la croissance de l’homme qui risque de s’y arrêter. Les Lumières ont tout renversé dans le domaine métaphysique, n’ont répandu que des doctrines négatives.

3ème étape : Convictions réfléchies nées de la science. L’homme dépasse ses doutes. Il peut, après expérience, à nouveau croire. Ce stade est rarement atteint. Les hommes s’en tiennent soit aux croyances reçues, soit aux mythes de la raison tout en suivant l’opinion.

Dans la société démocratique, il y a :

-          Ceux qui se fient aux certitudes de la raison et ont oublié l’instinct naturel qui est en eux. Capables de tolérer l’existence du religieux et d’en saisir le bénéfice pour la société.

-          Ceux qui ont su garder la foi, peuvent vivre avec leurs contemporains agnostiques dans une estime réciproque.

-          La masse que le sentiment religieux n’abandonne jamais.

o       Dans un milieu non hostile, ils se tournent vers les religions instituées.

o       Si domine un esprit antireligieux, comme en France, ils sont conduits à jouer la raison contre le sentiment religieux.

Rôle dématérialisant de la religion

L’individu démocratique a la passion des jouissances et le cœur inquiet. La solution consiste à équilibrer les tendances matérialistes de la démocratie par des éléments spirituels, pour le bienfait de l’individu et de la société. L’homme n’est ni pur esprit, ni pur animal mais un mixte étrange doué de liberté. Le matérialisme, est une « maladie dangereuse de l’esprit humain », surtout en démocratie. Il tire l’homme vers l’animalité. Pour perfectionner la démocratie, il faut « soulever les âmes et les tenir dressées vers le ciel ». Toute forme de spiritualisme a la même valeur.

Religion et goût de l’avenir.

L’homme démocratique vit dans le présent. Si s’ajoute l’agnosticisme, « il semble que du moment où ils désespèrent de vivre une éternité, ils sont disposés à agir comme s’ils ne devaient exister qu’un seul jour ». Les religions, croire en une autre vie, accoutume à  ne pas toucher immédiatement le but. La religion, foi en l’avenir, nourrit l’espérance de l’homme, le rend capable de réfléchir sur le long terme. Avec la religion la société a un ciel mais aussi un horizon.

Critères de la religion d’un peuple libre

1 – Séparation de l’église et de l’Etat ; « En voulant étendre leur pouvoir plus loin que les matières religieuses, elles risquent de n’être plus crues en aucune matière ». Les questions morales au croisement du politique et du religieux.

2 – Monothéismes en harmonie avec la culture égalitaire. Dans le cas américain, la religion a su revêtir un habit démocratique.

 

 

Démocratie et christianisme

De la religion à la civilisation : «Il faut ou que la croyance cède devant la civilisation ou que la civilisation s’arrête devant la croyance ». La grande supériorité du christianisme est la séparation du spirituel et du temporel. Que les démocrates français aient été antireligieux, constitue, s’explique par l’absence de fidélité de l’Eglise à la doctrine de son fondateur.

Christianisme et genèse de la modernité

Le christianisme, plus favorable à l’égalité, fait abstraction de ce qui est particulier à un peuple, à une race, à une forme de gouvernement, à un état social, à un lieu, à un temps. L’universalisme chrétien rejoint l’universalisme de l’instinct religieux. Le christianisme est à l’origine d’une certaine conception de la liberté moderne. Rendre à César… trop révolutionnaire pour être immédiatement appliqué. Lie l’amour de Dieu à celui du prochain et crée le devoir de fraternité. Met l’homme au centre de ses préoccupations.

Reprenant les idées du monde grec, le christianisme en a fait une doctrine cohérente : « il mit dans un jour éclatant l’égalité, l’unité, la fraternité humaine ».

La morale moderne développe 2 idées du christianisme : « Le droit égal de tous aux biens de ce monde, le devoir de ceux qui ont plus de venir au secours de ceux qui ont moins ». Egalité, solidarité, peu à peu inscrites dans l’existence humaine alors que le christianisme les cantonnait  au plan moral. La charité privée et devenue publique.

Le chrétien et le citoyen

La vocation de l’homme est d’atteindre la cité « céleste » mais sa vie se déroule dans le monde et dans l’histoire. Le chrétien doit se servir des biens de ce monde sans se laisser détourner de son but principal. Il approuve tout ce qui sert la paix terrestre mais doit plus respecter l’ordre temporel que l’améliorer.

A la Renaissance, la vertu est la recherche du bien public (Machiavel), le politique a intérêt à s’appuyer sur la crainte divine. L’humilité chrétienne trop contraire à la gloire nécessaire aux grands dévouements patriotiques. Pour JJR, la religion nécessaire à la formation des citoyens, faire aimer les devoirs aux membres de la cité. Le christianisme ne peut remplir ce rôle car détache des réalités terrestres. « Les chrétiens sont faits pour être esclaves ». Une religion nationale inciterait à l’amour des lois mais elle a le défaut d’être agressive envers les autres peuples.

Pour T. la citoyenneté est une extension du devoir d’aimer le prochain.

Catholicisme, protestantisme et esprit démocratique

Pour les traditionalistes, le protestantisme a mené au désastre révolutionnaire. Pour les libéraux, il est source de tous les progrès de la civilisation moderne. Pour T., le catholicisme a, par sa dogmatique, la capacité maximale d’équilibrer l’esprit de libre examen de la démocratie. « Chez les catholiques, la société religieuse ne se compose que de deux éléments : le prêtre et le peuple. Le prêtre s’élève seul au dessus des fidèles ; tout est égal au dessous de lui ».

Affirmant que tous les hommes sont en état de trouver le chemin du ciel, la Réforme assure l’égalité religieuse et revendique pour l’esprit humain liberté et indépendance. Confiance plus grande que le catholicisme dans la raison et la sagesse humaines mais l’objectif demeure religieux. Il favorise les doctrines de la souveraineté du peuple, des gouvernements républicains. Les différents mixtes protestants vont trop dans le sens du rationalisme et risquent de condamner à l’enfermement dans le même. Combien de temps la religion « bien entendue » des Américains tiendra-t-elle ?

Compatibilité entre religion et démocratie.

De la pluralité des religions (chrétiennes), se dégage des principes qui unissent les Américains dans une même conscience collective, donnent appui à la liberté démocratique. La « religion civile » de JJR existe de fait. L’Etat a été institué pour garantir, entre autres, la liberté religieuse, non pour défendre les empiètements de la religion par une sacralité concurrente.

La France a manqué sa Réforme. Sous l’Ancien régime, le catholicisme religion officielle. Les Révolutionnaires convaincus de l’utilité du religieux ne peuvent s’appuyer ni sur la diversité, ni sur le catholicisme lié à l’Ancien régime. Par mimétisme de la sacralité du pouvoir catholique s’est construit le concept de souveraineté qui a légitimé le pouvoir absolu et nourrit l’imaginaire politique. Hésitation entre création d’une religion civile (catholicisme ennemi de la liberté d’où culte de l’être suprême 1793, morale républicaine 3ème République) et la transformation de la religion catholique pour servir de base à un credo politique (constitution civile du clergé 1790, Concordat 1802).

T., penseur de la liberté, hostile à la domination du politique sur le religieux et sur les esprits, tout comme à la création par l’Etat d’une religion civile ou même d’une morale commune. Il veut une séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le concordat garde l’Eglise dans la dépendance de l’Etat.

Face à une société spontanément matérialiste un rééquilibrage spiritualiste est nécessaire : la religion indépendante du pouvoir politique. Toutes les religions et toutes les formes de spiritualité peuvent jouer un rôle positif dans la vie de la cité. Pari d’un catholicisme épuré et démocratisé, réconciliation entre religion et liberté.

Le catholicisme libéral : Sur le plan économique et social, il est en accord avec certains catholiques, la démocratie, fille du christianisme, doit aboutir à un partage plus égalitaire des biens. Il reculera, après juin 1848, par peur du collectivisme, les temps ne sont pas mûrs pour des formes de solidarité « chrétienne ».

Le salut par la perfectibilité : Pour Condorcet, la croissance de l’esprit humain est une lutte contre le fanatisme religieux et le despotisme politique, expression de la volonté de domination de quelques hommes, prêtres et rois, se prêtant appui. La perfectibilité illimitée est l’assurance de la marche de l’humanité vers le bonheur. L’égalité est due au progrès de la raison prenant conscience d’elle-même. Dans une société dont le but est d’accroître le bien-être, l’économie prend le pas sur le politique – l’économie politique – et l’objectif du politique est l’extension rationnelle des droits, d’abord et avant tout ceux de la raison : l’instruction est fondamentale.

 

 

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28 mars 2008 5 28 /03 /mars /2008 18:20

Cercle des chamailleurs

 

21/02/2008

 

 

« L’impensé de la démocratie. Tocqueville. La citoyenneté. La religion »  

Agnès Antoine, Fayard, 2003, 410 p

 

(Premiere partie)

 

presentation par paul

 

TOCQUEVILLE : Taper Tocqueville sur Google, tout sauf religion
- Alexis Henri Charles Clérel, vicomte de Tocqueville
, né à Paris le 29 juillet 1805, mort à Cannes en 1859, fut un penseur politique, historien et écrivain français. Célèbre pour ses analyses de
la Révolution, de la démocratie américaine et de l'évolution des démocraties occidentales en général. Encensé par la droite française depuis Raymond Aron et François Furet, vilipendé par la gauche.
- Bibliographie : Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France (
1833), (avec la collaboration de Gustave de Beaumont), Quinze Jours dans le désert (1840), De la démocratie en Amérique, L'Ancien Régime et
la Révolution (1856).

française

Le sens de l’histoire :

L’égalité est pour T le ressort caché et le principe explicatif de l‘histoire humaine. « Lorsqu’on parcourt notre histoire, on ne rencontre pour ainsi dire pas de grands événements qui depuis 700 ans n’aient tourné au profit de l’égalité ». « Il n’est pas nécessaire que Dieu parle pour que nous découvrions les signes de sa volonté ; il suffit d’examiner quelle est la marche habituelle de la nature…». Combattre ce mouvement profond de l’Histoire comme le font les ennemis de la démocratie, c’est vouloir lutter contre Dieu.
Le travail du négatif ou l’utilité de l’âge aristocratique.

Pour T les idées sont premières mais les idées et les faits s’engendrent mutuellement. Beaucoup d’idées sont vieilles mais n’arrivent à prendre corps qu’à un moment et en un lieu donnés où elles sont clairement énoncées et adoptées par les contemporains. Il est inutile et dangereux de vouloir faire passer des idées dans la société, si elle n’est pas prête à les recevoir.

L’être humain désire des choses à partir des idées qu’il en a : « Quoi qu’on en dise, ce sont les idées qui remuent le monde et non d’aveugles besoins ». Il y a une science possible des conditionnements socio-historiques de l’humanité mais l’histoire est une invention perpétuellement renouvelée par les hommes.

La description scientifique des sociétés n’est pas incompatible avec un discours religieux qui estime que leur évolution vers l’égalité a une signification profonde, en partie mystérieuse, et pose un défi à la liberté humaine : le secret de l’origine et de la fin. Les lois naturelles de l’histoire font apparaître la Providence. « La Providence n’a créé le genre humain ni entièrement indépendant, ni tout à fait esclave. Elle trace…, autour de chaque homme, un cercle fatal dont il ne peut sortir : mais dans ces vastes limites, l’homme est puissant et libre ; ainsi des peuples ».

Le monde aristocratique

Au départ, les hommes sont égaux, soumis aux contraintes du vivre. Chacun est faible et borné et il est presque impossible de développer son intelligence. Si un homme réussit à le faire, il exploite cet avantage et crée une inégalité. « Si les peuples restent démocratiques, la civilisation ne saurait naître en leur sein, si elle y pénètre ils cessent d’être démocratiques ».

Dans le monde aristocratique, société inégalitaire, le lien hiérarchique entre les hommes est fort, il implique clarté, réciprocité des obligations morales et soumission à un ordre antérieur et extérieur, de nature divine. Chacun dans une lignée familiale, dans la même condition, dans le même lieu depuis des siècles.

La noblesse possède richesse et bien-être, de façon définitive, légitime. Elle ne méprise pas le travail mais le fait qu’il soit réalisé en vue d’un gain, qu’il soit lié à la nécessité, elle estime la tâche accomplie par vertu ou par désir de gloire.

L’étape aristocratique est indispensable pour passer de l’égalité spontanée à l’égalité consciente et réfléchie. Il fallait passer par la négation, l’inégalité aristocratique puis la négation de la négation, pour arriver à la vraie égalité. La société aristocratique, première élévation au dessus de l’animalité par un acte de pensée et de liberté. Le noble incarne les vertus héroïques et guerrières mais aussi les premiers développements de la pensée.

Le code moral de l’honneur permet de perpétuer la structure hiérarchique. Le noble doit faire sans cesse la démonstration de sa supériorité physique et morale ce qui pousse à l’extrême l’idée de grandeur et de puissance de l’homme. Toute la psychologie de l’homme noble orientée par sa volonté de montrer sa capacité au pouvoir, le souci du prestige, la recherche de l’exploit, l’orgueil du rang. S’attache à des fins de plus en plus immatérielles au point de risquer sa vie. Elle marque l’émergence de l’individualité. Volonté de puissance devient vertu.

Le bourgeois acquiert lumières et richesses par le commerce. Il accède au monde de l’intelligence et en accroît le domaine. La possession du savoir constitue la source de renversement de la légitimité. La noblesse perd son pouvoir et sa richesse mais garde ses droits tandis que le tiers progresse sans les mêmes honneurs. La bourgeoisie développe une fausse aristocratie de groupes repliés sur eux-mêmes « sans prendre part à la vie de tous », une sorte « d’individualisme collectif ».

Le paysan, « classe délaissée » n’a pas de place dans l’humanité de la fin de l’Ancien régime. Les progrès de la civilisation se font contre lui.

 Le pauvre et le riche n’ont presque plus rien de semblable. Il n’y a plus de compassion, la misère comme garantie contre la paresse. « Plusieurs humanités superposées, de sensibilité et de mode de pensée différents. » « Me de Sévigné ne concevait pas clairement ce que c’était que de souffrir quand on n’était pas gentilhomme. » Le pauvre n’envisage pas d’amélioration possible sur cette terre. Mais l’indifférence fait bientôt place à la haine et à la Révolution si une partie des classes supérieures s’allie avec les classes inférieures.

Dans les siècles aristocratiques, les historiens rapportent les événements à la volonté des « grands hommes ». Ils analysent les causes particulières au détriment des causes globales. Dans les conditions d’égalité, ils expliquent tout par des causes générales, sans influence individuelle.

 

La condition démocratique

« L’aristocratie : une longue chaîne du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part ». Mais les démocrates n’ont pas assez conscience des menaces venant de la démocratie.

La morale démocratique : Au-delà de l’amour de soi qui ne fonctionne innocemment qu’à l’état de nature, au-delà de l’amour propre de l’homme corrompu par une société fondée sur la force, le contrat social conduit à un amour raisonnable. Seule la participation à la vie de la cité peut éduquer les hommes démocratiques dans les sentiments raisonnés et aux vertus publiques. «  La tâche la plus difficile des gouvernements n’est point de gouverner mais d’instruire les hommes à se gouverner eux-mêmes »

En démocratie, la vertu est « l’amour de la république » (Montesquieu), « préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre ». Le propre de la démocratie est de considérer l‘humanité comme une.

Individualisme : Le monde démocratique, fondé sur l’égalité et la liberté des individus, les isole. L’individualisme : conséquence de l’égalité sociale et politique, chacun semblable aux autres, indépendant et souverain. Les hommes « déliés » souhaitent définir leur propre norme, indépendante, d’abord tournés vers eux-mêmes. Ils ont des préoccupations matérielles et travaillent prioritairement à des activités productives. Lorsque l’individu se retire dans la satisfaction de ses activités professionnelles, oublie sa participation à l’exercice de la souveraineté collective, sa liberté est menacée. Le système, même vraiment représentatif, aliène la souveraineté (T. et JJR, philosophie politique de la participation).

Matérialisme :

« La passion principale, l’amour, l’égalité ». Plus que la liberté bien que l‘idéal soit « les hommes seront parfaitement libres parce qu’ils seront tous entièrement égaux  et parfaitement égaux parce qu’ils seront entièrement libres ». La liberté demande des sacrifices et ses avantages, plus immatériels, n’apparaissent que lentement et en petit nombre. Tout le contraire de l’égalité, « passion ardente », insatiable.

Dans la société démocratique, chacun doit gagner sa place et espère la meilleure. La passion du bien-être et des richesses (« matérialisme ») caractérise l’homme démocratique.

Le rationalisme. L’homme juge par sa raison petites et grandes choses. Se défie de ce qu’il n’a pu vérifier, traditions, opinions, préjugés, dogmes et mystères. La marche de l’égalité, libre examen, met en cause toute autorité, du religieux (Réforme), de la philosophie/science (cartésianisme) et enfin du politique (Lumières).

Le « matérialisme » entraîne un goût de l’utile et la place centrale du travail. Produit du rationalisme, la division du travail sépare les hommes, du coté du corps ceux qui sont chargés de tâches spécialisées, dans la sphère de l’intelligence ceux qui dirigent. L’ouvrier est prisonnier d’une société qui le « matérialise ». Le maître n’a aucune idée de son existence réelle et ne songe qu’à s’en servir. Sous couvert d’égalité la logique aristocratique reprend le dessus.

Est beau, bien, vrai, ce qui favorise la vie des individus dans ce monde. Dans une société des égaux, l’argent est le principal facteur d’échange et l’étalon de différenciation sociale. Le travail au cœur de la condition démocratique et matérialiste.

Le malaise de l’individu moderne : Le drame de l’homme moderne : projeter un désir infini d’égalité dans un monde fini. La passion d’égalité ne fait que croître quand l’inégalité décroît. L’individu ne vit l’autre que dans la comparaison, la concurrence, l’insécurité. Suspecte le bien fondé du jugement d’autrui parce que ce dernier est son semblable, se fie aux affirmations du plus grand nombre. C’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde.

La souveraineté du peuple

            La souveraineté du peuple équivalent collectif de l’individualisme et du rationalisme. « la société agit par elle-même sur elle-même », le peuple « cause et la fin de toute chose ».

            En démocratie, la règle de la majorité donne une aura d’infaillibilité à la norme. Affirmation dangereuse pour la minorité qui dont avoir un droit de résistance au nom de la souveraineté du genre humain. Le mépris de la justice par la majorité doit être autant redouté que les infidélités des minorités à l’égard de la volonté générale.

La majorité qui impose sa pensée, mène à l’uniformisation, supprime la part originale des individus. L’individu démocratique trouve normal pour être plus efficace de concentrer le pouvoir, jalousie égalitaire oblige, dans un chef garantissant le jeu démocratique.

Orientation de la société

Le goût du bien-être oriente la société, valorise le progrès matériel, la science appliquée plus que la recherche. La science perd son caractère désintéressé, devient pratique, parfois théorique jamais métaphysique. La société démocratique finit par aimer la technique pour elle-même et perd de vue qu’elle n’a de sens que si elle apporte un surcroît de liberté. Elle est avant tout une société industrielle et commerciale qui permet des carrières lucratives vers lesquelles se tournent toutes les « passions énergiques ». Compétition et réussite deviennent des buts en eux-mêmes, culte collectif du record et de la rentabilité. Vision économiste de la société.

Une société sans histoire

Le commerce remplace la guerre (Montesquieu, Constant, Comte). Les peuples démocratiques hésitent à l’engager et ont du mal à la finir, ayant orienté toute leur activité industrielle et commerciale en ce sens.

La révolution, « la lutte des opprimés contre les oppresseurs », est au service de la liberté, elle a un caractère sacré. La société antirévolutionnaire a perdu l’énergie créatrice qui porte à la révolution. Les démocrates goûtent trop les acquis pour les mettre en péril, « non seulement les hommes des démocraties ne désirent pas les révolutions mais ils les craignent ».            Il n’y a plus de « races de pauvres », ni « de races de riches «  mais des individus désireux de s’élever ou de maintenir leur position. L’homme démocratique s’installe dans le conformisme majoritaire. Prêt à suivre le démagogue. Les petits désirs remplacent les désirs infinis.

 

LA SCIENCE NOUVELLE : FORMER DES CITOYENS

La société démocratique constitue un groupement de monades, citoyenneté ou religion permettent d’aller au-delà. « Sans idée commune, pas d’action commune et sans action commune il existe encore des hommes mais non un corps social ». Il faut que l’individu croie à son appartenance à la collectivité politique et à la nécessité de sa participation à l’élaboration de valeurs et de fins communes.

            De l’instruction à l’éducation

La raison, grandeur et misère de l’homme, instrument privilégié d’exploration du monde a des limites : « Il n’est pas de sujet qui ne s’élargisse à mesure qu’on y entre, pas de fait ni d’observation au fond de laquelle on ne découvre un doute », « le grand Newton ressemble plus à un imbécile par les choses qu’il ignore qu’il n’en diffère par les choses qu’il sait » et face aux questions qui importent le plus, origine et destinée, la raison est impuissante.

L’homme est un animal politique. Il ne suffit pas « d’apprendre aux hommes à lire et à écrire pour en faire des citoyens », « les véritables lumières naissent principalement de l’expérience ». Seul l’exercice de la liberté conduit à la liberté. « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir ».

L’association est adaptée à la démocratie : « On n’y fait pas le sacrifice de sa volonté et de sa raison mais on applique sa volonté et sa raison à faire réussir une entreprise commune ». Dans les townships américaines, nombreuses fonctions municipales électives, chacun au cours de son existence est appelé à exercer l’une ou l’autre d’entre elles.

L’homme démocratique que l’intérêt bien entendu conduit à s’intéresser à la chose publique, passe du culte de l’argent, du bien-être et des « petits tracas» à des « passions plus énergiques et plus hautes ».

La critique de l’Etat bourgeois

La bourgeoisie a cassé les liens hiérarchiques qui unissent l’homme féodal à ses supérieurs et les a remplacés par « l’eau glaciale du calcul égoïste ». Aux nombreuses libertés, elle « a substitué une liberté unique et sans vergogne : le libre échange ». L’Etat rationnel ne peut représenter la véritable démocratie qui repose sur la capacité d’autonomie et la créativité d’individus ayant intégré leur appartenance à l’espèce humaine.

T. redoute dans la politique étatiste le danger d’un gouvernement qui ne serait plus en liaison avec les volontés individuelles et substituerait sa gestion rationnelle et abstraite à la véritable décision politique.

Société civile et Etat : « Le principal objet d’un bon gouvernement a toujours été de mettre de plus en plus les citoyens en état de se passer de son secours ». Le laisser faire, c’est d’abord laisser les citoyens « s’aider eux-mêmes en s’unissant ». T refuse l’Etat qui assistera, conseillera l’homme jusqu’à vouloir le « rendre heureux malgré lui-même ». (Despotisme administratif,  aujourd’hui Etat bureaucratique). La prise en charge par l’Etat des fonctions industrielles et commerciales dénaturent sa vocation politique et ouvrent la voie aux abus de pouvoir. Le risque de tyrannie est encore plus grand dans la culture.

 

De l’humanité

C’est en tant que doué de liberté que l’homme est fondamentalement semblable aux autres hommes et donc égal. Mais il n’y a pas de véritable liberté sans une certaine égalité matérielle : la Révolution équilibre inouï et éphémère de l’exigence d’égalité et de liberté. A travers l’abolition des privilèges et la reconnaissance des droits de l’homme se jouent les retrouvailles de l’humanité en elle-même. La dimension spirituelle de l’égalité ne devient vraiment apparente que dans le concept couplé d’égalité et de liberté. C’est la dimension métaphysique de la Révolution française qui lui donne sa portée universelle.

            La dignité de l’homme est dans la pensée. Mais elle ne trouve son plein développement que dans la communauté d’êtres doués de langage, capables d’échanges pour décider librement de leur destin. Il existe un lien nécessaire entre la citoyenneté et la qualité d’homme.

 

Démocratie et cosmopolitisme

On s’attache plus aux êtres et aux objets proches qu’aux lointains donc plus à une patrie singulière qu’à l’humanité. Le patriotisme est « non seulement une grande vertu mais la première ». Dans les sociétés traditionnelles règne un patriotisme instinctif. Il s’épanouit dans les sociétés gouvernées par la mémoire, le respect des coutumes et des ancêtres. Ce patriotisme, l’amour de la terre des pères fonctionne comme une religion, se lie à la religion.

Dans les sociétés modernes, la patrie n’est plus incarnée dans le sol natal mais dans les lois dont chacun peut revendiquer la paternité. La démocratie se réfère à l’homme dans son universalité. Le patriotisme réfléchi n’est que superficiellement national, une lecture particulière à chaque Etat historique de ce que sont les droits et les devoirs de l’homme.

Ce processus peut conduire à l’uniformité. Il demande pour devenir créateur des liens du particulier à l’universel, la reconsidération entre public et privé, la décentralisation des expressions de souveraineté, des formes politiques plus larges, empire ou fédération. Le contrat social démocratique est potentiellement cosmopolite.

 

 

 

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23 février 2008 6 23 /02 /février /2008 17:47

Cercle des chamailleurs

17 janvier 2008

 

LE CAPITALISME EST-IL MORAL ?

(2ème partie)

 

Présentation par Michel

 

La confusion des ordres

 

Comte-Sponville emprunte cette notion à Pascal même si les ordres pascaliens ne sont pas les mêmes. Pascal  distingue 3 ordres : l’ordre de la chair, l’ordre de l’esprit ou de la raison et l’ordre du cœur ou de la charité.

On lit par exemple dans les Pensées : « Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien et le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant l’ordre des causes de l’amour ; cela serait ridicule. » Autrement dit : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ».

Pascal parle également de tyrannie à propos de la confusion des ordres érigée en système de gouvernement. Pour Pascal, le tyran n’est pas celui qui gouverne avec autorité, c’est celui qui gouverne dans un ordre où il n’a aucun titre légitime pour le faire. Cela revient par exemple à vouloir être aimé ou cru parce qu’on est fort ou obéi parce qu’on est savant ou craint parce qu’on est beau !

Autres exemples : « Staline, le plus grand savant du XXème siècle », disait sans rire les staliniens de l’époque, ou encore : « Aimez-moi, je suis votre patron ! » ce qui est la devise cachée du paternalisme.

 

Comte-Sponville présente deux types de confusion des ordres qu’il appelle « barbarie » et « angélisme ».

Il en distingue plusieurs formes :

-         la barbarie technocratique ou libérale :

Par exemple, vouloir soumettre la politique ou le droit (ordre n°2) à l’économie, aux techniques ou aux sciences (ordre n°1).

La tyrannie technocratique, c’est la tyrannie des experts et la tyrannie libérale, la tyrannie du marché.

Dans une démocratie, ce ne sont pas les plus compétents qui décident, ce sont les plus nombreux. D’où la tendance à mettre sur pied un comité d’experts avant de prendre une décision par exemple. Mais, dans ce cas, ce n’est plus le peuple qui est souverain, ce sont les experts, et l’on n’est plus tout à fait en démocratie !

Il en est de même pour le marché quand on juge par exemple qu’il y a trop d’Etat et qu’il doit être cantonné dans ses fonctions régaliennes d’administration, de justice, de police et de diplomatie et que, pour les autres fonctions, il faut laisser fonctionner les fameux mécanismes régulateurs du marché. Dans ce cas, ce n’est pas le peuple qui est souverain , ce sont les capitaux ou ceux qui les possèdent et, là encore, on n’est plus tout à fait en démocratie.

Quand le Général de Gaulle déclarait : « La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille » (à la Bourse), il ne faisait, au moins en partie, que le rappeler (ou Edith Cresson, dans des termes moins choisis : « La Bourse, j’en ai rien à cirer ! »). Aujourd’hui, cela est devenu plus difficile avec le phénomène de la mondialisation ou de la globalisation de l’économie et du marché.

Mais, le marché reste soumis à la loi, y compris par exemple aux Etats-Unis, pays très « libéral » où la loi antitrust a permis de limiter l’influence et le monopole de microsoft.

-         la barbarie politique :

Ceci revient à vouloir soumettre la morale (l’ordre n°3) à la politique ou au droit (l’ordre n°2). C’est la barbarie du militant ou du juge.

Comte-Sponville distingue la barbarie totalitaire et la barbarie démocratique.

La barbarie totalitaire, par exemple chez Lénine, en 1920 dans un discours aux Jeunesses communistes russes : « La morale, c’est ce qui est au service de la destruction de l’ancienne société d’exploiteurs… ». La morale ne saurait donc être indépendante de la politique, elle doit au contraire lui être soumise.

Trotski se demande par exemple si le terrorisme est moralement admissible et il répond : « ça dépend des cas ». En situation révolutionnaire, le terrorisme peut devenir politiquement nécessaire et donc moralement bien. Staline ne fera qu’aller plus loin dans la même direction.

Si tout ce qui est politiquement utile devient moralement justifié, la morale n’est plus qu’une justification de la politique et sa bonne conscience. « Les questions de morale révolutionnaire, écrit Trotski, se confondent avec les questions de stratégie et de tactique révolutionnaires », ce qui correspond à une confusion des ordres : tyrannie de l’ordre n°2 sur l’ordre n°3.

Mais il existe aussi une barbarie démocratique : si la démocratie nous semble le meilleur des régimes, pourquoi ne pas lui soumettre aussi la morale ? Mais ceci revient également à soumettre l’ordre n°3 à l’ordre n°2. Le jour où nous serons convaincus que tout ce qui est légal est forcément moral, il n’y aura plus ni moralité, ni conscience, ni devoirs, ce qui correspond au règne possible du salaud légaliste.

La loi Veil ne dit pas que l’avortement est moralement innocent ni moralement coupable car une loi ne dit pas le bien et le mal : elle dit ce qui est autorisé et ce qui est interdit par l’Etat. Le fait que l’avortement soit légalement autorisé ou, pour prendre un autre exemple, que l’euthanasie soit encore interdite, ne dit rien sur la moralité respective de l’avortement ou de l’euthanasie. Le légal n’est pas le bien et l’illégal n’est pas le mal. Quand on oublie cette différence, on est déjà dans la barbarie démocratique.

-         la barbarie moralisatrice :

C’est soumettre l’ordre n°4, l’amour, à l’ordre n°3, la morale. Par exemple Saint-Just qui voulait imposer la dictature de la vertu ou Khomeini qui faisait pourchasser les minijupes ou les amoureux. C’est la tyrannie des puritains.

 

L’autre tentation, c’est ce que Comte-Sponville appelle l’angélisme qui est la symétrie de la barbarie mais il y a confusion des ordres dans les deux cas.

-         l’angélisme politique ou juridique

Quand on prétend annuler les contraintes économiques, techniques ou scientifiques au nom de la politique ou du droit. Le plus souvent, cela prend la forme du volontarisme.

Par exemple : « Vaincre le chômage, c’est une question de volonté politique » disait la gauche en 1981. Deux septennats plus tard, le nombre de chômeurs avait doublé ! Ou Sarkosy qui veut aller chercher une croissance à 3% avec les dents !

Il en est de même pour le Sida par exemple. Tout ce qu’on peut demander à l’Etat, c’est de tout faire (dans l’ordre n°2 en votant des crédits pour la recherche, pour le traitement des malades,…) pour que le problème soit réduit le plus vite possible dans l’ordre qui est le sien, dans l’ordre scientifique et technique, c’est-à-dire de façon médicale. La volonté politique est nécessaire mais elle n’est pas suffisante (par exemple si les moyens médicaux n’existent pas).

-         l’angélisme moral

C’est prétendre annuler les exigences et les contraintes de l’ordre n°2 au nom de la morale.

Par exemple, contre la misère et l’exclusion, les Restos du cœur ; ou contre la guerre, l’action humanitaire ou encore, pour résoudre les problèmes liés à l’immigration, SOS Racisme.

-         l’angélisme éthique (de l’amour)

C’est prétendre annuler les exigences et les contraintes des 3 premiers ordres au nom de l’amour (de l’ordre n°4). Cela ressemble par exemple à l’idéologie Peace and Love des années 70.

On peut penser aussi tout récemment à la dérive de l’Arche de Zoé au Tchad.

-         l’angélisme religieux

Là encore, c’est vouloir annuler les exigences et les contraintes des 4 premiers ordres au nom d’un éventuel ordre n°5, au nom du divin.

C’est le cas de l’intégrisme ou plutôt des intégrismes. C’est vouloir que la religion dise le bien et le mal (ordre n°3), le légal et l’illégal (ordre n°2), le vrai et le faux (ordre n°1). C’est ce qui se passe avec la charia dans le cas de l’intégrisme musulman (si Dieu est souverain, comment le peuple pourrait-il l’être ?). Mais il existe également un intégrisme chrétien, notamment dans certaines sectes protestantes aux Etats-Unis avec, par exemple les créationnistes qui refusent les théories de Darwin.

Ce fut aussi le cas lors des Croisades et cela continue avec Bush et Ben Laden. Ce fut sans doute aussi le cas de Lénine et de Trotski (avec la foi dans le communisme).

Barbarie et angélisme peuvent donc aller de pair et l’angélisme n’est pas moins dangereux que la barbarie et il arrive qu’il le soit davantage ! (exemple du stalinisme).

 

Responsabilité et solidarité – La hiérarchie des ordres

Nous sommes tous toujours dans ces 4 (ou 5) ordres à la fois et rien ne garantit qu’ils aillent tous et toujours dans la même direction car ils sont soumis à des principes de structuration interne différents et indépendants les uns des autres, ce qui est le cas le plus fréquent.

Et alors, il va nous falloir choisir, parmi ces 4 (ou 5) ordres lequel ou lesquels il faut privilégier.

 

La responsabilité :

Ce choix relève de notre responsabilité. Car pour prendre une décision, par exemple pour résoudre un problème, nous allons être confrontés à plusieurs ordres ou niveaux hétérogènes qui ont chacun leur logique propre, leur cohérence et leur nécessité. C’est pourquoi, il faut parler de responsabilité plutôt que de compétence.

Etre compétent, c’est pouvoir résoudre un problème, être responsable, c’est pouvoir prendre une décision, spécialement lorsque cette décision, comme c’est presque toujours le cas, relève de plusieurs ordres à la fois.

Or, dans ce domaine, il n’y a pas de règle générale et il faut donc procéder « au cas par cas », si l’on veut éviter par exemple d’être un salaud compétent et performant ou un niais ou si l’on ne peut pas être un saint, ce qui est le cas le plus fréquent !!!

D’où la difficulté voire l’impossibilité de parler d’éthique d’entreprise ou de morale d’entreprise car une entreprise, ça n’a pas de morale ou de devoirs, ça n’a que des intérêts et des contraintes, ça n’a pas de sentiments, pas d’amour, donc pas d’éthique : ça n’a que des objectifs et un bilan.

Mais c’est justement pourquoi, il doit y avoir de la morale dans l’entreprise par la médiation de ceux qui y travaillent et spécialement qui la dirigent.

« Ne comptez pas sur votre entreprise pour être morale à votre place ! »

 

Autre exemple concernant le commerce : le « respect du client », terme souvent utilisé par les commerçants. Il s’agit bien sûr d’une valeur mais d’une valeur d’entreprise, d’une valeur professionnelle, d’une valeur déontologique mais non d’une valeur morale ! Le respect du client relève en effet de la communication interne et externe d’une entreprise, du management, du marketing

A ne pas confondre avec le « respect du prochain » qui est une valeur morale qui ne relève que de la conscience.

 

Générosité ou solidarité ?

-         Le commerce relève moins de la morale, qui est désintéressée, que de l’économie qui ne l’est jamais, moins du respect de l’autre que de la satisfaction mutuelle.

-         Ne pas confondre la générosité, qui est le contraire de l’égoïsme avec la solidarité qui serait plutôt sa régulation intelligente et socialement efficace.

            Exemple de solidarité : le principe de l’assurance et de la mutualisation des risques où il y a convergence des intérêts et ce qui n’a rien à voir             avec de la générosité.

Autre exemple : celui de la boulangère qui me vend une baguette (p. 130 et 131). La relation d’échange (le commerce) entre mon argent et sa baguette de pain crée entre nous une convergence objective d’intérêts, c’est-à-dire une solidarité.

De ce point de vue, le marché est une formidable machine à produire de la solidarité, non parce qu’il échapperait à l’égoïsme mais précisément parce qu’il s’y soumet ! Le commerce, en tant que tel, n’a besoin que d’égoïsme, c’est ce qui fait sa force et son efficacité. Sinon, il n’y aurait pas de commerçants, ni de clients.

Qu’est-ce qui vaut mieux, la solidarité ou la générosité ? Moralement, c’est bien sûr la générosité mais socialement, économiquement, politiquement, historiquement, la solidarité est beaucoup plus efficace.

C’est en quoi la Sécurité sociale est sans doute l’un des plus formidables progrès de toute l’histoire sociale.

 

Distinction des ordres : la morale n’est pas rentable ; l’économie n’est pas morale. C’est ce qui nous oblige à les prendre à la fois ensemble (nous avons besoin des deux) et séparément (car il ne faut pas les confondre). Le capitalisme n’est pas moral. C’est donc à nous, si nous le pouvons, de l’être.

 

Libéralisme ou ultralibéralisme ?

 

« Oui à l’économie de marché, a dit un jour Lionel Jospin, non à la société de marché ! »

Pour Comte-Sponville, l’économie de marché, on n’a rien trouvé de mieux pour créer de la richesse et comment, sans richesse, faire reculer la pauvreté ?

Mais le marché a ses limites car il ne vaut que pour les marchandises, c’est-à-dire ce qui est à vendre, y compris les services. Et la reconnaissance de ces limites, c’est ce qui distingue les libéraux des ultralibéraux.

Pour l’auteur, on peut appeler libérale toute pensée qui est favorable à la liberté du marché (libéralisme économique) et aux libertés individuelles (libéralisme politique), ce qui suppose certaines interventions de l’Etat, y compris dans la sphère économique.

Par contre, si on croit que tout se vend et que tout s’achète, on est dans l’ultralibéralisme.

Et l’auteur cite J.P. Fitoussi, économiste : « Il a été scientifiquement démontré, par un économiste américain que, dans un pays ultralibéral, où l’Etat ne s’occupe absolument pas de l’économie, le plein emploi est assuré…pour tous les survivants ».

Il cite un autre exemple concret : la santé qui n’est pas à vendre et qui n’est pas une marchandise. Par contre, le médicament, lui, est une marchandise qui se vend et qui s’achète. Nous aurons de meilleurs médicaments dans un pays capitaliste, où les laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises privées, que dans un pays collectiviste, où les laboratoires appartiennent à l’Etat. Il faut donc trouver une articulation satisfaisante entre le marché du médicament et le droit au soin : c’est précisément le rôle de la Sécurité sociale.

Cela vaut également à l’échelle mondiale, par exemple à propos de la disponibilité des médicaments contre le sida en Afrique. Au début, la plupart des malades africains étaient dans l’incapacité de pouvoir bénéficier des médicaments antisida en raison de leur coût trop élevé. Il a fallu des pressions puis des décisions d’ordre politique pour permettre l’achat de ces médicaments à des coûts acceptables et, dans certains cas, pour obtenir la fabrication de médicaments génériques.

D’une façon générale, toutefois, l’Etat n’est pas très bon pour créer de la richesse ; pour Compte-Sponville, le marché et les entreprises le font plus et mieux et cela, même la gauche a fini par le comprendre !

 

Compte-rendu de la discussion (Anne)

 

1 - La première remarque,  qui a été faite et qui a recueilli un avis unanime, est que le titre du livre d’André Comte-Sponville « Le capitalisme est-il moral ? » ne correspond pas à son contenu, dans la  mesure où ce sont les sciences et les techniques qui sont en cause et non le capitalisme en comparaison avec d’éventuels autres systèmes économiques. Une autre raison avancée est que André Comte-Sponville est un philosophe et non un économiste.

 

2 – Une controverse apparaît concernant le premier ordre : pour certains cet ordre contient une morale, dans la mesure où tout acte entraîne une sanction. Pour d’autres, la sanction n’arrête pas l’action, qui n’est prégulée que par les ordres suivants, ordre juridico-politique, ordre moral, ordre de l’amour et même l’ordre divin. Par exemple, la question est de savoir si Monsanto peut arrêter ses recherches sur les OGM pour des considérations morales ou bien si les autres ordres devront intervenir. Autre exemple, les constructeurs automobiles infléchiront-ils leur action en fonction de l’encombrement des villes et de la pollution ?

 

3 – Concernant la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE), la remarque est faite qu’elle n’a qu’un rôle consultatif, mais qui, de toute façon, ne relève que de l’ordre n° 3, dans la mesure où son autorité n’est que morale. Ce n’est pas le cas du Conseil Constitutionel, qui lui relève de l’ordre n° 2, car il peut avoir une action sur le législateur. Cependant, un avis consultatif peut entrer dans la législation par le biais de la jurisprudence.

 

4 – Une notion semble échapper à la classification par les ordres : la régulation des phénomènes naturels (comme les lois physiques), qui limitent les actions humaines.

 

5 – Concernant le capitalisme, on ne fait que constater que sa pérennité n’est basée que sur une complémentarité bien comprise entre le producteur et le consommateur , en particulier, le commerce équitable, qui ne peut être étayé que par l’ordre n° 3, n’a pas d’avenir dans le système capitaliste.

 

6 – Un parallèle est fait entre les phénomènes de régulation naturelle et la régulation des actions humaines, sans intervention des ordres politiques, moraux :  les lois du marché, si on les pousse à l’extrême devraient conduire à la disparition des acteurs eux-mêmes (producteurs, distributeurs ou consommateurs). La question est de savoir si la régulation nécessaire viendra des acteurs eux-mêmes ou des ordres juridico-politiques ou moraux. Il est cependant fait remarquer que, si les phénomènes de régulation naturelle ne s’appliquent pas à l’homme, cela signifie que l’homme ne fait pas partie de la nature !

 

7 – Certains pensent que le capitalisme est capable de s’auto-réguler : du temps du communisme, le capitalisme a fait de la social-démocratie. Le communisme n’étant plus là, le capitalisme tend à détruire toutes les lois sociales, mais l’élément modérateur viendra des intégrismes religieux (Ben Laden est un Ché Guevara de droite).

 

8 – Un élément régulateur est « l’intérêt bien compris », le capitalisme n’ira pas jusqu’à la disparition des classes laborieuses. Mais l’intérêt bien compris est du ressort des ordres 2 et 3.

 

9 – En ce qui concerne le quatrième ordre (l’amour) n’est pas très bien compris… cela pourrait être les mouvements de mode, de goût général.

 

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23 février 2008 6 23 /02 /février /2008 17:33

Cercle des chamailleurs

17 janvier 2008

 

LE CAPITALISME EST-IL MORAL ?

(1ère partie)

 

Présentation par Michel

 

 

Présentation à partir du livre d’André Comte-Sponville « Le capitalisme est-il moral ? » (Albin Michel, 2004), issu de plusieurs conférences de l’auteur prononcées devant des publics très différents : étudiants et enseignants d’écoles de commerce ou de management, membres d’associations ou cadres d’entreprise.

 

Il s’agit de réflexions d’un philosophe et non d’un économiste, sur les rapports entre la morale et l’économie.

L’auteur part du constat que « le bien » (au sens moral du terme) et « les biens » (au sens économique) ne font pas toujours bon ménage !

On parle beaucoup, notamment dans la presse, d’un retour de la morale qui est devenue un sujet à la mode, ce qui s’accompagne d’un certain nombre de confusions.

 

Pourquoi ce retour de la morale ?

 

1. Il distingue deux périodes qui correspondent à deux générations différentes et aussi à deux erreurs :

-         en 1968, la morale n’était pas une préoccupation pour les jeunes, et la mode était plutôt à l’immoralisme et à la libération tous azimuts. Il était « interdit d’interdire ». Il y avait, spécialement dans la jeunesse étudiante, ce qu’on peut appeler une idéologie du tout politique : non seulement tout était politique mais la politique était tout  et une bonne politique semblait la seule morale nécessaire.

            Une action était considérée comme moralement bonne si elle était politiquement juste.             La morale et le devoir appartenaient à l’idéalisme     petit-bourgeois.

-         Depuis deux décennies, la politique n’intéresse plus grand monde et surtout pas les jeunes. Pour eux, elle prend l’aspect des « Guignols de l’Info » ! Par contre, on observe un retour de préoccupations de type moral, souvent rebaptisées aujourd’hui en « droits de l’homme », « humanitaire », « solidarités ».

            Les personnalités les plus populaires au cours des dernières années étaient par exemple, l’Abbé Pierre ou Bernard Kouchner alors qu’en 1968 (dans les années 60-70) c’était par exemple Che Guevara.

A chaque fois, ou presque, face à des problèmes qui sont collectifs, sociaux et donc politiques, la tendance, depuis deux décennies, est d’apporter des réponses individuelles, morales (les restaurants du cœur, Médecins sans frontières, SOS Racisme,…).

Ces deux conceptions, opposées, correspondent à deux erreurs. La morale et la politique sont deux choses différentes, l’une et l’autre sont nécessaires mais ce changement est le signe d’une crise majeure de la politique.

On aurait pu penser le contraire en 2002 entre les deux tours de l’élection présidentielle mais le vote massif contre Le Pen était, en fait, un vote moins politique que moral.

Ceux qui se mobilisent actuellement contre la mondialisation restent très minoritaires, y compris dans la jeunesse et ces mouvements sont souvent d’inspiration morale ou humanitaire et ont du mal à trouver des débouchés politiques ou programmatiques.

Parmi les phénomènes/mouvements qui ont mobilisé récemment la jeunesse, il y en a un qui s’impose à l’auteur et c’est le succès des JMJ autour de Jean-Paul II.

 

2. Le « triomphe » du capitalisme

 

Rien ne prouve que l’effondrement du système soviétique en 1989 corresponde au triomphe du capitalisme mais tout adversaire est aussi un faire-valoir. « Que l’Occident était beau sous Brejnev ! »

Maintenant, il y a Ben Laden mais ce n’est pas la même chose. Ce que Brejnev symbolisait, bien ou mal, c’était une alternative sociale, politique et économique au capitalisme. Du côté de Ben Laden, rien de tel car l’islamisme ne condamne ni la propriété privée des moyens de production, ni la liberté de marché, ni le salariat mais ce qu’il symbolise, c’est d’autres valeurs, d’autres idéaux, d’autres règles, une autre morale voire une autre civilisation.

On est donc passé, pour l’Occident, non seulement d’un adversaire à un autre mais d’une question proprement politique à une question plutôt morale ou civilisationnelle.

Mais, à quoi bon le « triomphe » du capitalisme si on ne sait pas pour quoi vivre ? Car, si le capitalisme n’a pas besoin de sens pour fonctionner, les individus, si, et les civilisations aussi ! D’où la recherche d’une certaine morale.

 

3. La « mort de Dieu »

 

Depuis la Renaissance, puis au XVIIIème siècle avec les Lumières, aux XIX et XXèmes siècles et encore de nos jours, avec les processus de laïcisation et, s’agissant de notre pays, de déchristianisation, nous assistons à ce que Nietzsche a appelé, la « mort de Dieu» et Marcel Gauchet, le « désenchantement du monde ».

Nous pouvons bien sûr, individuellement, croire en Dieu mais nous ne pouvons plus, socialement, nous réclamer de lui. C’est le cas, par exemple pour un enseignant ou un chef d’entreprise ou même pour un homme politique qui ne peuvent plus se réclamer de Dieu pour légitimer leur action ou leur programme (sauf aux Etats-Unis !). C’est le prix à payer de la laïcité.

Pendant vingt siècles d’Occident chrétien, à la question « Que dois-je faire ? », c’est au fond Dieu qui répondait (par ses commandements, par son Eglise,…). Mais maintenant, à la même question, Dieu ne répond plus (cf par exemple le problème de la contraception ou de la sexualité hors mariage). Mais, bien naïfs ceux qui croyaient que l’athéisme supprimait la question morale.

Or, nous avons d’autant plus besoin de morale que nous avons moins de religion.

 

4. La mode de « l’éthique d’entreprise »

 

Elle correspond à la version managériale du « retour de la morale ».

On entend souvent dire : « L’éthique améliore l’image de l’entreprise, donc les ventes » et donc l’éthique est performante (on parle même de « markéthique » !).

Mais, le propre de la valeur morale d’une action, c’est le désintéressement.

Kant, à ce sujet, propose l’exemple du « marchand avisé » qui n’est honnête que pour garder ses clients. Il agit conformément au devoir mais pas par devoir et bien par intérêt. Dans ce cas-là, pour conforme qu’elle soit à la morale, son action n’a aucune valeur morale.

 

 

 

Ainsi, à force de mettre la morale à toutes les sauces, on finit par l’instrumentaliser.

D’où la nécessité de distinguer un certain nombre de domaines différents qu’André Comte-Sponville appelle « ordres » et de marquer entre eux certaines limites.

 

La distinction des Ordres et le problème des limites

 

Comte-Sponville distingue 4 (et pour certains 5) ordres différents :

 

1er ordre : l’ordre économico-techno-scientifique

 

1er exemple : En biologie, quelles sont les limites pour le clonage reproductif ? A cette question, la biologie ne répond pas et ne répondra jamais. Tout ce que la biologie, en tant que science, peut faire, c’est nous dire comment faire le clonage reproductif mais pas s’il faut le faire.

La biologie nous dit ce qui est biologiquement possible ou impossible. Il en est de même pour les sciences en général.

2ème exemple : quelles limites pour l’économie ? pour le capitalisme ? pour le marché et la loi du marché ? Là encore, l’économie ne répond pas.

L’économie est en effet à la fois une science (humaine) et une technique.

Dans tous les cas, il y a techniquement et scientifiquement ce qu’on peut faire ou penser (le possible ou le vrai) et ce qu’on ne peut pas faire ou penser (l’impossible ou le faux).

Mais il n’y a pas de frontière interne à cet ordre en raison du progrès scientifique et technique. Mais ce progrès peut se retourner contre nous au point de mettre en cause l’existence même de l’humanité (manipulations génétiques, guerre nucléaire, pollution,…). Il en est de même en économie : à chaque fois que le cours du cacao chute, il y a des milliers de gens qui redescendent en dessous du seuil de pauvreté.

D’où la nécessité de limiter cet ordre économico-techno-scientifique de l’extérieur.

 

2ème ordre : l’ordre juridico-politique

 

Correspond concrètement à la loi et à l’Etat.

Cet ordre est structuré intérieurement par l’opposition entre le légal et l’illégal.

Juridiquement, il y a ce que la loi autorise (le légal) et ce que la loi interdit (l’illégal).

Politiquement, il y a ceux qui sont en état de faire la loi (la majorité) et ceux qui ne sont pas en état de faire la loi (la minorité, l’opposition) et c’est ce que nous appelons en France l’ordre démocratique.

Faut-il limiter ce 2ème ordre et si oui pourquoi ?

-         pour des raisons individuelles : aucune loi n’interdit l’égoïsme, ni le mépris, ni la haine ou même seulement la méchanceté. Un individuparfaitement légaliste, qui donc respecte parfaitement la loi (les lois) peut également être un parfait salaud (égoïste, méprisant, méchant,...). Il peut également être parfaitement compétent sur le plan scientifique ou technique dans son domaine (ordre n° 1).

-         pour une raison collective : par exemple, le peuple a-t-il tous les droits en démocratie ?

A-t-il le droit d’opprimer telle ou telle de ses minorités, par exemple de voter des lois antijuives, ou d’ouvrir des camps de concentration (ou aujourd’hui de rétention), de déclencher des guerres d’agression ?

Il existe bien sûr un Conseil Constitutionnel qui permet de juger si une loi donnée est conforme à la Constitution. Mais qu’est-ce qui empêche de changer la Constitution ?

Or, en France, il n’y a pas de loi fondamentale (Rousseau) car le peuple est souverain. Il n’y a donc pas de limites démocratiques à la démocratie ! Et c’est pourquoi la démocratie n’est en aucune façon une garantie, même contre le pire !

Nous sommes donc obligés de limiter à nouveau cet ordre juridico-politique. Mais comment ?

Pas avec l’ordre n°1 ! Un peuple scientifiquement et techniquement développé n’est pas moins dangereux pour cela, au contraire (ce fut même, historiquement, une des tragédies du nazisme que cette horreur se soit justement développée au sein d’un des peuples les plus avancés scientifiquement et techniquement de la planète – on pourrait ajouter culturellement !).

Nous ne pouvons donc limiter cet ordre, encore une fois, que de l’extérieur.

 

3ème ordre : l’ordre de la morale

 

Par quoi l’ordre n°2 peut-il être limité ?

En premier lieu, le peuple même souverain, reste soumis aux lois de la nature et de la raison : il n’a droit qu’au possible (son pouvoir reste limité, de l’extérieur par l’ordre n°1). (= contradiction avec ce qui précède !?)

Il existe également des limites internes à l’ordre n°2 par le jeu des résistances, des contre-pouvoirs et des rapports de forces.

 

Enfin, le peuple souverain est tout aussi incapable de modifier une exigence morale (ordre n°3) qu’une vérité scientifique ou technique (ordre n°1).

Par exemple, quand bien même le peuple déciderait « souverainement » que le Soleil tourne autour de la Terre ou que les hommes sont inégaux en droit ou en dignité, cela ne changerait rien à la vérité ou à la justesse (à l’aspect moral) du contraire.

On ne vote pas sur le vrai ou le faux, ni sur le bien ou le mal. C’est pourquoi la démocratie ne tient lieu ni de conscience ni de compétence.

- du point de vue des individus, la morale s’ajoute à la loi : la conscience d’un honnête homme est plus exigeante que le législateur ; l’individu a plus de devoirs que le citoyen.

- la même limitation vaut pour les peuples. Par exemple, il serait moralement impératif de refuser un projet de loi raciste, même si la Constitution le rendait possible !

Mais, dans tous ces cas, la limitation passent par les individus. Eux seuls existent (nominalisme) : le peuple sans eux n’est qu’un mythe, la société qu’une abstraction et l’Etat qu’un monstre.

 

L’ordre de la morale (ordre n°3) est structuré intérieurement par l’opposition du bien et du mal, du devoir et de l’interdit.

 

Qu’est-ce que la morale ? C’est l’ensemble de nos devoirs, des obligations et des interdits que nous nous imposons à nous-mêmes, indépendamment de toute récompense ou sanction attendue et même de toute espérance. C’est l’ensemble de ce qui vaut ou s’impose, pour une conscience donnée, inconditionnellement.

Cette morale est historique, culturelle et donc relative : elle est l’ensemble des normes que l’humanité s’est donnée pour résister à la sauvagerie et à la barbarie.

Mais la morale n’est pas tout et beaucoup d’actions n’en relèvent pas.

 

La question se pose toutefois de savoir s’il faut limiter à son tour ce 3ème ordre et par quoi.

On a du mal à imaginer ce que pourrait être un « salaud moral ». Par contre il peut y avoir des salauds moralisateurs !

La différence est claire : être moral, c’est s’occuper de son devoir ; être moralisateur, c’est s’occuper du devoir des autres. C’est ce qui distingue « l’ordre moral » de l’ordre « de la morale ».

Mais, si l’ordre de la morale n’a pas besoin d’être limité (comme si on  pouvait être trop moral !) il a besoin d’être complété. Il suffit d’imaginer un individu qui ferait toujours son devoir mais qui ne ferait que son devoir : ce qu’on appelle un pharisien.

Ce qui manque au pharisien, c’est l’ordre de l’amour.

 

4ème ordre : l’ordre de l’amour, que l’auteur appelle également l’ordre « éthique »

 

Comte-Sponville propose d’appeler « morale » tout ce qu’on fait par devoir et par « éthique » tout ce qu’on fait par amour.

D’où ce 4ème ordre, moins pour limiter l’ordre de la morale que pour le compléter ou pour l’ouvrir.

Pour l’auteur, cet ordre est structuré intérieurement par l’opposition de la joie et de la tristesse !

Et cet ordre, faut-il le limiter et par quoi ?

Pour les croyants, on peut envisager un 5ème ordre, l’ordre divin ou surnaturel.

L’amour infini n’est pas à craindre. A l’inverse, l’amour, dès que l’on sort du cercle des proches ne brille guère, le plus souvent, que par son absence.

L’amour intervient dans les ordres précédents mais sans les abolir.

 

 

Nous avons donc besoin de ces 4 (ou5) ordres à la fois, dans leur indépendance au moins relative et leur interaction. Les 4 (ou 5) sont nécessaires, aucun n’est suffisant.

 

Le capitalisme est-il moral ?

 

  1. Morale et économie

 

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais)

Les sciences ne sont pas la vérité (mais la connaissance, toujours partielle et relative, que nous en avons) et le scientisme n’est pas la science (il n’est que l’idéologie qui voudrait que les sciences suffisent à tout, y compris tiennent lieu de morale).

Les sciences n’ont pas de morale, les techniques non plus. Pourquoi l’économie, qui est à la fois une science et une technique, en aurait-elle une ?

L’économie n’est pas une personne qui aurait sa volonté, ses préférences, ses buts. Comment aurait-elle une morale ? C’est donc à nous d’être moraux !

Dans le 1er ordre, rien n’est jamais moral ni immoral mais amoral !

Par exemple, les cours du pétrole ou de l’euro ne dépendent pas de la morale mais de la marche générale de l’économie, des rapports de force, y compris politiques et de la loi de l’offre et de la demande.

Et cependant, des facteurs psychologiques peuvent intervenir dans l’économie car tout marché a besoin de confiance. Mais il faut souligner que psychologie et sociologie relèvent aussi de l’ordre n°1 et non de la morale.

On peut signaler à ce sujet la « neuroéconomie », discipline née aux Etats-Unis il y a dix ans qui prétend utiliser les progrès de l’imagerie médicale pour expliquer, modéliser, voire prédire le comportement des agents économiques : « Le mérite de la neuroéconomie est d’avoir démontré scientifiquement que l’émotion jouait un rôle aussi important que la rationalité dans la prise de décision », explique M. Schmidt, professeur à Paris-Dauphine. Mais des économistes résistent à ce qu’ils considèrent comme un « réductionnisme biologique » appliqué à une matière avant tout sociale. (Le Monde Economie, 15 janvier 2008)

 

Qu’est-ce que l’économie ?

C’est à  la fois une science et l’objet qu’elle étudie. C’est tout ce qui concerne la production, la consommation et l’échange de biens matériels – marchandises ou services – aussi bien à l’échelle des individus et des entreprises (microéconomie) qu’à l’échelle de la société et du monde (macroéconomie).

L’économie de marché n’en est qu’un cas particulier. Le marché, c’est la rencontre de l’offre et de la demande et ce n’est pas la morale qui détermine les prix mais la loi de l’offre et de la demande.

Donc, à la question : « le capitalisme est-il moral ? », ma réponse est non ! Mais, si le capitalisme n’est pas moral, il n’est pas non plus immoral ; il est amoral.

Ne comptez pas sur le marché pour être moral à votre place !

 

  1. « L’erreur de Marx »

 

D’après Compte-Sponville, nous n’avons plus de modèle alternatif crédible à opposer au capitalisme.

Le but de Marx était que l’économie (dans l’ordre n°1) soit soumise à la morale (dans l’ordre n°3). Il voulait en finir avec l’injustice en inventant un autre système économique.

Mais, pour que le communisme ait une chance de réussir, il fallait que les hommes cessent d’être égoïstes et mettent l’intérêt général plus haut que leur intérêt particulier. Il était donc inévitable qu’il échoue et qu’il devienne totalitaire puisqu’il fallut bien imposer par la contrainte ce que la morale s’avéra incapable d’obtenir.

Le coup de génie du capitalisme ou plutôt sa logique propre, son essence, c’est de ne rien demander d’autre aux individus que d’être exactement ce qu’ils sont, c’est-à-dire égoïstes, avant tout préoccupés de leur intérêt.

L’erreur de Marx , ce fut de vouloir ériger la morale en économie ! et pourtant, son analyse du capitalisme reste une des plus éclairantes.

 

Qu’est-ce que le capitalisme ?

  1. Pour Marx, « c’est un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange, sur la liberté du marché et sur le salariat ».

            Ce qui est propre au capitalisme, ce n’est pas la production de plus-values par ceux qui travaillent mais son appropriation par ceux qui       possèdent les moyens de production. Ce qui est essentiel au capitalisme, c’est que l’opposition du capital et du travail demeure effective.

  1. Autre définition : « Le capitalisme, c’est un système économique qui sert, avec de la richesse, à produire davantage de richesse ».

 

Vouloir faire du capitalisme une morale, ce serait faire du marché une religion, et de l’entreprise une idole. C’est précisément ce qu’il s’agit d’empêcher car, si le marché devenait une religion, ce serait la pire de toutes, celle du veau d’or

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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 14:21

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

L’exclusion (Yvonne)

 

Jeudi 20 décembre 2007

 

 

La vie ignore la morale, elle se moque des souffrances humaines. Pour vaincre cette indifférence, pour soulager la misère et les miséreux du monde, il faudrait apporter plus de fraternité, plus de citoyenneté, plus de solidarité.

 

Y a-t-il vraiment des exclus ? Lorsqu’on arpente les rues de Montréal, Paris, New-York, toutes ces grandes villes, la réponse est OUI.

 

La misère du monde semble constituer le principal centre d’intérêt  de la sociologie, de la politique et même de l’économie.  Quel politique oserait dire que cela est honteux ?

 

On est toujours exclu de quelque chose ou de quelque part. Mais nous ne traiterons que les cas d’exclusion entraînant des situations dramatiques.

 

Dans ces multiples configurations, qu’il s’agisse du travail, du sacré,  de l’affectif, des soins, de l’isolement, l’éloignement progressif des équipements et des services, l’augmentation des prix, souvent résultant de certaines privatisations, touchent les catégories sociales les plus vulnérables, les moins mobiles, comme les personnes âgées, les handicapés et les SDF.

 

Les liens sociaux ne se développent pas dans un vide politique.

 

L’exclusion dévoilée : il n’existe ni parfaite exclusion, ni parfaite insertion.

 

Il n’existe que des exclusions, par suite d’inégalités sociales ou économiques qui conduisent à des mises à l’écart.

 

L’exclusion reste, d’après Jean-Noël Choppart, un objet indéfini que, seule, une démocratie participative et délibérative permettra de circonscrire et de résoudre. Nous allons analyser ici les différentes causes de l’exclusion : la pauvreté, le chômage, la xénophobie, le racisme et l’handicap physique.

 

 

La pauvreté :

 

Elle est considérée comme la raison la plus importante de l’exclusion (seuil de pauvreté : 650  € / mois). L’abbé Pierre disait que si le Vatican donnait la moitié de sa fortune, il n’y aurait plus de pauvres dans le monde.

 

Le chômage :

 

Ensuite, la deuxième raison de l’exclusion est le chômage.

 

Le plus important serait de trouver une activité aux exclus, pour les intégrer au monde du travail. L’accessibilité au travail permet la participation de tous dans notre société. Sans travail, les exclus perdent leurs repères et finissent par être déclassés, disqualifiés. La seule action pour briser le cercle infernal de la pauvreté, de la précarité c’est d’avoir un job ; pour avoir un job, il faut un domicile, pour avoir un domicile, il faut avoir un job. Le toit n’est pas suffisant ; pour sortir un exclu de la rue, il faut l’aider à se remettre debout, à retrouver une identité pour regarder l’avenir.

 

La xénophobie, le racisme, les sectarismes :

 

Autre cause d’exclusion. Dans les quartiers dits défavorisés, on n’a guère avancé depuis quelques années. La question du statut des personnes issues de l’immigration se pose toujours : marginalité sociale, ségrégation, exclusion territoriale, racisme. Les habitants de ces quartiers ne se sentent pas intégrés dans la société. Cette deuxième zone n’a aucun droit social fondamental, droit au logement, accès aux ressources financières. Par la discrimination à l’embauche, ils sont aussi victimes du chômage induisant la pauvreté…

 

Les handicaps :

 

Des personnes ne peuvent être autonomes par suite de leur retard mental, de troubles psychiques, les handicaps physiques. Non conformes à notre société, obèses, bossues, estropiées, ces personnes se trouvent rejetées et traitées avec mépris. Ces personnes ne peuvent d’autre part se sentir intégrées dans un univers, qui leur est hostile : escaliers, transports en commun, spectacles, commerces… Il est important d’essayer de les inclure dans notre société, de leur donner une citoyenneté, un droit d’être différent, avec plus d’humanisme, de fraternité, de solidarité.

 

Statistiques :

 

Deux  sondages mesurent l’inquiétude croissante des français face à l’exclusion. Après le chômage, la pauvreté est considérée comme le facteur le plus important. Les jeunes et les ouvriers semblent les plus inquiets : 51 % des 18-24 ans disent y penser de temps en temps, 34 % des plus de 66 ans disent n’y penser jamais, la même attitude ne se retrouve que chez 9 % des ouvriers. 52 % des français connaissent quelqu’un d’exclu ou sur le point de tomber dans l’exclusion (ils étaient 49 % il y a 6 ans). Un français sur deux de plus de 18 ans craint de devenir un exclu et 80 % des français pensent que la fracture sociale s’aggrave.

 

62 % des français ne font pas confiance au gouvernement pour résoudre le problème de la fracture sociale et 34 % pensent que ce devrait être une préoccupation prioritaire. 81 % pensent qu’une loi ne suffirait pas à faire reculer l’exclusion ; il faut changer de politique économique.

 

Les trois mesures pour lutter contre l’exclusion sont : la réquisition des logements vides, l’extension de la sécurité sociale à ceux qui n’y ont pas droit et la réduction des charges sociales aux entreprises.

 

Le logement :

 

Depuis un demi-siècle, le nombre des mal logés n’a jamais été aussi important ; on est toujours débordé par la misère (les salauds de pauvres !!). Les sans-abri frappent aujourd’hui un grand coup : depuis l’hiver 2005, on a coutume d’apercevoir dans les grandes villes fleurir des tentes sous les ponts, le long des rivières ; MSF est à l’origine de ces campements : 400 tentes ont été distribuées à des indigents, pour leur servir d’abri contre les intempéries, leur apporter un peu d’intimité mais surtout pour réaliser un choc médiatique destiné à alerter l’opinion sur la situation des sans-abri. Une association caritative, les Enfants de Don Quichotte, a pris en charge l’organisation de cette campagne. Une loi a également été promulguée, permettant aux autorités de réquisitionner des logements inoccupés

 

La population a été sensibilisée aux problèmes des SDF et les politiques prompts à s’en saisir ; ils ont fait des promesses et une loi instituant le droit au logement. Faute de crédits, cette loi risque de demeurer lettre morte. Jacques Chirac avait promis 120.000 logements construits avant les élections présidentielles, Jean-Louis Borloo 100 M€ pour les sans-abri. Cependant la situation des exclus reste toujours critique.

 

Grâce à l’action des associations, l’opinion publique a réussi à infléchir la politique des gouvernements, en particulier il a été obtenu que l’expulsion des enfants scolarisés ne soit plus possible.

 

Compte-rendu de la discussion (Anne)
 
Après l'exposé à propos des différentes formes d'exclusion, la discussion débute par le problème des enfants de sans-papiers ; les parents sont exclus, leur exclusion entraîne celle des enfants. Contrairement à ce qui a été dit dans l'exposé, il n'existe pas de véritables lois pour les protéger. Jusqu'à présent si ces enfants sont scolarisés, on peut faire jouer la solidarité des parents d'élèves, de l'administration scolaire et des professeurs, parfois d'autres élèves, pour arriver à protéger les enfants et leurs parents.

Autre thème de discussion: la signification pour chacun d'entre nous du terme citoyen. Le désaccord part de la phrase: « Si on était citoyen, il n'y aurait pas d'exclusion » Être citoyen, pour certains, est assurer un certain lien social, avoir de la solidarité avec d'autres couches sociales. Pour d'autres, on est citoyen si l'on participe à la vie politique, économique et sociale du pays et si l'on ne fait pas de discriminations.

Autre point : l'exposé a souligné que lutter contre l'exclusion, c'est lutter contre le chômage, pour la santé, le logement... Actuellement apparaît une nouvelle catégorie d'exclus : ils ont du travail mais n'ont pas de logement.

Le droit à la santé est aussi de plus en plus restreint. L'exclusion par un handicap physique est toujours très importante même si un taux des personnes handicapées est imposé au niveau des entreprises, ce n'est pas toujours respecté.

Il semble aussi que l'individualisme se développe dans nos sociétés ; si quelqu'un « coule », peu de gens l'aident à sortir d'une mauvaise situation. C'est peut-être en opposition avec des sociétés qui existent encore, en Afrique par exemple.

Sans doute faut-il qu'une autre notion que la fraternité se manifeste pour que l'exclusion disparaisse.

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21 novembre 2007 3 21 /11 /novembre /2007 13:50

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

 

L’évolution de l’Humanité au cours du XXIième siècle

 

 

Présentation de Jean  suivie d’un résumé de la discussion

 

 

 16 novembre 2007

 

 

La présentation s’appuie sur le livre de Jacques Attali « Une brève histoire de l’avenir » (Éditions Fayard) et sur les émissions « Parenthèses » du 30 juin au 1er septembre 2007 (France Inter).

 

Évolution de la faim dans le monde 

 

Nourrir l'humanité ? Un défi face aux 3 milliards d'humains supplémentaires qu'il faudra nourrir en 2050. Cela frise l'impossible alors que la planète va manquer d'eau, de terre et d'énergie...

 

Comment nourrir plus de personnes avec moins de terre, moins d’eau, moins d’énergie..

Et les bio-carburants ? Le réservoir des riches contre l’assiette des pauvres.

Des solutions : de nouvelles plantes demandant moins d’énergie, moins d’eau (1 kg de céréales = 1 tonne d’eau) on peut faire mieux

Cultiver dans les sols salés…

Quand on a faim, on n’a qu’un seul problème, quand on est nourri on en a 50…

 

 

 

Évolution des technologies

 

Au cours du XXIième siècle, les progrès des technologies se concentrerons sur quatre points : les nano-technologies , les biotechnologies, les technologies de l’information, les technologies de la connaissance.

 

A l‘échelle du nanomètre (1 milliardième de mètre), qui correspond à un intermédiaire entre l’atome et la molécule, on ne distingue plus le vivant de l’inerte, et si l’on parvient à agir sur la matière à cette échelle, on peut supposer que l’on pourra agir sur le vivant : pour la bonne cause en guérissant les maladies ou en venant atténuer les handicaps. Mais on ne pourra empêcher l’utilisation de ces techniques en mauvaise part, pour assservir peu ou prou les hommes et les conditionner pour le Marché.

 

Les technologies des neuro-sciences permettront de mettre le cerveau en prise directe avec la machine, ce qui pourra par exemple permettre d’apprendre une langue en quelques heures.

 

Les nano-technologies associées aux sciences de l’information conduiront à développer les techniques de surveillance ; aujourd’hui déjà par l’utilisation de badges divers (cartes de crédit, titres de transport, Velib, péages automatiques….). Dans l’avenir, où un système de surveillance pourra être réduit à la taille d’une poussière, l’idée même de liberté disparaîtra et avec l’accord des intéressés.

 

 

Le catastrophisme 

 

 

Certaines personnes pensent que l’humantité ne survivra pas au XXIième siècle.  Ceci dû à la convergence des menaces : le réchauffement climatique, le terrorisme nucléaire, les applications folles des nouvelles technologies….

 

On peut aussi penser que nous serons sauvés par les nouvelles technologies.

 

 

 

Évolution socio-économique 

 

 

Attali définit l’Ordre Marchand, qui gère les lois du Marché et s’oppose aux gouvernements des nations.

 

Attali distingue quatre phases dans l’évolution :

 

La première est la phase actuelle

 

 

Phase pour laquelle le cœur de l’activité mondiale reste la Californie, après que ce cœur ait été dans le passé successivement sur Venise, Gênes, Anvers, Amsterdan, Londres, Boston, New York.

 

Pendant cette période (encore une quinzaine d’années), le Pouvoir Marchand va se renforcer,s’appuyant sur les idées libérales de la majorité des Etats. Abandonnant beaucoup de fonctions à des sociétés privées, les gouvernements vont s’affaiblir, leurs dépenses diminuant, entraînant la baisse des impôts. Ainsi, pendant cette période, les transports, les retraites, la Poste, les télécommunications seront privatisés.

 

Les technologies électroniques continuant à progresser, les techniques de surveillance des personnes ont progressé et s’imposent avec l’assentiment des personnes surveillées, dans la mesure où elles apportent des éléments de confort : modes de paiement, contrôles d’accès, badges divers, titres de transport…

 

 

 

 

La deuxième phase (2025 – 2035) : Le Poly-centrisme

 

Le cœur de l’activité n’est plus unique, mais s’étend sur un grand nombre de sites, aux Etats-Unis, en Asie et même en Europe : le cœur peut même devenir virtuel et n’avoir aucune localisation particulière.

 

Au cours de cette période, on assistera à la déconstruction des Etats : d’abord toutes les dépenses d’assurance, retraites, épargne.. seront progressivement mutualisées et gérées par des sociétés privées, ce qui diminuera considérablement les dépenses des Etats. Les transports, l’énergie, les communications ne seront plus déjà sous le contrôle des Etats.

 

Les médias passerons très vite sous le contrôle des sociétés privées, surtout par le chantage à la publicité. De même pour la sécurité, qui sera confiée au privé.

            Bref,  le contrat l’emportera sur la loi et l’Etat ayant perdu le contrôle de tout, n’aura plus ni dépense, ni revenu donc plus de pouvoir. Les partis politiques, les syndicats seront en plein désarroi, cherchant en vain des domaines de compétence.

 

Les personnes ne voudront plus donner leur vie pour la défense d’un Etat ; l’armée sera donc d’abord composée de mercenaires puis privatisée.

 

 

La troisième phase (2050) : L’Hyper-Empire

 

Voit la déconstruction totale des nations, les pouvoirs de l’Ordre Marchand ayant dépassé celui des gouvernements des nations : toute l’activité humaine est privatisée, la santé, l’enseignement, la communication, les transports, la police et l’armée…

 

Les compagnies d’assurance tiendront le haut du pavé, régulant les marchés financiers et se portant acquéreur des sociétés produisant des biens et des services. Les premières sociétés seront d’origine américaine comme A.I.G. pour l’assurance, City Group pour la banque, Disney pour la distraction….

 

Le développement de ces entreprises se fera d’autant mieux qu’elles n’auront aucun contrat social à respecter. Se développeront également des entreprises pirates que les Etats n’auront plus la possibilité d’interdire et de combattre : crime, trafics en tous genres, contrefaçons….

 

Les maîtres de l’hyper-empire, que l’on appelera les hyper-nomades, sont les patrons des compagnies d’assurance, des stratèges financiers, des concepteurs d’objets ou de logiciels, détenteurs des sociétés… Ils seront quelques dizaines de millions, hommes et femmes, multi-employés et multi-patrons, sans domicile fixe ou plutôt avec des domiciles partout dans le monde.

 

En dessous de cette classe d’hyper-nomades, ils seront de l’ordre de quatre milliards à constituer la classe des sédentaires consommateurs. Solvables : cols blancs, médecins, architectes, développeurs, infirmières, avocats, enseignants, chercheurs en laboratoires, ouvriers qualifiés, prestataires de service.

La classe laborieuse comptera quelques 5 milliards de personnes ; elle sera composée des ouvriers non qualifiés et des prestataires des services à la personne. De pouvoir d’achat limité, ils intéresseront surtout les sociétés de jeux, et les sociétés pirate (marchands d’illusions, de drogues…).

 

Si l’Ordre Marchand optimise et fait triompher le marché, il ne réduit pas la pauvreté ; près de 4 milliards d’individus, les infra-nomades, vivent en dessous du seuil de pauvreté (2 $ / jour). Ils ne seront pas sédentaires, migrant en masse vers des régions où ils espèrent trouver nourriture et emploi. Les Etats ne pourront plus les indemniser et la croissance économique ne sera pas pour eux. Les infra-nomades seront les proies des entreprises pirates (jeux, drogue…), et seront les acteurs de l’hyper-conflit et les bénéficiaires de l’hyper-démocratie.

 

Les gouvernements des nations étant devenus inexistants, le marché ne peut vivre sans loi : l’expérience montre que le marché devient alors la proie des spéculateurs, des pirates, par lesquels les richesses sont dilapidées, l’environnement saccagé. L’hyper-empire se dotera donc d’une gouvernance, issue des sociétés elles-mêmes, telle qu’elle commence à exister aujourd’hui, comme, par exemple le comité réunissant les banques centrales du monde (Bâle). Cette gouvernance deviendra elle-même un service rendu par des sociétés privées, utilisant des mercenaires pour intervenir.

 

 

La quatrième phase : L’Hyper-conflit

 

 

La fin de la guerre froide laissait penser qu’il n’y aurait plus de conflit majeur, les Etats ayant compris qu’il y avait plus à gagner dans la croissance économique que dans la conquête.

 

Mais quand la concurrence est la règle et les antagonismes deviennent de plus en plus violents : les Etats ne sont plus là pour canaliser les violences.  Les conflits locaux se multiplient, les identités s’affrontent, et les vies n’ont plus de valeur.

 

La multiplication des acteurs, de la sophistication des armes pourra provoquer un embrasement global et plus destructeur que tous les conflits qui l’auront précédé.

 

Les sociétés pirates, qui se nourrissent des trafics en tout genre (drogue, femmes, armes) se mettront vite en mouvement pour participer et attiser le conflit. Les régionalismes réapparaîtront, la Chine souhaitera reprendre Taïwan…., partout les vieux démons resurgiront au Moyen Orient, en Inde et au Pakistan, en Amérique du Sud , en Europe, en Russie, et aussi les luttes intestines d’ordre religieux, régionaliste.

 

 

Et après ?

 

 

L’issue de cet hyper-conflit est incertaine : il peut entraîner la perte de l’humanité ou déboucher sur un équilibre parfait que l’on appelera l’Hyper-Démocratie, où tous les humains trouveront une place et auront droit au bonheur.

 

 

 

Bibliographie :

 

 

- Pour un catastrophisme éclairé – Jean-Pierre Dupuy (le Seuil)

- Les nano-technologies doivent-elles nous faire peur ? - Louis Laurent et Jean-Claude Petit (Éditions du Pommier)

- Nourrir l’Humanité - Bruno Parmentier ( La Découverte )

 

 

 

Résumé de la discussion (Marie-Anne)

 

 

La première réaction de plusieurs membres du groupe est que l’on est en plein délire !

 

L’avenir de l’Humanité tel qu’Attali l’envisage fait penser à Orwell (« 1984 »).

 

La description de la situation actuelle (qui correspond à sa 1ère étape de l’évolution de l’humanité) est cependant assez réaliste. La privatisation de nombreux secteurs est déjà en cours comme c’est le cas, par exemple, pour l’armée (en Irak notamment) même si les mercenaires ont existé depuis que les hommes se battent.

 

Il en est de même de la déconstruction des Etats (et non des nations), elle a déjà largement commencé.

 

Mais, dans l’avenir vu par Attali, tout apparaît dominé par l’évolution quasi-mécanique et inéluctable vers « l’Ordre Marchand » décrit par Attali et c’est comme si l’Homme n’existait pas et ne pouvait avoir aucune influence sur son avenir ; et ceci aussi bien au niveau collectif (les Etats, les Organisation internationales, les Associations, …) qu’au niveau individuel.

 

Un des membres du groupe mentionne à ce sujet un article du Monde de ce jour (daté du 17/11) : « Terre Le dilemme de l’ONU : marché roi ou écologie ». Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) dans un rapport (« GEO 4 ») dresse un tableau alarmant de la situation écologique de la planète et étudie 4 scénarios, d’ici à 2050, du « tout-libéral » (qui correspond grosso modo à l’Ordre Marchand d’Attali) à la « situation écologique ».

 

La prévision d’une évolution vers le « tout-libéral » correspond en fait à la poursuite quasi linéaire de l’évolution actuelle, comme si aucune inflexion n’était possible. Mais l’analyse du PNUE montre que la communauté internationale (et donc les hommes) entend peser sur les choix économiques qui engagent l’avenir de l’Humanité.

 

Pendant la dernière campagne électorale en France et aussitôt après son élection, qui pensait que Nicolas Sarkosy ferait le Grenelle de l’Environnement ? L’OMC, pourtant imaginée pour assurer la suprématie des poids lourds du Marché au niveau international commence à trancher en faveur des pays émergents et même des plus pauvres.

 

Le GIEC devait publier le 17 novembre un « Résumé à l’intention des décideurs » à partir de leur rapport sur le changement climatique. Le protocole de Kyoto a déjà permis quelques avancées et doit être repris et renforcé prochainement.

 

Sans attendre « l’Hyper-Démocratie » d’Attali, des solutions positives (« Humanistes » ?) ont donc déjà  été mises en place et l’évolution vers une « solution économique » est en route, au moins au niveau des mentalités.

 

 

En guise de conclusion, je voudrais vous proposer 2 citations :

 

-         « L’avenir ne se laisse prévoir que longtemps après qu’il a eu lieu » (Christiane Singer)

 

-         « La femme (mais aussi l’homme en général) est l’avenir de l’homme » (d’après Aragon)

 

 

De nombreux commentaires concernant l’ouvrage d’Attali figurent sur le net et les lecteurs de ce blog peuvent également s’y reporter.

 

 

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10 avril 2007 2 10 /04 /avril /2007 11:54

CERCLE DE CHAMAILLEURS

 

 

RESUME DE LA REUNION ANIMEE PAR YVONNE LE 16 NOVEMBRE 2006

 

 

6 chamailleurs présents.

 

Yvonne a présenté le livre Le grand bazar mondial de Laurence Benhamou (écrivaine et journaliste économique à l’AFP), paru en 2005.

 

 

Ce livre fait état des dessous de la mondialisation Il insiste d’abord sur le coût peu élevé de la main d’œuvre en Asie, en Afrique… Il montre aussi que si le niveau économique d’un pays s’élève, il est moins intéressant pour les pays européens d’y délocaliser leur production. Beaucoup de nos produits viennent donc d’Asie, les salaires y étant dérisoires. Dans le domaine du textile, par exemple, les pays les plus intéressants pour les ateliers sont le Pakistan, l’Egypte, la Thaïlande. Une marque de chaussettes (Kindy) a même un site en France qui permet de tester tous les prix de ses produits suivant le lieu où ils sont fabriqués. On pense que dans 3 ans, 8 millions de paires de chaussettes seront fabriquées en Chine. Dans le même domaine la fabrication d’un soutien gorge représente tout un voyage puisque son tissu vient d’une contrée, ses broderies d’une autre… malgré ces voyages, il revient à une somme moins importante que s’il était entièrement fabriqué en France.

 

Certains groupes ont résisté très longtemps à cette dispersion de la fabrication d’un produit comme la Camif (à l’origine coopérative d’enseignants) qui a privilégié la production locale mais elle obéit maintenant aux mêmes lois que les autres.

 

Dans un autre domaine, un type de vélo du groupe Decathlon, celui qui est le plus vendu dans le monde, a des pièces venant de 30 pays différents : Chine, Portugal, France, Belgique, Suisse…

 

Dans le rayon alimentation, la poêlée de légumes Bonduelle contient des choux de Pologne, des poivrons de Turquie, des tomates d’Espagne…. La marque « le Cabanon » spécialiste de tomates, n’a de provençal que son nom et son logo. Ses tomates viennent d’autres pays.

 

Les marques les plus connues ou les plus prestigieuses ont la même stratégie : par exemple, Roche Bobois, fait venir son bois de Croatie, Descamps importe ses draps tissés du Népal...

 

Il faut dire aussi que tous ces produits importés sont de grande qualité, par exemple les lunettes, les bagages. L’industrie automobile assemble des pièces dans tous les pays. Beaucoup de chaussures viennent de Chine.
Mais jusqu’où ira-t-on ? Que vendre aux Chinois par exemple pour rétablir la balance commerciale ? Les ouvertures de magasins « Carrefour «  en Chine ne suffisent pas pour cela. Va-t-on réagir avec la protection de nos produits (Halte aux vêtements chinois ! Halte aux vins qui ne viennent pas de nos terroirs !).

 

 

Suit un débat où plusieurs questions seront posées :

 

-          qu’en est-il dans ce cadre de l’exploitation des enfants, des travailleurs… ?

 

-          les transports n’ont pas réellement un coût important ?

 

-          quel est le rôle des associations de consommateurs ?

 

-          un quota est-il exigé pour le fameux made in France ?

 

-          des changements ne risquent-ils pas de se produire, vu l’évolution de certains pays ? (Exemple des révoltes en Chine contre les conditions de travail).

 

-          On en vient au problème de gens qu’on fait venir en France et qui ne travaillent pas dans les mêmes conditions que les travailleurs français (en particulier certains seraient payés comme dans leur pays d’origine).

 

-          On sait aussi que certains pactes de non exploitation existent pour certains groupes (ne pas exploiter les enfants) et dans son catalogue, Ikéa évoque son engagement contre l’utilisation du bois abattu dans des forêts vierges ou à haute valeur de conservation. Il existe même une brochure « responsabilité sociale et environnementale sur le site d’Ikéa.

 

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10 avril 2007 2 10 /04 /avril /2007 11:46

EXPERTS ET EXPERTISE

 

(Réunion du 11 février 2002)

 

 

 

PRESENTATION PAR JEAN

 

 

« Un qui sait vaut plus que deux qui cherchent »

 

Définition : L’expert n’est pas exactement l’homme de sciences.  Le scientifique est une personne qui détient un certain nombre de connaissances scientifiques sur des sujets précis dûment vérifiées par des diplômes. Le champ de l’expert est plus flou. Mais il est reconnu par ses pairs, par des institutions. Il est mis sur une liste révisable de personnes habilitées à donner un avis éclairé dans tel ou tel domaine.

 

Champ d’action :

 

-          L’expert peut être amené à donner un avis devant la justice pour aider le juge à trancher un différend. Avec l’augmentation des procès en responsabilité, le nombre d’experts est en voie d’augmentation ;

 

-          Devant la complexité des questions, des entreprises peuvent avoir besoin d’un expert pour les aider dans la prise de décision ;

 

-          Face aux contrefaçons, pour les questions de consommation… ;

 

-          Dans les procès en responsabilité des médecins.

 

Catégories :

 

-          Faire le point des connaissances, des moyens, des équipes pour connaître l’aptitude à traiter une question ;

 

-          Aide à la décision pour obtenir un certain résultat ;

 

-          Evaluation des méthodes et éventuellement des défauts ;

 

-          Evaluation des résultats.

 

Expertise et décision :

 

-          Groupe de normalisation ; avis de l’expert validé par le groupe, nécessité de faire appel à des personnes de spécialité différentes ; pour dire les norme d’un siège pour enfant dans les voitures par exemple ;

 

-           Le plus souvent l’expert et le décideur sont des personnes très différentes ;

 

-          Cela pose la question de la responsabilité de l’un et de l’autre.

 

Expert : Il peut être seul (ingénieur conseil) ou en équipe, un cabinet d’experts mais c’est « Le » expert qui signe qui est seul responsable de l‘expertise après avoir consulté éventuellement les autres experts sur des points qui peuvent être en dehors de  sa compétence directe.

 

Comment devient on expert :

 

-          Il faut être reconnu par de gens compétents qui vont évaluer sa capacité d’expertise et lui donner l’habilitation : groupe professionnel, chambre de commerce… Dans le secteur public, il y a des listes d’experts agréés.

 

-          Il est plus facile de devenir expert que de le rester ;

 

-          Pour être expert, il faut aussi avoir une certaine souplesse. L’aptitude à l’expertise est aussi jugée sur le comportement.

 

Limites de l’expertise : « dis-moi qui te paye, je te dirai ce que tu penses ». En clair, les réponses de l’expert doivent répondre à l’attente de celui qui demande l’expertise. D’où les batailles d’experts. Demandes de contre-expertises. Qui peuvent être utilisées comme mesure dilatoire pour laisser passer l’orage.

 

 

DISCUSSION

 

-          Scientifique et expert : L’expert doit être un scientifique mais aussi un homme d’expérience, ayant une expérience professionnelle. Placé dans des situations ou devant des problèmes complexes, ses conclusions ne sont pas réellement du domaine de la science mais en fonction de ses connaissances scientifiques, il porte un jugement qui doit éclairer, aider les personnes qui lui ont demandé l’expertise.

 

-          Ce rôle du demandeur dans le résultat de l’expertise peut aller plus loin : l’expert peut être chargé par le demandeur non de faire le point sur la question mais d’apporter les arguments que recherche le demandeur dans son seul intérêt.

 

-          L’expertise peut nécessiter une équipe interdisciplinaire.

 

-          La notion d’expert qui d’une certaine façon date de tous les temps, on peut en trouver trace dans la bible, tend à se développer à cause du développement des procès en responsabilité à tous les niveaux depuis le niveau criminel jusqu’à la responsabilité médicale en passant par les accidents (Tunnel, Aéroport…)

 

-          Conseil et expert : dans certains cas, l’expert n’est qu’un conseiller. Il n’est pas là pour dire la vérité mais pour aider. Comme l’avocat qui est une conseiller (qui met son expertise juridique, technique, sa connaissance du milieu juridique au service de).

 

-          La notion d’expert déborde largement le cadre juridique. On le retrouve au niveau politique, éthique et même individuel.

 

o        Au niveau politique, il existe auprès des décideurs :

 

§         au niveau scientifique quelle mesure sanitaire faut-il prendre ? Exemple du sang contaminé mais aussi faut-il arrêter telle vaccination (variole, Bcg) en fonction de quel rapport avantages-coûts, financiers ou humains.

 

§         Au niveau politique proprement dit : conséquence de telle ou telle mesure sur l’opinion publique, étude d’impact de telle décision (tracé du TGV sur la faune, la flore, les eaux…)Il faut là faire attention au choix qui présume de la réponse : le ministre qui veut faire passer une loi va désigner un ou des « experts » qu’ il connaît bien et qui vont lui fournir le rapport « scientifique », « objectif » qui justifie le choix qu’il avait fait avant de désigner l’expert.

 

o        Au niveau éthique, les comités sont constitués de personnes « compétentes » au niveau scientifique et au niveau philosophique, moral… pour donner des avis sur des questions de société difficiles à trancher

 

o        Au niveau personnel, dans un moment difficile, une personne peut être amenée à consulter quelqu’un qui l’aidera à prendre une décision, à définir un comportement (du directeur de conscience au psychiatre).

 

o        Commission de mise sur le marché du médicament : les experts ont souvent des liens avec le laboratoire qui demande l’AMM (Autorisation de mise sur le marché). Corruption mais aussi nombre limité de personnes qui connaissent vraiment la question et qui ont souvent travaillé avec le laboratoire ou qui ont des travaux financés par le laboratoire ou qui se connaissent…

 

CONCLUSION

 

            L’expert est un homme ou un groupe d’homme qui met ses connaissances son expérience au service de son jugement qui ne doit pas être perçu comme l’objectivité scientifique. Encore moins quand ce jugement est demandé par une personne, une personnalité ou une administration qui a un point de vue à défendre.

 

            Par ailleurs, l’invasion de l’expertise auréolée de sa compétence, dans des domaines où il n’existe pas de vérité scientifique, peut être utilisée à des fins de manipulation de l’opinion publique. On est tenté de présenter comme objectives, scientifiques, nécessaires des mesures qui sont en réalité des choix politiques (réforme des retraites par exemple). Dans ces cas, l’expertise sert à déqualifier l’opinion du citoyen de base qui est renvoyé à son incompétence et à qui on demande de se soumettre à l’avis des compétents.

 

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10 avril 2007 2 10 /04 /avril /2007 11:34

 

 

CERCLE DES « CHAMAILLEURS »

 

 

L’insécurité sociale

 

(présenté par Paul)

 

 

Réunion du 12 mai 2004

 

 

Compte-rendu

 

 

 

On trouvera en annexe le texte rédigé par Paul.

Pour résumer notre soirée, je ne trouve pas mieux que le texte que Paul nous a envoyé en préalable de notre réunion, texte que je reproduis donc ci-après :

 

« Autrefois l’homme était défini par sa situation dans le groupe, cela entraînait pour lui contrainte et protection. L’homme moderne a été libéré du groupe, lui enlevant la contrainte, en le rendant plus libre, mais lui enlevant aussi la protection. D’où une insécurité insupportable..

Sauf posséder des biens, qui rendent l’homme libre, l’État libéral assure la sécurité civile des biens et des personnes, les propriétaires ayant, par leurs possessions, la sécurité sociale. Ce n’est que secondairement que s’est posée la question de la sécurité sociale des non-possédants. Cela s’est fait par la propriété sociale : les prélèvements sociaux effectués par l’État national donnent des droits attachés à l’emploi (lois sociales, maladie, chômage, accidents, vieillesse).

Avec l’hégémonie du marché et de l’entreprise, l’État national devient un obstacle à la concurrence, d’autant que se développe le chômage de masse, le vieillissement de la  population, la flexibilité du travail. La société salariale a relativement satisfait les besoins de protection. Cette protection est ressentie comme un droit, une seconde nature, au moment où des risques incontrôlés et incontrôlables apparaissent (de la vache folle à Tchernobyl) et où la société salariale est mise en question par le tout-marché. D’où la nécessité de maîtriser le marché et d’inventer les nouveaux droits, attachés non plus à l’emploi mais à la personne. »

 

 

Notre discussion a amené les commentaires suivants :

 

       * une augmentation de la sécurité, tant civile que sociale, induit un sentiment d’insécurité et une demande croissante de sécurité.

 

       * si l’on veut continuer à associer la protection sociale au travail, il faut imaginer que les lois sociales sont les mêmes dans le monde entier ; ceci est utopique.

 

       * un secours, attribué sans contrepartie, enferme le bénéficiaire dans la précarité, voire dans sa déchéance.

 

       * si le droit social est attaché à la personne, il faut éviter l’assistanat, mais associer ce droit à un effort à fournir ou un rôle à jouer dans la société.


 

L’INSECURITE SOCIALE. Qu'est-ce qu'être protégé ?

 

Robert Castel La République des idées Seuil, 96 pages, 10,5 €

 

 

Introduction
Protections civiles : libertés fondamentales et sécurité des biens et des personnes dans Etat de droit.

 

Protections sociales : principaux risques de dégradation de la situation des individus, maladie, accident, vieillesse, pouvant aboutir à la déchéance sociale.

 

De ce double point de vue, sociétés occidentales actuelles sont les plus sûres qui aient existé.

 

Communautés : luttes intestines, justice expéditive, arbitraire permanent, guerre, insécurité sociale permanente, vivre au jour la journée…

 

Sociétés assurantielles : la sécurité sociale est devenue un droit pour l'immense majorité des gens : institutions sanitaires et sociales prennent en charge santé, éducation, incapacités de l'âge, déficiences physiques, mentales :.

 

Mais préoccupations sécuritaires omniprésentes : formes massives de violence et de déchéance sociale largement jugulées, souci de la sécurité est une préoccupation populaire. L'insécurité moderne n'est pas l'absence de protections mais une recherche sans fin de sécurité qui crée l'insécurité. La sécurité et l'insécurité sont les rapports aux types de protections qu'une société assure ou n'assure pas. Autrement dit, être protégé, c'est aussi être menacé.

 

Les sociétés modernes construites sur l'insécurité parce que sociétés d'individus qui ne trouvent ni en eux mêmes, ni dans leur entourage immédiat, la capacité d'assurer leur protection. La promotion de l'individu, promeut sa vulnérabilité en même temps qu'elles le valorisent.

 

Le sentiment d'insécurité n'est pas proportionnel aux dangers : effet d'un décalage entre une attente socialement construite de protections et capacités d'une société à les mettre en œuvre. L'insécurité, envers d'une société de sécurité.

 

Frustration sécuritaire : Parce que les programmes protecteurs ne peuvent jamais être pleinement accomplis et produisent déception et même ressentiment. Parce que leur réussite en fait émerger de nouveaux. C'est le cas aujourd'hui avec l'extraordinaire explosion de la notion de risque.

 

 

Chapitre 1 - La sécurité civile dans l'Etat de droit

 

Sociétés pré-modernes,

 

- Sécurité interne : famille, lignage et groupes de proximité. L'individu défini par sa place dans le groupe : sécurité est sur la base d'appartenance directe à une communauté : protection rapprochée. Occident médiéval : sociétés encadrées, assurées, nanties. Ces sociétés exposées à la guerre, disettes, épidémies qui menacent la communauté du dehors.
- Insécurité interne : portée par individus, groupes détachés des systèmes de dépendance-protection communautaires : le vagabond, hors territoire, hors travail. Variante : brigand, bandit, hors la loi.

 

Modernité et vulnérabilité

 

L'individu est reconnu pour lui-même. Une société d'individus n'est plus une société mais un état sans loi, sans droit, sans constitution, sans institutions : société d'insécurité totale. La loi du plus fort ne peut stabiliser la situation, David peut tuer Goliath. Le besoin d'être protégé devient un impératif catégorique : société de sécurité. Sécurité = condition pour que les individus puissent "faire société".

 

Hobbes : Etat absolu seul moyen de garantir sécurité des personnes et des biens (Léviathan). Max Weber : l'Etat doit avoir le monopole d'exercice de la violence.
Contrepartie : l'Etat absolu libère les individus de la peur et leur permet d'exister librement dans la sphère privée, ménage croyances et possibilité d'entreprendre et de jouir des fruits de son industrie. Etre protégé n'est pas un état naturel. C'est une situation construite. L'insécurité est consubstantielle à la coexistence des individus dans une société moderne. La sécurité a un coût.

 

Parce que l'individu n'est plus pris dans les réseaux traditionnels dépendance-protection, la propriété protège. Assure l'autonomie du citoyen, de ses opinions, de ses choix. On ne peut soudoyer pour s'assurer de son vote, ni intimider pour se constituer une clientèle. La propriété dans une République moderne support grâce auquel le citoyen peut être reconnu comme indépendant.

 

Locke: l'existence d'un Etat nécessaire pour que l'individu dispose de la liberté de développer ses entreprises et de jouir en paix des fruits de son travail : propriété des biens et de soi garantit l'indépendance des citoyens. L'Etat libéral pour protéger les personnes et leurs biens. Etat minimal ? Etat gendarme ?
Etat de droit s'interdit en principe de s'immiscer dans autres sphères. Rigoureux dans la protection des personnes, de leurs droits, impitoyable contre les ennemis de la propriété. Surtout si collectifs. D'un coté, légalisme juridique, de l'autre recours parfois brutal à la force armée.

 

Ce n'est pas par hasard que la propriété privée figure dans la DDHC. Les sans culotte ne pas supprimer la propriété mais la restreindre et en aménager l'accès à tous les citoyens.

 

Sécurité publique et libertés publiques
L
es libéraux prétendent assurer la protection de individus fondée sur l'Etat de droit et leur protection sociale fondée sur la propriété privée. Pour la classe possédante, la propriété constitue l'institution sociale qui rend toutes les autres à peu prés superflues (Charles Gide). Inutile "social"…

 

Les propriétaires se protègent eux-mêmes dans le cadre légal d'un Etat qui protège la propriété : sécurité sociale absolue. Sécurité civile par Etat de droit qui garantit l'exercice des libertés fondamentales.

 

La sécurité ne peut être totale que si l'Etat est absolu, s'il a le pouvoir d'écraser sans limitation toutes les velléités d'attenter à la sécurité des personnes et des biens…

 

Un Etat démocratique ne peut être protecteur à tout prix, le respect du droit dans l'usage de la force, y compris de la force publique, limite au pouvoir absolu, crée, indirectement mais nécessairement, les conditions d'une certaine insécurité. Ex : le contrôle de la magistrature sur la police limite sa liberté d'action. Le délinquant pourra en tirer partie d'où critique du laxisme de la magistrature …

 

Il faudrait, Rousseau, que tous les citoyens fussent vertueux ou qu'on les oblige à l'être. La vertu n'est pas spontanée, la sécurité absolue des personnes et des biens n'est jamais complètement assurée dans un Etat de droit…
Distance énorme qui sépare l'obsession sécuritaire des menaces objectives qui pèsent sur les personnes et les biens dans notre société comparée à plus de la moitié de la planète ou en France il y a cent ans. Mais ce n'est pas un fantasme parce que cela traduit un type de rapport à l'Etat des sociétés modernes. L'individu survalorisé, fragile et vulnérable, exige de l'Etat qu'il le protège. Le sentiment d'insécurité provient du caractère radical de la demande de protection, infinie… Mais dans le même temps exigences de respect de la liberté et de l'autonomie des individus dans un Etat de droit.

 

La sécurité est un droit qui ne peut s'obtenir sans l'utilisation de moyens qui s'avèrent attentatoires au droit.

 

 

Chapitre II : Sécurité sociale dans l'Etat, protecteur
Insécurité = sociale et civile. Sentiment d'insécurité = conscience d'être à la merci des événements maladie, accident, chômage, âge. Incapacité de gagner sa vie en travaillant remet en question l'appartenance sociale de l'individu qui tirait les moyens de subsistance du salaire.

 

L'insécurité sociale est une expérience qui a traversé l'histoire, discrète : ceux qui l'éprouvaient n'avaient pas la parole - sauf quand explosait en émeutes, révoltes et autres "émotions populaires"…

 

Par rapport à la dimension massive de l'insécurité, l'idéologie de la modernité a fait preuve d'une formidable indifférence. L'indépendance de l'individu s'est construite sur la propriété couplée avec un Etat de droit censée assurer la sécurité : absence de statut de l'individu non propriétaire. Pour l'abbé Sieyès, foule immense d'instruments bipèdes sans liberté, sans moralité, possédant des mains peu gagnantes et une âme absorbée.

 

La propriété ou le travail

 

Cette question n'a pas été prise en compte dans la construction de l'Etat libéral. Sauf Harmand (Montagnard) : Comment les institutions sociales peuvent-elles procurer à l'homme cette égalité de fait que la nature lui a refusée sans atteinte aux propriétés territoriales et industrielles ?

 

1820 : découverte du paupérisme entraîne philanthropie et paternalisme patronal. La modernité libérale se construit sur une double exclusion : catégories populaires dans les nations développées et reste de l'humanité.

 

Conséquence : misère des ouvriers de l'industrialisation et de leur famille, insécurité sociale permanent des catégories populaires d'où pauvreté, démoralisation, dissociation sociale, dissolution des liens sociaux.

 

Etre dans l'insécurité permanente = ne maîtriser ni le présent, ni anticiper positivement l'avenir : la fameuse "imprévoyance" des classes populaires des moralistes du XIX°.

 

Telle est la face d'ombre de l'Etat de droit. Evite de poser la question de Hobbes : comment assurer la sécurité de tous les individus dans le cadre de la nation ? Le clivage propriétaire/non propriétaire se traduit par le clivage sujets de droit/sujets de non droit si on entend par droit le droit de vivre dans la sécurité civile et sociale. Ou alors le droit n'est que formel (Marx)?

 

Est-il possible d'y faire face ? R. CASTEL travaille la simple variable d'ajustement. Pour gagner, on rogne sur les salaires et les sécurités attachées à l'emploi. La solution serait d'établir une sorte de compromis social entre les exigences du marché et un minimum de sécurité et de protection pour ceux et celles qui produisent ces richesses. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Comment définiriez-vous l'insécurité sociale ? R. CASTEL : Les prolétaires du XIXe siècle sont dans une insécurité sociale permanente : le travailleur n'ayant que son travail pour survivre vit dans l'insécurité sociale à la merci d'un accident ou d'une maladie. Lorsqu'il est trop vieux pour travailler, il risque de croupir à l'hospice en attendant d'y mourir. On était sorti de cette situation grâce à la sécurité sociale. Les ordonnances de 1945 affirment le principe d'une sécurité sociale généralisée contre les principaux risques sociaux : accident, maladie, vieillesse indigente. Elle s'est constituée essentiellement par l'attachement des sécurités, protections et droits au travail. La retraite, par exemple, est une sécurité pour l'avenir du vieux travailleur déjà cité plus haut. C'est au moins, pour lui, un minimum de ressources, de droits et d'indépendance, car il ne dépend plus de l'assistance ni de ses enfants pour vivre. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte
Quelles sont ses conséquences sur les personnes ?  R. CASTEL Les libéraux disent que l'individu est libéré d'un certain type de contraintes pesantes. Il est donc plus libre et disponible pour réaliser ses capacités et entreprendre. C'est le discours du Medef. Or, oublie que tous ne sont pas égaux pour faire face à ces transformations. Certains peuvent y gagner, mais d'autres - les plus nombreux - perdent leur système de protection. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Comment en sortir ?

 

En attachant des protections fortes au travail : Le travail est devenu un emploi : un statut qui inclut des garanties non marchandes ; droit à un salaire minimum, protections du droit du travail, couverture des accidents, la maladie, droit à la retraite. La situation du travailleur cesse d'être condition précaire, devenue la condition salariale : presque tous les individus sont couverts par des systèmes de protection. La société salariale est une société dans laquelle l'immense majorité de la population accède à la citoyenneté sociale à partir, d'abord, de la consolidation du statut salarial.

 

En construisant un nouveau type de propriété conçue et mise en œuvre pour assurer la réhabilitation des non-propriétaires, la propriété sociale. La propriété sociale : production d'équivalents sociaux des protections auparavant seulement données par la propriété privée : la retraite n'est pas une mesure d'assistance, elle est un droit construit à partir du travail. Propriété du travailleur non dans la logique du marché mais à travers la socialisation du salaire (salaire indirect). L'Etat rôle central dans la mise en place de ces dispositifs, rôle social comme réducteur de risque.

 

Quelles en sont les causes ? R. CASTEL Le chômage de masse facteur d'insécurité sociale, la précarisation. Il y a trente ans, un travailleur presque assuré de garder son travail tout au long de sa vie. La stabilité permettait la propriété. Possibilité de faire des projets sur la base d'une condition salariale solide et permanente. Si l'on vit dans la précarité, cette sécurité se perd Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Une société de semblables

 

La solution à l'insécurité sociale n'est pas passée par la suppression ou le partage de la propriété privée. N'a pas réalisé l'égalité des conditions sociales. La société salariale est fortement inégalitaire mais aussi fortement protectrice. Qui a permis une certaine tolérance aux inégalités. Il ne s'est pas constitué une importante classe moyenne.

 

Ce n'est pas une société d'égaux mais de "semblables" : société différenciée, hiérarchisée mais dont les membres peuvent entretenir des relations d'interdépendance parce qu'ils disposent d'un fonds de ressources communes et de droits communs. L'Etat social est le garant de cette construction.

 

Le rôle principal de l'Etat social n'a pas été de réaliser la redistribution qui a très peu affecté les structures hiérarchiques. Rôle protecteur essentiel. Petit salaire, petite retraite. Conditions minimales pour pouvoir faire société avec ses semblables.

 

La propriété sociale a réhabilité la "classe non propriétaire" condamnée à l'insécurité sociale.
Etat réducteur de risques sociaux.

 

La croissance a permis la gestion régulée des inégalités de l'insécurité sociale dans la société salariale. Insatisfaction et frustration vécues comme provisoires. Le moment fort de la croissance de l'Etat garantit la protection sociale généralisée. Ce qui compte, ce sont les droits acquis au groupe auquel on appartient. L'avoir a moins d'importance que le statut collectif défini par un ensemble de règles.

 

Dans une convention collective, ce n'est plus l'individu qui contracte, il s'inscrit dans un collectif qui fait sa force face à l'employeur. Il est protégé en fonction de ses appartenances qui ne sont plus la participation directe à des communautés "naturelles" (protection rapprochée de la famille, du voisinage, du grouper territorial) mais des collectifs construits par des réglementations, généralement un statut juridique : collectifs de travail, collectifs syndicaux, régulations collectives du droit du travail et de la protection sociale.

 

 

Chapitre III : La remontée des incertitudes

 

Crise de la modernité organisée : le libéralisme a échoué à réaliser la promesse d'une société appliquant les principes d'autonomie des individus et d'égalité des droits pour l'ensemble. La société ne peut se fonder exclusivement sur un ensemble de rapports contractuels entre individus libres et égaux car elle exclut la majorité des travailleurs dont les conditions d'existence ne peuvent assurer l'indépendance sociale nécessaire pour  entrer à parité dans un ordre contractuel. Cela passe par la construction de droits sociaux et par l'implication croissante de l'Etat dans un rôle social. Le poids de la grande entreprise, l'organisation standardisée du travail, la présence de syndicats puissants assurent la prépondérance de ces formes de régulations collectives. Les travailleurs groupés dans de grandes associations qui les défendent se plient aux exigences du développement et en contrepartie bénéficient de protections étendues sur la base de conditions de travail stables. Géré dans le cadre de l'Etat-nation.

 

Individualisation et décollectivisation
Affaiblissement de l'Etat national social garantissant un ensemble de protections dans le cadre géographique et symbolique de la nation, un développement équilibré, économique et social, en vue du maintien de la cohésion sociale. Depuis les années 70, l'Etat est de moins en moins capable de ce rôle. Avec la concurrence internationale, le leadership passe à l'entreprise. L'Etat alors contre-productif par les surcoûts qu'il impose au travail pour le financement de ses charges sociales et par les limites qu'il apporte à la recherche de la compétitivité maximale à n'importe quel coût social.
Affaiblissement de la prise en charge de la défense des intérêts des salariés par les grandes formes d'organisations collectives.

 

Le chômage remet tout en question. La solidarité des statuts professionnels se transforme en concurrence entre égaux. La restructuration du monde du travail vise une gestion fluide et individualisée du travail à la place d'une gestion collective sur la base d'un emploi stable : mise en mobilité généralisée des relations de travail, des carrières, protections. Et en même temps décollectivisation, réindividualisation, insécurisation. L'individualisation des tâches impose mobilité, adaptabilité, disponibilité.

 

Les trajectoires professionnelles deviennent mobiles : modèle biographique : chaque individu doit prendre en charge les aléas d'un parcours professionnel discontinu, faire des choix, des reconversions. Le travailleur = entrepreneur de lui-même, "faire son poste plutôt que l'occuper". Chacun doit assumer le changement, se prendre en charge. L'opérateur est libéré des contraintes collectives, ils est obligé d'être libre, sommé d'être performant, tout en étant livré à lui-même.

 

Tout le monde n'est pas également armé pour. Les néo-libéraux oublient que cette mise en mobilité générale introduit de nouveaux clivages dans le monde du travail et dans le monde social. Il y a des gagnants et ceux qui ne peuvent faire face. Pour ceux qui ne disposent pas des capitaux - économiques, sociaux, culturels - les protections sont collectives ou ne sont pas.

 

Le retour des classes dangereuses

 

Deux lectures possibles de cette dégradation :

 

désocialisation des individus : les exclus sont des collections, non des collectifs, définis sur une base négative. Personne et pas même les exclus, n'existe dans le hors social et la décollectivisation elle-même est une situation collective.
Des groupes en mobilité descendante dont la commune condition se dégrade, le sentiment d'insécurité se développe, sentiment d'être laissé pour compte - modernisation oblige. Désarroi de ne plus avoir d'avenir vécu individuellement mais réaction collective, marquée de ressentiment. Mélange d'envie et de mépris qui joue sur un différentiel de situation sociale et fixe les responsabilités sur les catégories sociales juste au dessus ou juste au dessous. Le poujadisme contre les fonctionnaires avec des revenus moyens mais censés travailler moins. C'est une frustration collective qui cherche responsables ou boucs émissaires.
La modernisation a pris une dimension mondiale, les plus affectées ne sont plus la France traditionnelle -paysannerie, petit commerce. Mais de larges franges de la classe ouvrière intégrées durant les années de croissance, employés les moins qualifiés, jeunes d'origine populaire qui seraient passés de l'école, à l'apprentissage  et à l'emploi stable; On assiste à une déqualification de masse. CAP, BEI dévalorisés condamnent leurs détenteurs à l'immobilité.
Pour courir le risque d'une mort sociale, jouer le jeu du changement, de la mobilité, de l'adaptation permanente, du recyclage incessant, certains particulièrement mal armés, on s'en est peu soucié : l'imposition de la flexibilité rarement associée à des mesures d'accompagnement. Dès lors, au mieux, ces groupes sont les soutiers d'une économie mondialisée, au pire, "inemployables", condamnés à survivre. C'est là un puissant facteur d'insécurisation.
Autrefois, envie et mépris du travailleur indépendant à l'égard du salarié à statut qui accapare les avantages sociaux, aujourd'hui, racisme à l'égard des immigrés réputés moins compétents, plus dociles, cumulant les aides sociales. Le ressentiment comme réponse sociale au malheur social cible les groupes les plus proches. C'est une réaction de petit blanc.
Le problème des banlieues : Cumulent les facteurs d'insécurisation : taux de chômage, emplois précaires, activités marginales, habitat dégradé, urbanisme sans âme, promiscuité entre origines différents, jeunes désœuvrés, visibilité des pratiques délinquantes. L'insécurité sociale et l'insécurité civile se recoupent et s'entretiennent l'une l'autre.
A partir de là, diabolisation des banlieues, stigmatisation des jeunes, relèvent d'un déplacement de la conflictualité sociale. Les banlieues, abcès de fixation de l'insécurité : retour des classes dangereuses c'est à dire cristallisation sur des groupes particuliers aux marges, de tout ce qu'une société porte de menaces. Avant hier, le vagabond. Hier, les prolétaires qui "campent au sein de la société sans y être casés".
Faire de ces jeunes le noyau de la question sociale, devenue la question de la insécurité qui menace les fondements de l'ordre républicain a certains avantages. Evite de prendre en compte l'ensemble des facteurs à l'origine du sentiment d'insécurité et qui relèvent au moins autant de l'insécurité sociale que de la délinquance. Elles permettent de mobiliser des moyens qui, s'ils ne sont pas toujours efficaces, montrent que l'on fait quelque chose sans avoir à prendre en charge des questions bien plus délicates : chômage, inégalités, racisme qui sont à l'origine du sentiment d'insécurité.
L'ennemi de l'intérieur est toujours aux marges, semble venir d'ailleurs, ne parait pas partager les valeurs culturelles dominantes.

 

La répression n'a pas du être très efficace puisqu'elle a duré plusieurs siècles. Les causes en étaient la misère de masse et le verrouillage du marché du travail par  les corporations bloquant l'embauche. Jusqu'à la loi La Chapelier.
C'est payant seulement à court terme.
Glissement de l'Etat social vers l'Etat sécuritaire.
Un Etat purement sécuritaire se condamne à creuser une contradiction entre l'exercice d'une autorité sans faille, l'Etat gendarme, pour assurer la sécurité civile et un laxisme face aux conséquences du libéralisme économique qui alimente l'insécurité sociale.

 

 

Chapitre IV : Une nouvelle problématique du risque
Depuis les années 80, difficulté croissant à être assuré contre les principaux risques sociaux. D'où une insécurisation face à l'avenir et un désarroi qui peuvent aussi alimenter l'insécurité civile surtout dans les territoires comme les banlieues où se cristallisent les principaux facteurs de dyssocialité sociale.

 

Risques, dangers et dommages
Au moment où les systèmes de sécurisation sont fragilisés apparaît une nouvelle génération de risques ou de menaces : risques industriels, technologiques, sanitaires, naturels, écologiques…

 

La prolifération des risques apparaît étroitement liée à la promotion de la modernité. Ce n'est pas le progrès social mais un principe d'incertitude qui caractérise la société moderne, société du risque. L'insécurité comme horizon indépassable de la condition de l'homme moderne.

 

Si être protégé c'est être en mesure de faire face aux principaux risques de l'existence, cette assurance doublement prise en défaut : par l'affaiblissement des couvertures "classiques" par une sentiment général d'impuissance devant les nouvelles menaces

 

L'hypersensibilité aux risques fait de la recherche de la sécurité une quête infinie, toujours frustrée. Il faut distinguer : les aléas de l'existence qui peuvent être maîtrisés parce que socialisables et les menaces dont il faudrait reconnaître l'existence sans pouvoir s'en prémunir et donc les accepter comme des limites, provisoires peut-être.

 

Un risque est un événement prévisible dont on peut estimer les chances de se produire et le coût des dommages qu'il produira. Il peut être indemnisé car il peut être socialisé. La généralisation de l'obligation d'assurance qui implique la garantie de l'Etat a été la voie royale de "la société assurantielle". C'est un modèle solidariste ou mutualiste qui est à la base de la couverture des risques sociaux.

 

Une société du risque ne peut être sécurisée de la même façon. Les nouveaux risques sont largement imprévisibles, peu calculables, ont des conséquences irréversibles incalculables : éventualités néfastes plus que risques, menaces, dangers d'advenir
Imprévisibilité, gravité, irréversibilité pousse à envisager le pire et à prendre des mesures pour l'éviter. Décimer un cheptel pour éviter des probabilités inchiffrables de dommages. Afin d'éviter une éventualité improbable et qui n'est pas probabilisable, on produit des dommages très réels.

 

Culture du risque.

 

Cependant une société ne peut éradiquer la totalité des dangers dont l'avenir est porteur. Les risques les plus prégnants jugulés, le curseur de la sensibilité aux risques se déplace et en fait affleurer de nouveaux.

 

Le principe du risque alimentaire "zéro'" serait de s'abstenir de manger (principe de précaution), C'est impraticable, restent la suspicion et l'anxiété : l'insécurité est aussi dans l'assiette.

 

Pour les nouveaux risques, il faut se demander si leur prolifération ne comporte pas aussi une dimension sociale et politique, alors qu'elle est généralement présentée comme la marque d'un destin inéluctable, un aspect fondamental de la modernité dans une société d'individus.
Les "risques" ne sont pas démocratiquement partagés. Les industries les plus polluantes sont dans les pays en développement et affectent les plus démunis en moyens d'hygiène et de sécurité, la prévention ou la réparation des dommages.

 

Plutôt que de risques, il vaudrait mieux parler de dommages et de nuisances. Il faudrait proscrire ces nouvelles formes planétaires d'exploitation ou tout au moins imposer aux multinationales des régulations sévères compatibles avec un développement durable. Mise en place d'instances politiques transnationales.

 

Privatisation ou collectivisation des risques

 

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