CERCLE DES CHAMAILLEURS
Mardi 11 septembre 2012
Un monde sans Wall-Street
Présentation par Jean
C’est le titre du livre de François Morin, qui a servi de base à la présentation qui suit.
L’auteur, François Morin, professeur de Sciences Économiques à l’Université de Toulouse, a été membre du Conseil Général de la Banque de France et du Conseil d’Analyses Économiques.
Toutes les idées, bonnes ou mauvaises, exposées dans ce livre, sont de la responsabilité exclusive de François Morin ; cependant, l’auteur a pu bénéficier de discussions avec des responsables politiques. A cet égard, il remercie Lionel Jospin, Jean Le Garrec, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade et Jean-Claude Trichet.
« Mais, nous vaincrons puisque nous sommes la justice ! Tenez, vous voyez ce monument devant vous, vous le voyez ? La Bourse, dit Saccard, parbleu oui, je la vois, ce serait bête de la faire sauter... on la rebâtirait ailleurs. Je vous prédis qu’elle sautera d’elle-même, quand l’État l’aura expropriée, devenue logiquement l’unique et universelle banque de la Nation… et, qui sait, elle servira d’entrepôt public à nos richesses trop grandes, un des greniers d’abondance où nos petits fils trouveront le luxe de leurs jours de fête.»
Extrait de « L’argent » d’Émile Zola (1891).
Les économistes, actuellement au pouvoir, ne raisonnent qu’en fonction de leur doctrine : le néo-libéralisme, doctrine basée sur le pouvoir absolu et sacro-saint des « MARCHÉS ».
Introduction
Les marchés financiers ont beau déclencher des crises à répétition, très peu d’experts, et, encore moins de gouvernants, n’osent imaginer un monde sans la liberté et le pouvoir de ces marchés, bref un monde sans Wall-Street.
Pourtant, comme l’explique ici un des meilleurs économistes français, c’est le pas décisif qu’il faut franchir au plus vite pour éviter une nouvelle catastrophe.
L’auteur pose un diagnostic précis sur les impasses d’un monde avec Wall-Street : les normes insensées de rentabilité imposées par les gestionnaires de capitaux entraînent la déshumanisation des conditions de travail, le saccage des écho-systèmes et la soumission des politiques publiques aux intérêts privés plutôt qu’à la volonté des citoyens.
Mais peut-on dans un monde ouvert se passer de la puissance des marchés financiers ? Oui, car, du fait même de leur puissance, ces marchés ne servent plus à financer l’économie réelle, et pénalisent même celle-ci au profit des jeux financiers purement spéculatifs.
Depuis 2007, nos gouvernants nous annoncent toutes les 3 semaines que la crise est derrière nous ! Bien sûr, cette crise est soumise à des évènements aléatoires et imprévisibles. Et de plus, nos gouvernants essayent de nous rassurer et de préparer leur réélection Mais vient un moment où le citoyen s’interroge sur la capacité des gouvernants à résoudre nos problèmes et se détourne de la politique, s’indigne et se scandalise avant de se révolter.
Notre conviction profonde : le monde est au bord d’une catastrophe économique majeure
Depuis une dizaine d’années, les crises successives ont été jugulées par des aides massives du FMI, des grandes banques centrales et des États. Le fait nouveau et inquiétant est que maintenant les États sont exsangues en raison de leur aide massive destinées à sauver le système financier de la faillite et n’ont plus de marge budgétaire.
Les places financières ne remplissent plus le rôle qui était initialement le leur, celui de financer l’économie. Pire encore, ces places sont devenues le véhicule idéal des actions spéculatives. Elles sont aussi le lieu où s’est déployée la norme de rentabilité financière, qui s’est peu à peu imposée au monde de l’Entreprise, provoquant de très gros ravages via les restructurations sur l’organisation du travail et la santé des travailleurs.
Mais, un monde sans Wall-Street, est-ce possible ? N’est-ce pas une nouvelle utopie certes séduisante mais peu crédible ? Peut-être ! Mais je vous laisse imaginer quelle sera la prochaine crise, alors que les États ne pourront plus venir au secours des banques. Les scénarii du pire sont devant nous et nous préférons anticiper une solution utopique, puisque alternative, et proposer, avant la tempête, un projet auquel il faut travailler pour le rendre le plus réaliste possible.
La chute de Wall-Street ne sera pas brutale et mécanique ; elle sera précédée par l’interdiction absolue des marchés de produits dérivés. Cette interdiction est fondamentale pour stabiliser le système financier international.
La crédibilité de ce projet, dont la teneur ne saurait être limitée aux domaines économique et financier, reposera sur la méthode d’élaboration, qui ne pourra être que démocratique
D’importantes questions devront trouver une réponse :
• La monnaie ne doit-elle pas être conçue comme un bien de l’humanité ?
• Quel sera le nouveau rôle des banques sans Wall-Street ? (avec suppression des activités spéculatives).
• Ne convient-il pas de nationaliser les banques ?
• Comment financer les investissements considérables nécessaires pour répondre à la crise énergétique ?
• Comment faire pour organiser des pouvoirs démocratiques mondiaux ?
Le monde avec Wall-Street : l’Impasse
95 000 personnes détiennent 25 % de la richesse mondiale (6 milliards de personnes)
Depuis le milieu des années 1990, est intervenue l’interconnectivité mondiale des places financières. Dans le même temps, la dématérialisation des opérations de bourse et l’avènement du « Trading Haute Fréquence » ont changé profondément la procédure et engendré l’avènement du jeu spéculatif mondial.
Pour les sociétés financières, il a été tout de suite évident qu’il y avait beaucoup plus d’argent à gagner dans la spéculation, plutôt que dans les aides au développement industriel.
Pour les sociétés industrielles elles-mêmes les transactions financières devenaient plus rentables que leur production. De ce fait, il valait mieux rétribuer les actionnaires que le travail.
Pour ce faire, une méthode simple : la relution des actions ; la firme achète ses propres actions, qui apparaissent dans son bilan à l’actif, les sommes déboursées pour leur achat apparaissant au passif. La suppression des actions, d’une part, et des sommes correspondantes, d’autre part, ne changent donc rien au bilan. Le nombre des actions sur le marché a, de ce fait diminué et donc la rétribution de chaque actionnaire a augmenté. Cette opération, toute virtuelle sur le plan comptable, a fait disparaître une somme d’argent de la
Trésorerie de la firme, qui devra donc diminuer sa masse salariale, pour compenser.
Un autre phénomène, passé inaperçu, a poussé les banques vers la spéculation : avant 1970, les Fonds de Pension garantissaient les montants de retraite à leur clients et prenaient à leur compte les risques de leurs placements, ce qui les obligeait à une certaine retenue. Après 1970, sont apparus de nouveaux Fonds de Pension qui, avec des promesses de gains importants, ont transféré le risque à leurs clients. Ces sociétés sont maintenant majoritaires, et n’ont qu’une seul échappatoire, la spéculation.
La surpuissance de la sphère financière a surdimensionné toutes les données du problème et la crise, que nous vivons, est véritablement une crise de civilisation qui se double d’un risque d’épuisement de la planète et de la disparition du vivant.
La convergence des logiques de dérèglement, que connaît aujourd’hui la planète, conduit à une onde de choc, qui atteint trois domaines étroitement liés :
- Le monde du travail, où se creusent des inégalités insupportables,
- Notre planète, qui subit des chocs irréversibles, tout en étant à la veille d’une crise énergétique majeure,
- Le pouvoir politique, écrasé par quarante années de pratique et de pensée néolibérale, qui se trouve dans l’incapacité totale de prendre les décisions qui s’imposent.
Un tour de force remarquable de l’oligopole bancaire : l’endettement privé des banques (lié à la crise des « Surprimes ») a été transformé en un endettement public, réduisant à néant les marges de manœuvre des gouvernements.
Ouvrir la brèche : un monde sans Wall-Street
Bien que les dogmes du libéralisme économique soient aujourd’hui sérieusement remis en cause, ils n’en restent pas moins vivaces dans les pratiques économiques ; or une rupture de logique dans ces pratiques financières est absolument nécessaire.
Pour ouvrir la route à cette utopie concrète, le « Monde sans Wahl-Street », la conception de l’Économie ne doit plus être sous la domination de marchés financiers. Pour changer la donne, il faudra agir sur une palette très large de l’action politique, allant du global planétaire au local territorialisé. Il faudra procéder à une réforme fondamentale : refondre le système de financement de l’Économie mondiale, lui assurant une nouvelle stabilité à la fois monétaire et financière :
- Monétaire : par de nouvelles règles internationales sur la formation des taux d’intérêt, préfigurant une monnaie mondiale considérée comme un bien commun de l’humanité,
- Financière : en abolissant le rôle actuel des places financières.
Ainsi dans un cadre monétaire et financier redevenu stable, une généralisation de la démocratie pourra se redéployer dans toutes les institutions et pas seulement dans le secteur politique.
Une démocratie participative pourra se concevoir au sein même du système économique de l’Entreprise, avec notamment une refonte du droit de propriété dans les sociétés de capitaux.
Aujourd’hui, les Économistes sont d’accord sur le fait que la pensée néolibérale qui nous a conduits à la crise que l’on sait, est absolument à proscrire ; mais les pratiques financières découlant de cette pensée sont toujours en action. Combien de temps cela peut-il durer ?
Pour changer de logique financière, il faut refondre le droit de propriété et revenir sur la valeur actionnariale, qui justifie la suppression des places financières du moins dans leur forme actuelle. Les sociétés de capitaux, surtout celles qui sont cotées en bourse, ont donné à l’actionnaire un pouvoir discrétionnaire sur le plan financier : nomination des responsables et de leur rétribution, affectation des bénéfices (même quand ceux-ci son absents). Pour changer cet état des choses, une intervention du législateur est nécessaire.
Les pistes alternatives sont peu nombreuses ou radicales. Elles sont à nos yeux au nombre de trois :
- Modifications profondes de la législation sur les fonds de pension et des retraites par capitalisation,
- Développement rapide et large de l’économie sociale et solidaire,
- Changement dans les règles de gouvernance et des droits de propriété dans les sociétés de capitaux.
La première solution exige un retour en arrière : les sociétés de capitaux devaient, vis à vis de leurs actionnaires, maximiser les profits, et non, comme aujourd’hui, obtenir les profits fixés à l’avance. Ce retour en arrière paraît d’autant plus difficile que le potentiel de négociation des partenaires sociaux est devenu très faible, lié à la faiblesse des syndicats. L’emprise de l’oligopole financier sur l’Entreprise est telle que cette solution nous paraît impossible, cette emprise étant d’autre part associée à la faiblesse des états, après que ceux-ci aient endossé les dettes privées des banques.
Le renforcement de l’Économie sociale et solidaire, qui est le champ des Associations, Mutuelles, Coopératives et Fondations, paraît être la solution à promouvoir. Aujourd’hui est le théâtre d’initiatives éparses et désordonnées, comme des régies de quartier, crèches parentales….. Ces initiatives sont en train de faire renaître l’essence du mouvement coopératif. Ceci peut favoriser un déploiement des activités économiques dans des logiques d’innovation et de proximité sociale. Ces structures, basées sur la propriété collective, adoptent le principe de « 1 homme = 1 voix », contrairement aux sociétés de capitaux pour qui « 1 action = 1 voix ». C’est cette économie là qu’il faut faire connaître et développer. Voilà une responsabilité politique, qui doit être assumée à toutes les échelles de l’action publique.
L’Économie Sociale et Solidaire n’est pas la seule solution ; surtout parce que les grands projets, dont la planète a besoin, ne peuvent être réalisés que par des sociétés importantes de plusieurs milliers de salariés. Ces sociétés sont des sociétés de capitaux, qui sont régies par des actionnaires. Il faut donc casser la logique infernale du pouvoir des actionnaires, concept que les places financières ont largement propagé. Le point de départ peut être une proposition du Président Sarkozy, favorable à la règle des « trois tiers » : un tiers pour les investissements, un autre pour les actionnaires et le dernier pour les salariés. Mais cette proposition n’est même pas une gageure, elle est en contradiction avec les règles de gouvernance des sociétés de capitaux. Cependant, si l’on veut remettre en cause les structures des sociétés de capitaux, cette règle des trois tiers peut être un point de départ, qui retirerait aux actionnaires une partie de leurs pouvoirs.
On peut imaginer une autre forme d’Entreprise, que nous appellerons Entreprise Partenariale Alternative, dont le principe serait le partage du pouvoir et la négociation du résultat entre les apporteurs de fonds, les dirigeants et les salariés. Un conseil d’Administration pourrait se présenter en quatre composantes à parts égales :
- les représentants des apporteurs de fonds, qui seraient désignés par les apporteurs de fonds en fonction de leur nombre d’actions (1 action = 1 voix),
- les représentants des salariés, désignés selon le principe « 1 homme (ou 1 femme) = 1 voix » par les salariés de la firme,
- des personnalités qualifiées, notamment dans le domaine scientifique, permettant d’anticiper à court et moyen terme, désignés à parité par les apporteurs de fonds et les salariés,
- enfin, le Directoire de la société, tripartite, et chaque collège désigne l’un des membres qui le constitue.
Pourquoi une telle Entreprise ferait-elle appel à Wall-Street ? Ce serait pour elle se mettre sous la dépendance des marchés !
CONCLUSION
La question que l’on se pose maintenant est : quelle est la probabilité de l’occurrence d’un « Monde sans Wall-Street » ? Et dans quel délai ? La réponse à ces deux questions dépend d’une autre question : quelle est la probabilité d’une prochaine crise systémique, beaucoup plus grave que les précédentes, dans la mesure où les États sont exsangues ? On a vu qu’une prochaine catastrophe financière est inévitable, et dans un délai très proche. En effet, les pays participants au G20 n’ont pas remis en cause la folie que représentent les produits dérivés liés à la libéralisation financière. Alors, pourquoi pas bientôt, un « Monde sans Wall-Street » ?
Discussion (résumée par Anne)
Avant la discussion proprement dite, Jean complète son exposé en disant qu'il est dans l'ensemble d'accord avec les positions de l'auteur. Le modèle économique actuel n'est pas bon, le système va à sa perte ; les politiques ne peuvent rien, une révolution ou un conflit mondial changeront-ils les choses, qu'est-ce qui est possible ?
Après qu'un participant a souligné la difficulté de discuter de ce problème, un autre évoque la montée des nationalismes en Europe qui accompagne la crise économique de même que dans certains pays la haine de l'Allemagne (qui n'a pas actuellement les mêmes difficultés que les pays d'Europe du sud). Cette montée des nationalismes pourrait-elle provoquer un conflit majeur ? 1929 a conduit à 1939 ! Dix ans après 2008…?
Le livre souligne l'importance prise par les actionnaires dans les entreprises, qui conduit à mettre l'accent plus sur le rendement financier (retour sur investissement) que sur le projet et le développement de l'entreprise.
Ne peut-on pas séparer les banques spéculatives et les banques d'investissement ? Pourquoi ça n'a pas été fait ? Les politiques peuvent-ils faire quelque chose ?
Nationaliser les banques ou séparer banque de spéculation et banque d'investissement aurait le même effet : orienter l'établissement vers l'aide à l'industrie plutôt que satisfaire les désirs immédiats des actionnaires qui attendent des rendements élevés (jusqu'à 15%).
Pour la fermeture d'usines Peugeot, seul l'aspect financier a été pris en compte dans l'exposé. Mais dans la comparaison entre l'industrie française et l'industrie allemande, la grande différence est la politique de la qualité. Les produits allemands sont peut-être plus chers mais se vendent à cause de leur qualité (voitures, électroménager...).
Un monde sans Wall Street supprimerait-il le capitalisme ? Il semble qu'il supprimerait essentiellement la spéculation. Actuellement la spéculation est rendue d'autant plus possible que les bourses sont connectées. Nationaliser les banques servirait-il à quelque chose ?
Les entreprises ne dépendaient pas, auparavant, de clients-actionnaires. Tout a changé au moment où ceux-ci ont été introduits et où ils ont donc demandé une participation de plus en plus importante.