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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 14:23

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

Mardi 11 septembre 2012

 

Un monde sans Wall-Street

 

Présentation par Jean

 

C’est le titre du livre de François Morin, qui a servi de base à la présentation qui suit.

L’auteur, François Morin, professeur de Sciences Économiques à l’Université de Toulouse, a été membre du Conseil Général de la Banque de France et du Conseil d’Analyses Économiques.

Toutes les idées, bonnes ou mauvaises, exposées dans ce livre, sont de la responsabilité exclusive de François Morin ; cependant, l’auteur a pu bénéficier de discussions avec des responsables politiques. A cet égard, il remercie Lionel Jospin, Jean Le Garrec, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade et Jean-Claude Trichet.


« Mais, nous vaincrons puisque nous sommes la justice ! Tenez, vous voyez ce monument devant vous, vous le voyez ? La Bourse, dit Saccard, parbleu oui, je la vois, ce serait bête de la faire sauter... on la rebâtirait ailleurs. Je vous prédis qu’elle sautera d’elle-même, quand l’État l’aura expropriée, devenue logiquement l’unique et universelle banque de la Nation… et, qui sait, elle servira d’entrepôt public à nos richesses trop grandes, un des greniers d’abondance où nos petits fils trouveront le luxe de leurs jours de fête.»
Extrait de « L’argent » d’Émile Zola (1891).

Les économistes, actuellement au pouvoir, ne raisonnent qu’en fonction de leur doctrine : le néo-libéralisme, doctrine basée sur le pouvoir absolu et sacro-saint des « MARCHÉS ».

 

Introduction

 

Les marchés financiers ont beau déclencher des crises à répétition, très peu d’experts, et, encore moins de gouvernants, n’osent imaginer un monde sans la liberté et le pouvoir de ces marchés, bref un monde sans Wall-Street.
Pourtant, comme l’explique ici un des meilleurs économistes français, c’est le pas décisif qu’il faut franchir au plus vite pour éviter une nouvelle catastrophe.

L’auteur pose un diagnostic précis sur les impasses d’un monde avec Wall-Street : les normes insensées de rentabilité imposées par les gestionnaires de capitaux entraînent la déshumanisation des conditions de travail, le saccage des écho-systèmes et la soumission des politiques publiques aux intérêts privés plutôt qu’à la volonté des citoyens.

Mais peut-on dans un monde ouvert se passer de la puissance des marchés financiers ? Oui, car, du fait même de leur puissance, ces marchés ne servent plus à financer l’économie réelle, et pénalisent même celle-ci au profit des jeux financiers purement spéculatifs.

Depuis 2007, nos gouvernants nous annoncent toutes les 3 semaines que la crise est derrière nous ! Bien sûr, cette crise est soumise à des évènements aléatoires et imprévisibles. Et de plus, nos gouvernants essayent de nous rassurer et de préparer leur réélection Mais vient un moment où le citoyen s’interroge sur la capacité des gouvernants à résoudre nos problèmes et se détourne de la politique, s’indigne et se scandalise avant de se révolter.

Notre conviction profonde : le monde est au bord d’une catastrophe économique majeure

Depuis une dizaine d’années, les crises successives ont été jugulées par des aides massives du FMI, des grandes banques centrales et des États. Le fait nouveau et inquiétant est que maintenant les États sont exsangues en raison de leur aide massive destinées à sauver le système financier de la faillite et n’ont plus de marge budgétaire.

Les places financières ne remplissent plus le rôle qui était initialement le leur, celui de financer l’économie. Pire encore, ces places sont devenues le véhicule idéal des actions spéculatives. Elles sont aussi le lieu où s’est déployée la norme de rentabilité financière, qui s’est peu à peu imposée au monde de l’Entreprise, provoquant de très gros ravages via les restructurations sur l’organisation du travail et la santé des travailleurs.

Mais, un monde sans Wall-Street,  est-ce possible ? N’est-ce pas une nouvelle utopie certes séduisante mais peu crédible ? Peut-être ! Mais je vous laisse imaginer quelle sera la prochaine crise, alors que les États ne pourront plus venir au secours des banques. Les scénarii du pire sont devant nous et nous préférons anticiper une solution utopique, puisque alternative, et proposer, avant la tempête, un projet auquel il faut travailler pour le rendre le plus réaliste possible.

La chute de Wall-Street ne sera pas brutale et mécanique ; elle sera précédée par l’interdiction absolue des marchés de produits dérivés. Cette interdiction est fondamentale pour stabiliser le système financier international.

La crédibilité de ce projet, dont la teneur ne saurait être limitée aux domaines économique et financier, reposera sur la méthode d’élaboration, qui ne pourra être que démocratique

D’importantes questions devront trouver une réponse :

• La monnaie ne doit-elle pas être conçue comme un bien de l’humanité ?
• Quel sera le nouveau rôle des banques sans Wall-Street ? (avec suppression des activités spéculatives).
• Ne convient-il pas de nationaliser les banques ?
• Comment financer les investissements considérables nécessaires pour répondre à la crise énergétique ?
• Comment faire pour organiser des pouvoirs démocratiques mondiaux ?


Le monde avec Wall-Street : l’Impasse

 

95 000 personnes détiennent 25 % de la richesse mondiale (6 milliards de personnes)

Depuis le milieu des années 1990, est intervenue l’interconnectivité mondiale des  places financières. Dans le même temps, la dématérialisation des opérations de bourse et l’avènement du « Trading Haute Fréquence » ont changé profondément la procédure et engendré l’avènement du jeu spéculatif mondial.

Pour les sociétés financières, il a été tout de suite évident qu’il y avait beaucoup plus d’argent à gagner dans la spéculation, plutôt que dans les aides au développement industriel.
Pour les sociétés industrielles elles-mêmes les transactions financières devenaient plus rentables que leur production. De ce fait, il valait mieux rétribuer les actionnaires que le travail.

Pour ce faire, une méthode simple : la relution des actions ; la firme achète ses propres actions, qui apparaissent dans son bilan à l’actif, les sommes déboursées pour leur achat apparaissant au passif. La suppression des actions, d’une part, et des sommes correspondantes, d’autre part, ne changent donc rien au bilan. Le nombre des actions sur le marché a, de ce fait diminué et donc la rétribution de chaque actionnaire a augmenté. Cette opération, toute virtuelle sur le plan comptable, a fait disparaître une somme d’argent de la
Trésorerie de la firme, qui devra donc diminuer sa masse salariale, pour compenser.

Un autre phénomène, passé inaperçu, a poussé les banques vers la spéculation : avant 1970, les Fonds de Pension garantissaient les montants de retraite à leur clients et prenaient à leur compte les risques de leurs placements, ce qui les obligeait à une certaine retenue. Après 1970, sont apparus de nouveaux Fonds de Pension qui, avec des promesses de gains importants, ont transféré le risque à leurs clients. Ces sociétés sont maintenant majoritaires, et n’ont qu’une seul échappatoire, la spéculation.
La surpuissance de la sphère financière a surdimensionné toutes les données du problème et la crise, que nous vivons, est véritablement une crise de civilisation qui se double d’un  risque d’épuisement de la planète et de la disparition du vivant.

La convergence des logiques de dérèglement, que connaît aujourd’hui la planète, conduit à une onde de choc, qui atteint trois domaines étroitement liés :

- Le monde du travail, où se creusent des inégalités insupportables,
- Notre planète, qui subit des chocs irréversibles, tout en étant à la veille d’une crise énergétique majeure,
- Le pouvoir politique, écrasé par quarante années de pratique et de pensée néolibérale, qui se trouve dans l’incapacité totale de prendre les décisions qui s’imposent.

Un tour de force remarquable de l’oligopole bancaire : l’endettement privé des banques (lié à la crise des « Surprimes ») a été transformé en un endettement public, réduisant à néant les marges de manœuvre des gouvernements.


Ouvrir la brèche : un monde sans Wall-Street

 

Bien que les dogmes du libéralisme économique soient aujourd’hui sérieusement remis en cause, ils n’en restent pas moins vivaces dans les pratiques économiques ; or une rupture de logique dans ces pratiques financières est absolument nécessaire.

Pour ouvrir la route à cette utopie concrète, le « Monde sans Wahl-Street », la conception de l’Économie ne doit plus être sous la domination de marchés financiers. Pour changer la donne, il faudra agir sur une palette très large de l’action politique, allant du global planétaire au local territorialisé. Il faudra procéder à une réforme fondamentale : refondre le système de financement de l’Économie mondiale, lui assurant une nouvelle stabilité à la fois monétaire et financière :

- Monétaire : par de nouvelles règles internationales sur la formation des taux d’intérêt, préfigurant une monnaie mondiale considérée comme un bien commun de l’humanité,
- Financière : en abolissant le rôle actuel des places financières.

Ainsi dans un cadre monétaire et financier redevenu stable, une généralisation de la démocratie pourra se redéployer dans toutes les institutions et pas seulement dans le secteur politique.
Une démocratie participative pourra se concevoir au sein même du système économique de l’Entreprise, avec notamment une refonte du droit de propriété dans les sociétés de capitaux.

Aujourd’hui, les Économistes sont d’accord sur le fait que la pensée néolibérale qui nous a conduits à la crise que l’on sait, est absolument à proscrire ; mais les pratiques financières découlant de cette pensée sont toujours en action. Combien de temps cela peut-il durer ?
 
Pour changer de logique financière, il faut refondre le droit de propriété et revenir sur la valeur actionnariale, qui justifie la suppression des places financières du moins dans leur forme actuelle. Les sociétés de capitaux, surtout celles qui sont cotées en bourse, ont donné à l’actionnaire un pouvoir discrétionnaire sur le plan financier : nomination des responsables et de leur rétribution, affectation des bénéfices (même quand ceux-ci son absents). Pour changer cet état des choses, une intervention du législateur est nécessaire.

Les pistes alternatives sont peu nombreuses ou radicales. Elles sont à nos yeux au nombre de trois :

- Modifications profondes de la législation sur les fonds de pension et des retraites par capitalisation,
- Développement rapide et large de l’économie sociale et solidaire,
- Changement dans les règles de gouvernance et des droits de propriété dans les sociétés de capitaux.

La première solution exige un retour en arrière : les sociétés de capitaux devaient, vis à vis de leurs actionnaires, maximiser les profits, et non, comme aujourd’hui, obtenir les profits fixés à l’avance. Ce retour en arrière paraît d’autant plus difficile que le potentiel de négociation des partenaires sociaux est devenu très faible, lié à la faiblesse des syndicats. L’emprise de l’oligopole financier sur l’Entreprise est telle que cette solution nous paraît impossible, cette emprise étant d’autre part associée à la faiblesse des états, après que ceux-ci aient endossé les dettes privées des banques.
Le renforcement de l’Économie sociale et solidaire, qui est le champ des Associations, Mutuelles, Coopératives et Fondations, paraît être la solution à promouvoir. Aujourd’hui est le théâtre d’initiatives éparses et désordonnées, comme des régies de quartier, crèches parentales….. Ces initiatives sont en train de faire renaître l’essence du mouvement coopératif. Ceci peut favoriser un déploiement des activités économiques dans des logiques d’innovation et de proximité sociale. Ces structures, basées sur la propriété collective, adoptent le principe de « 1 homme = 1 voix », contrairement aux sociétés de capitaux pour qui « 1 action = 1 voix ». C’est cette économie là qu’il faut faire connaître et développer. Voilà une responsabilité politique, qui doit être assumée à toutes les échelles de l’action publique.

L’Économie Sociale et Solidaire n’est pas la seule solution ; surtout parce que les grands projets, dont la planète a besoin, ne peuvent être réalisés que par des sociétés importantes de plusieurs milliers de salariés.  Ces sociétés sont des sociétés de capitaux, qui sont régies par des actionnaires. Il faut donc casser la logique infernale du pouvoir des actionnaires, concept que les places financières ont largement propagé. Le point de départ peut être une proposition du Président Sarkozy, favorable à la règle des « trois tiers » : un tiers pour les investissements, un autre pour les actionnaires et le dernier pour les salariés. Mais cette proposition n’est même pas une gageure, elle est en contradiction avec les règles de gouvernance des sociétés de capitaux. Cependant, si l’on veut remettre en cause les structures des sociétés de capitaux, cette règle des trois tiers peut être un point de départ, qui retirerait aux actionnaires une partie de leurs pouvoirs.

On peut imaginer une autre forme d’Entreprise, que nous appellerons Entreprise Partenariale Alternative, dont le principe serait le partage du pouvoir et la négociation du résultat entre les apporteurs de fonds, les dirigeants et les salariés. Un conseil d’Administration pourrait se présenter en quatre composantes à parts égales :

- les représentants des apporteurs de fonds, qui seraient désignés par les apporteurs de fonds en fonction de leur nombre d’actions (1 action = 1 voix),
- les représentants des salariés, désignés selon le principe « 1 homme (ou 1 femme) = 1 voix » par les salariés de la firme,
- des personnalités qualifiées, notamment dans le domaine scientifique, permettant d’anticiper à court et moyen terme, désignés à parité par les apporteurs de fonds et les salariés,
-  enfin, le Directoire de la société, tripartite, et chaque collège désigne l’un des membres qui le constitue.

Pourquoi une telle Entreprise ferait-elle appel à Wall-Street ? Ce serait pour elle se mettre sous la dépendance des marchés !

 

CONCLUSION

La question que l’on se pose maintenant est : quelle est la probabilité de l’occurrence d’un « Monde sans Wall-Street » ? Et dans quel délai ? La réponse à ces deux questions dépend d’une autre question : quelle est la probabilité d’une prochaine crise systémique, beaucoup plus grave que les précédentes, dans la mesure où les États sont exsangues ?  On a vu qu’une prochaine catastrophe financière est inévitable, et dans un délai très proche. En effet, les pays participants au G20 n’ont pas remis en cause la folie que représentent les produits dérivés liés à la libéralisation financière. Alors, pourquoi pas bientôt, un « Monde sans Wall-Street » ?

 

 


Discussion (résumée par Anne)


 Avant la discussion proprement dite, Jean complète son exposé en disant qu'il est dans l'ensemble d'accord avec les positions de l'auteur. Le modèle économique actuel n'est pas bon, le système va à sa perte ; les politiques ne peuvent rien, une révolution ou un conflit mondial changeront-ils les choses, qu'est-ce qui est possible ?
Après qu'un participant a souligné la difficulté de discuter de ce problème, un autre évoque la montée des nationalismes en Europe qui accompagne la crise économique de même que dans certains pays la haine de l'Allemagne (qui n'a pas actuellement les mêmes difficultés que les pays d'Europe du sud). Cette montée des nationalismes pourrait-elle provoquer un conflit majeur ? 1929 a conduit à 1939 ! Dix ans après 2008…?
Le livre souligne l'importance prise par les actionnaires dans les entreprises, qui conduit à mettre l'accent plus sur le rendement financier (retour sur investissement) que sur le projet et le développement de l'entreprise.
Ne peut-on pas séparer les banques spéculatives et les banques d'investissement ? Pourquoi ça n'a pas été fait ? Les politiques peuvent-ils faire quelque chose ?
Nationaliser les banques ou séparer banque de spéculation et banque d'investissement aurait le même effet : orienter l'établissement vers l'aide à l'industrie plutôt que satisfaire les désirs immédiats des actionnaires qui attendent des rendements élevés (jusqu'à 15%).
Pour la fermeture d'usines Peugeot, seul l'aspect financier a été pris en compte dans l'exposé. Mais dans la comparaison entre l'industrie française et l'industrie allemande, la grande différence est la politique de la qualité. Les produits allemands sont peut-être plus chers mais se vendent à cause de leur qualité (voitures, électroménager...).
Un monde sans Wall Street supprimerait-il le capitalisme ? Il semble qu'il supprimerait essentiellement la spéculation. Actuellement la spéculation est rendue d'autant plus possible que les bourses sont connectées. Nationaliser les banques servirait-il à quelque chose ?
Les entreprises ne dépendaient pas, auparavant, de clients-actionnaires. Tout a changé au moment où ceux-ci ont été introduits et où ils ont donc demandé une participation de plus en plus importante.

 

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 11:47

CERCLE DES CHAMAILLEURS
Mardi 8 mai 2012
« Eloge de la faiblesse »
Livre d’Alexandre Jollien
(Les éditions du Cerf, Paris, 2004, réédité en format poche aux éditions Marabout)

 


Présentation par Marie-Anne

 
L'auteur, philosophe, est infirme moteur cérébral (IMC) de naissance. Il dialogue avec Socrate et raconte surtout ses 17 années (de 3 à 20 ans) en Centre spécialisé, puis, plus brièvement, ses passages au Collège, dans une Ecole de Commerce et, enfin, à l’Université.
Je vous cite ce qu’il en dit lui-même : « Mon premier livre. En 1999, j’ose en effet le grand saut : écrire ! Dans ce premier ouvrage, j’ai voulu tout d’abord témoigner d’un état d’esprit : la joie au cœur de l’épreuve, la joie de progresser sur les chemins hasardeux de l’existence. J’ai donc imaginé ce qui se serait passé si j’avais rencontré mon premier guide, Socrate. C’est ainsi que, sous la forme d’un dialogue, je me prends à rêver de rencontrer mon vieux maître. Celui-ci, après m’avoir invité à lui confier mon histoire, les grandes étapes de ma vie à l’institut et de ma recherche philosophique me somme de m’interroger sur la normalité. Incapable de fournir une définition qui tienne, contre toute attente, je découvre que l’on ne naît pas homme, on le devient et que cette aventure n’est pas sans joie. »
Eloge de la faiblesse a obtenu le Prix Mottart et le prix Montyon de l’Académie Française, il a été traduit en plusieurs langues et mis en scène au théâtre par Charles Tordjman en 2005.


Dans la Préface, Ruedi Impach, professeur de philosophie à Fribourg en Suisse, où Jollien est né, rappelle que, dans ce récit autobiographique, Alexandre Jollien, qui était destiné, en raison de son handicap, à rouler des cigares (travail dont on l’avait chargé au Centre spécialisé), se retrouve sur les bancs de l’université à étudier la philosophie. Il souligne ainsi « l’étonnante preuve de la capacité d’adaptation de l’être humain » qui est illustré par le parcours de l’auteur.

 

Dans son introduction, Jollien estime que le propre de la philosophie est de dépasser le « ça va sans dire ». Il insiste également sur l’importance de l’humour et évoque à ce sujet un propos de Nietzsche qui déclarait : « Si tu veux savoir qui est le bon philosophe, mets-les tous en ligne. Celui qui rit, c’est le bon. »

Jollien précise que son intérêt pour la philosophie a coïncidé avec la découverte de la pensée de Socrate qu’il associe à l’absence totale de préjugés.
D’où la forme de ce livre où il imagine un dialogue avec Socrate.

Dès le début, Socrate lui demande de lui parler de son enfance.

Alexandre lui relate alors les conditions de sa naissance en novembre 1975, où, ayant souffert d’une asphyxie sévère, il est porteur d’un handicap, nommé « athétose ». Ceci conduit ses parents à le placer dans une institution spécialisée, « enfin, prétendue spécialisée » précise-t-il.

Socrate observe qu’Alexandre revient sans cesse sur les notions de « norme », de « normalité » et lui demande de préciser ce que cela signifie pour lui.
Pour Alexandre, être normal, c’est être « conforme à la majorité ou à la moyenne », comme, par exemple, « pour un enfant de douze ans…marcher, parler, lire, écrire ».

Socrate lui demande alors comment il est venu à la philosophie.
Pour Alexandre, c’est en partie par hasard, par la découverte d’un ouvrage de philosophie et, plus particulièrement, de deux sentences : « Nul n’est méchant volontairement » et « Connais-toi toi-même ». Cette invitation, dit-il, a bouleversé sa vie et l’a conduit à vouloir « éclaircir (son) étrange situation ».

Alexandre Jollien lui parle ensuite de l’attitude et du rôle très positifs des enfants handicapés entre eux.
Un des pensionnaires du Centre, Jean, incapable de marcher, de parler et même de tenir assis tout seul, l’observe attentivement et se met à rire en voyant les difficultés que rencontre Alexandre pour se déplacer, ce qui vexait celui-ci. Mais, progressivement, il remarque qui l’hilarité de Jean augmentait au fur et à mesure des progrès d’Alexandre : 

" Mes jambes devenaient les siennes. On aurait dit qu’il apprenait lui-même à marcher ». Alexandre ajoute : « Nous nous soutenions pour mieux affronter l’épreuve, pour assumer ensemble l’isolement de chacun ».
Il insiste sur l’importance des mots, des gestes et des regards échangés avec les autres enfants handicapés du Centre : « De simples mots servaient à nous donner un peu de tendresse » mais aussi : « Le contact s’établissait grâce à de simples gestes ou à des regards, plus que grâce à des conversations sans fin… »
Il ajoute : « Quand j’ai quitté le Centre, j’ai emporté dans mes bagages la chaleur qui régnait entre nous ».

 

Quand il passe dans ce qu’il appelle  « l’autre monde » (c’est-à-dire celui qui est situé en dehors du Centre), il a du mal à se rendre compte des différences d’interprétation des mêmes gestes. A l’école de commerce où il vient d’arriver, il sympathise avec une jeune fille très belle mais qui le charme surtout par « sa force intérieure, sa noblesse et sa douceur ». Pour lui manifester sa sympathie, il se jette sur elle et la fait même tomber involontairement, ce qui provoque un certain malaise chez les personnes présentes et un sentiment d’humiliation chez Alexandre.
Il dit avoir du mal à réprimer certains gestes qui lui paraissent pourtant naturels.

Toutefois, dans cet « autre monde », Alexandre découvre rapidement quels sont « ses vrais amis » : ce ne sont pas les « premiers de classe » ni les plus dociles mais au contraire ceux qu’il désigne lui-même comme des « cancres » et des « esprits rebelles ». Ceux-ci lui manifestaient « une tendresse…un amour que (je n’ai) jamais trouvé ailleurs ». Il préfère de loin leur langage direct à la pitié de ceux qui lui donnent de l’argent ou qui manifestent un « altruisme ostentatoire ». Pour Alexandre Jollien « il y a des sourires qui blessent, des compliments qui tuent ».


Il revient ensuite sur l’attitude et les relations avec le personnel du Centre qui, selon lui, restaient superficielles, «  de professionnel à enfant, de médecin à malade ». Il a des mots durs pour décrire l’attitude de certains professionnels : « Dans sa prétendue omniscience, l’éducateur se croyait obligé d’enseigner à mes parents : « l’art d’éduquer ».

Socrate lui demande ce qu’il pense « des gens de l’extérieur ? »
Alexandre ressent douloureusement la gêne des gens qu’il croise. Il percevait que sa présence était pour beaucoup de personnes « associée à un échec, un accident » et qu’il jouait le rôle d’une « mauvaise conscience ».

Alexandre aborde alors les problématiques du regard des autres et du besoin de reconnaissance. Il s’appuie pour cela sur 2 philosophes, Hegel et Sartre. Ce dernier décrit, dans sa pièce Huis clos : « notre besoin viscéral et profond de nous sentir reconnu, besoin jamais assouvi ».
Selon Alexandre, le regard d’autrui « construit, structure notre personnalité. Cependant, il peut aussi nuire, condamner, blesser ».

Il souligne ensuite la nécessité, pour un handicapé de s’affirmer :
Un de ses camarades souffrait d’un léger handicap au pouce et, pour le cacher, gardait toujours la main dans la poche. Se comparant à lui, Alexandre lui dit, que, pour cacher son propre handicap, « il faudrait que je sorte dans la rue emballé dans un sac poubelle ! » Il estime qu’il ne faut pas fuir le handicap, « il faut l’accueillir comme un cinquième membre, composer avec lui ».

 

Le dialogue se poursuit sur la faculté d’adaptation. Socrate évoque à ce sujet DARWIN et personnellement, cela me fait penser au concept de résilience que nous avons déjà abordé aux Chamailleurs.
Pour parler de cette faculté d’adaptation, Alexandre Jollien évoque le souvenir d’une jeune fille dont les parents avaient été massacrés dans un pays africain de façon horrible et devant elle. Elle avait survécu en se cachant. Il l’avait vue à la piscine où, malgré le drame qu’elle avait vécu, elle flottait paisiblement et, «  avec son sourire éternel, elle incarnait à mes yeux la joie la plus totale ».
Socrate lui demande alors si ceci fait référence pour lui à Darwin mais, pour Alexandre, c’est dit-il « beaucoup mieux » et, sans faire l’apologie de la souffrance, comme le lui suggère Socrate, il ajoute : «  il faut tout mettre en œuvre pour parvenir à tirer profit même de la situation la plus destructrice. ».

Afin de resituer la notion de « résilience », voici quelques éléments extraits de ma présentation à la session du Cercle des Chamailleurs du 12/07/2008 (voir l’intégralité sur le blog « cercledeschamailleurs ») :
« Ce terme désigne dans divers domaines (moral, physique, social et culturel) l’aptitude à rebondir ou à subir des chocs sans être détruit. »
«  C’est souvent la survenue d’évènements traumatisants qui vont permettre l’émergence de capacités particulières, artistiques ou intellectuelles notamment, qui, sans eux, seraient demeurés en sommeil. »
 «  Les spécialistes ont identifié ce qu’ils appellent « les tuteurs de résilience » : pour Alexandre Jollien,  c’est sa mère qui a joué ce rôle en croyant en lui malgré son handicap mais aussi certains de ses éducateurs, un vieux prêtre et aussi sa classe à l’école de commerce. »

 

Alexandre Jollien en vient à parler de ceux qu’il considère comme de vrais éducateurs et il évoque notamment un certain Matthieu, un ancien charpentier, homme de terrain qui avait une vision originale de l’éducation. « En nous faisant confiance, il nous invitait à découvrir nos illusions, nos penchants, nos faiblesses ». Matthieu, dit-il « ne professait pas une théorie abstraite, extérieure au sujet, il réveillait en nous un savoir, des capacités engourdies ».

Mais Alexandre parle aussi des éducateurs en général et des difficultés liées à la distance qu’ils sont encouragés à garder avec les handicapés qui leur sont confiés.  Cette distance qui leur est recommandée suscitait « beaucoup de souffrances gratuites » et rendait les relations avec les patients « très superficielles, très « cliniques » ».

Il souligne le type de personnalité que l’on rencontre chez beaucoup de personnes qui, en choisissant cette profession, recherchent souvent une certaine valorisation et leur permet de s’affirmer.
Il parle aussi de certains comportements comme celui de cet éducateur qui traversait toute la ville en fauteuil roulant pour tenter de comprendre  « phénoménologiquement » quel effet cela fait d’être handicapé.
D’autres tenaient à montrer aux personnes de l’extérieur la grande difficulté de leur tâche.

 

Jollien aborde très rapidement le problème de la sexualité. Socrate lui fait remarquer qu’il n’a pas encore voulu en parler. Alexandre lui répond en parlant du corps, qui «  constituait en quelque sorte un tabou », qui devait rester caché mais qui, en même temps « éveillait en nous une incoercible curiosité ». Il évoque le cas d’un de ses camarades qui « sorti du contexte, s’était adonné à la pornographie la plus triviale ».

Alexandre insiste davantage sur la dépendance affective qu’il a ressentie à la sortie du Centre  et qui entraîne « la peur de perdre, la peur de blesser, la peur d’être repoussé par l’ami, ou plutôt par celui dont je dépends ». Il évoque à ce sujet Jean-Paul Sartre qui « décrit le regard de l’autre comme le moyen de se valoriser. »

 

Au Centre, une rencontre très importante pour Jollien a été celle d’un vieux prêtre, le Père Morand, l’aumônier, qui devint son meilleur ami alors que, dit-il, « tout nous séparait : il avait soixante ans de plus que moi, une autre culture ». Celui-ci ne l’a « jamais sermonné » mais a eu sur lui une influence considérable.
Alexandre ajoute cependant que la mort du Père Morand ne lui a causé « aucune douleur, aucun regret ». Il s’en explique en disant que « tout ce qu’il m’a donné, je le garde présent dans mes actes, dans ma manière de penser, dans mon être ».

A la demande de Socrate qui lui demande quelles étaient les voies professionnelles proposées aux handicapés au Centre, Alexandre lui précise qu’il s’agissait essentiellement de travail manuel  afin de leur permettre de « passer le temps ». Lui-même était chargé de « fabriquer des boîtes à cigares ».

Jollien revient sur son souhait d’étudier la philosophie et les difficultés qu’il a rencontré pour y parvenir. C’est ainsi qu’il se voit attribuer le quotient intellectuel le plus bas de sa classe ! Or, le QI servait de référence aux spécialistes pour envisager l’avenir professionnel des patients du Centre. Les parents d’Alexandre ont dû contester énergiquement les décisions des spécialistes pour  le faire admettre dans une école privée. Aussitôt placé dans un contexte stimulant, ses capacités se sont rapidement développées.

 

A l’école de commerce, il noue à nouveau des « amitiés sincères ». Il insiste à de nombreuses reprises sur l’importance pour lui de l’amitié à toutes les étapes de son parcours. A ce sujet, il évoque Aristote qui parle des degrés d’amitié : « Au sommet de l’échelle, il place l’amitié qui unit deux personnes égales ».

Alexandre revient encore sur ce que la philosophie lui a apporté. Il dit s’être «  employé sans relâche à essayer de comprendre ce qui (lui) arrivait et à en tirer profit ».
A la demande de Socrate sur ce qu’il entend par « comprendre », « tirer profit », il évoque le sens hébreu de « comprendre » qui signifie « goûter », « faire l’expérience de ». Pour les juifs, ajoute-t-il, « se connaître, c’est s’imprégner de sa propre histoire pour lui donner un sens, une signification ».

A la fin du dialogue, Socrate lui demande : Alexandre, où est précisément la frontière entre anormalité et normalité ? Jollien lui répond : « Je dois t’avouer que je l’ignore ».

 

En conclusion :
Pour Imbach (le professeur de philosophie qui a écrit la préface) : ce livre est authentiquement philosophique parce qu’il nous contraint à « regarder autrement » et aussi parce que le dialogue aboutit « à un renversement radical des valeurs ».
Imbach ajoute : « Cet ouvrage est également un livre sur la valeur de l’amitié. Sur sa nécessité d’abord…sur ses bienfaits ensuite ».

Aujourd’hui, Alexandre Jollien est marié et père de trois enfants et il essaie, comme il l’écrit lui-même sur son site, de « vivre à fond les trois vocations que lui a données l’existence : père de famille, personne handicapée et écrivain. »

 


Compte-rendu de la discussion (Jean)

 

Dans ce livre, on ne rencontre jamais le concept de résilience, qui pourtant a été développé avant l’écriture de cet ouvrage Il n’en reste pas moins que l’auteur lui-même est un exemple de résilience.
D’autre part, il ne semble pas que la forme de cet ouvrage, sous forme de dialogue entre l’auteur et Socrate, apporte un plus au livre.

La première idée émise, et très controversée, est que, pour un handicapé résilient, le handicap peut être considéré comme une chance. Des exemples sont cités pour lesquels l’handicapé reconnaît que, sans son handicap, il n’aurait pas réalisé ce qu’il a fait.

Le premier point est de reconnaître que la proportion des handicapés résilients est très faible et que, de ce fait, pour la majorité des handicapés, le handicap est une douleur et non une chance.

Il est reconnu que le livre de Jollien peut être considéré comme stimulant pour la majorité des handicapés, car il montre que l’on peut vivre et même réellement exister avec un lourd handicap.
Un cas concret est évoqué : un critique de cinéma se trouve, à trente ans, condamné au fauteuil roulant, ce qui lui interdit de courir les salles obscures et, donc, de continuer son métier. Il rebondit, selon le terme utilisé pour désigner la capacité d’un résilient, et crée deux revues de cinéma ; cela ne l’a pas empêché de dire à l’un d’entre nous : «  Il y a des cons qui estiment que mon handicap est une chance ! Ils ne s’imaginent donc pas ce que c’est que d’être dans un fauteuil roulant !».

Il est montré que le problème majeur du handicapé est le regard des autres, de leur attitude envers lui, surtout quand il s’agit de proches, parents, frères et sœurs…. Il est souligné que sont à la fois à proscrire l’ignorance du handicap ou l’extrême protection.

Au sujet de la protection des handicapés, il est remarqué qu’une protection extrême n’est pas une protection mais un carcan dans lequel l’handicapé est maintenu ; une protection intelligente et bien comprise consiste à apporter l’aide nécessaire mais pas plus.

Au sujet de l’attitude, du regard des gens « normaux » vis-à-vis des handicapés, il est noté que des sentiments contradictoires de gêne, honte, commisération, affectent le comportement, même à l’intérieur d’une famille, devant les handicapés ; il est conclu que, sans ignorer leurs problèmes, il ne faut surtout pas les considérer comme des handicapés.  

Une difficulté existe au sujet des relations entre les  éducateurs professionnels et les enfants handicapés. Sont à proscrire les relations affectives, l’intégration complète dans les milieux normaux, de même que l’isolement total par rapport à ces milieux, ce qui peut être assimilé à du communautarisme.

 

 

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 11:30

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

Mardi 10 avril 2012

 

Thème : L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ET LES PROGRAMMES

 

 

Les 6 membres du Cercle des Chamailleurs s’étaient répartis les programmes des candidats suivants : F. Bayrou, F. Hollande, E. Joly, J.L. Mélenchon, M. Le Pen et N. Sarkozy.

Etant donné le temps imparti (10 minutes chacun environ de façon à garder du temps pour la discussion), seuls les points qui semblaient à chacun les plus représentatifs ont été exposés.

 

La discussion a porté notamment sur :

 

-         le droit de vote des « étrangers » : il faudrait que les candidats qui y sont favorables soient plus précis, les programmes mentionnant le droit de vote « aux élections locales » tantôt pour les étrangers en général, tantôt pour les étrangers non-communautaires, les étrangers communautaires n’ont le droit de vote en France que pour les « élections municipales » et européennes. Il ne semble donc pas logique de vouloir donner le droit de vote aux élections locales (municipales cantonales, régionales) aux seuls non communautaires. Ou on aligne les non communautaires sur les communautaires (municipales, il n’est jamais question des européennes) ou on donne le droit de vote à tous les étrangers, communautaires ou non, à toutes les élections locales.

 

-         la réhabilitation du travail manuel, qui ne semble être mentionnée que dans le programme de Marine Le Pen alors qu’il s’agit d’une mesure que tous les Chamailleurs approuvent.

 

-         l’exception de l’Alsace-Moselle sur la laïcité que F. Hollande veut constitutionnaliser alors que J.L. Mélenchon veut la supprimer.

 

-         la compétitivité, notion essentielle qui revient souvent dans les programmes. Il s’agit en fait, pour les Français, non pas d’être les moins chers, ce qui est impossible mais bien d’être parmi les meilleurs en ce qui concerne la qualité des produits ou des prestations, ce qui est la stratégie des Allemands depuis longtemps. Ceci devrait se traduire notamment par un effort particulier sur la formation des jeunes afin d’accroître leurs compétences.

 

-         la santé : il faudrait s’assurer, par exemple, à ce que nul ne soit à plus de 30 minutes d’une structure hospitalière, ce qui va à l’encontre de la politique actuelle qui vise avant tout à réduire ou « rationaliser » les coûts, ce qui amène à fermer de nombreuses structures ou à les regrouper.

La notion de déficit ne concerne que la Sécu alors qu’il s’agit avant tout de solidarité et que son financement est prélevé sur le travail. Il ne peut, bien sûr, pas être question de parler de déficit pour l’Education Nationale alors qu’il s’agit, là aussi, d’un financement de solidarité et donc basé sur les mêmes principes.

Pour Mélenchon, la santé ne devrait pas être fiscalisée.

 

En 1945, les gestionnaires de la Sécu étaient élus, ce qui n’est plus le cas actuellement.

 

-         l’Europe : F. Hollande ne veut pas « renégocier » le traité franco-allemand qui porte sur la discipline budgétaire et conduit essentiellement à des mesures d’austérité mais y intégrer des mesures de relance et de croissance.

E. Joly veut une Constitution européenne mais n’est pas favorable à l’élection d’une Constituante.

Un référendum européen devrait être organisé pays par pays et non pas au niveau de l’ensemble de l’Union Européenne.

Le grand risque est, en effet, que tous les nationalistes soient contre l’Europe.

 

-         les différences entre les programmes de F. Hollande et d’E. Joly, en particulier sur le nucléaire, rend en partie caduque l’accord PS-EELV.

 

-         la nécessité de distinguer les programmes des partis d’une part et les programmes des candidats d’autre part. Il ne faut pas les prendre au pied de la lettre mais s’efforcer d’en saisir l’esprit.

 

 

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 10:59

CERCLE DES CHAMAILLEURS

Mardi 13 mars 2012

« L'Africain » J.M.G. Le Clézio

Présentation par Anne

Le Clézio est né en 1940 à Nice. Importance de l'origine des parents : le père, médecin, L'Africain, et sa mère sont cousins germains ; issus d'une famille bretonne exilée à l'île Maurice au 18°s. ; la famille avait acquis la nationalité britannique par suite de l'annexion de l'île par l'Empire. Elle sera chassée de l'île Maurice. Elle se dispersera alors en France et GB. L'auteur passera son enfance à Nice, puis, comme on le verra dans le livre, partira en Afrique avec sa mère et son frère, pour rejoindre le père médecin au Nigéria. Au retour en Europe, quelques années après, il.fera ses études en France et en Grande-Bretagne .Dès 23 ans il est connu par un livre: « Le procès-verbal »Il a la double nationalité franco-mauricienne.Tous ses livres sont signés J.M.G. (Jean-Marie-Gustave) Le Clézio. « L'Africain » a été publié en 2004. Le dernier livre l'a été en 2011 : « Histoire du pied et autres fantaisies ». En dehors du fait d'écrire, Le Clézio a été professeur d'université. Il se bat pour la diversité des cultures, l'importance de la langue française, contre tout colonialisme...

Lorsqu'il commence à être connu; dans les premiers livres, il est très proche du style du nouveau roman. Très grande production jusqu' au prix Nobel de littérature (2008)Donner titres les plus importants: »Désert », »Le chercheur d'or », « Onitsha », « Ritournelle de la faim ». sont des romans, « Lullaby » s'adresse plutôt à des enfants. Grand voyageur il est passionné par l'Afrique et le Mexique ; il consacrera de nombreux essais à leurs civilisations. Jeune, il a vécu 4 ans parmi les Indiens en Amérique latine.et a beaucoup voyagé dans ce continent.

« L'Africain »est composé de 7 chapitres plus ou moins longs. Il reprend de nombreux thèmes de Le Clézio même si le thème autobiographique et familial est essentiel.

Lecture de la préface

Le corps: A 8 ans, Le Clézio, enfant, va retrouver, avec sa mère et son frère, son père médecin au Nigéria. Dans ce chapitre vont se mêler la découverte du père et la découverte d'un enfant qui, jusque là a vécu des moments tranquilles à Nice avec sa mère, son frère et ses grands parents. La première chose qui le frappe en Afrique, c'est l'importance des corps ,ceux des enfants et surtout ceux des personnes « âgées » lectures p.9(arrivée et habitat), p.10(importance des corps),p.12 et 13 (contact avec l'Afrique à travers les corps).Il insiste sur la liberté des corps, « le règne des corps » et la liberté qu'il a eue au Nigéria en l'opposant en particulier à sa vie antérieure en France. Il se souvient de la violence du climat, des paysages, (lecture p.17), puis un autre thème apparaît : l'anticolonialisme (lecture p.18, 19).Il reprend en fin de chapitre l'idée de liberté et l'importance de cette partie de sa vie (lecture p.20, 21).

Termites, fourmis, etc. : L'immensité du paysage est pour l'enfant une sorte de magie (lignes p.23), la vie de la famille est en apparence très réglée (p.24) et s'oppose à l'éducation reçue en France. Dans la journée, lorsque le père travaille, l'enfant, avec son frère, s'évade dans la savane. Il découvre des « châteaux » qui sont des termitières et s'amuse à les détruire (p.26) tout en soulignant sa différence avec les enfants du village (p.27 et 28) et en évoquant à nouveau la vie antérieure à Nice ( p.29).

Suivent les évocations terribles de fourmis, de cafards (lecture p.30, 33) les jeux dangereux avec les scorpions et les invasions de moustiques (p.33, 34, 36,37) L’enfant se trouve dans un monde totalement différent de celui qu'il connaissait et ce monde, loin de l'effrayer, le fascine. (dernières phrases de la p.37)

L'Africain : un tout petit chapitre consacré donc au père, avec un rappel de sa carrière et de sa vie avec la famille (p.39). Pour l'enfant de 8 ans il est vieux (il l'imagine avec des lorgnons comme une personne d'un autre siècle), irritable à cause d'un médicament contre l'asthme et impose à la famille une vie triste (p.45) ; l'enfant le craint d'autant plus que sa vie jusque là a été très douce avec sa mère et ses grands-parents. Mais ce père ombrageux a un côté très positif : il est foncièrement anticolonialiste depuis sa jeunesse et il a aussi risqué sa vie pour les faire venir en Afrique pendant la guerre. Avec la découverte du père l'enfant entre dans le monde adulte : les maux de tête qu'il avait auparavant et les crises de rage disparaissent à jamais. (p.47)

De Georgetown (Guyane ) à Victoria (Nigéria) : L'auteur reprend l'histoire du père parti après ses études, sur un coup de tête, en Guyane. Il y reste 2 ans, il y prend des photos; la nature lui rappelle l'île Maurice. Dans les photos, il semble que le père ait été frappé par les enfants indiens (lecture p.52). Le fils partira plus tard « au pays des indiens », sur les fleuves et, le fait de retrouver l'ambiance des photos prises par son père. l'en rapprochera Il souligne sa vie difficile (p.54-55). Il partage, avant que la seconde guerre mondiale n'éclate, cette vie avec sa femme et Le Clézio montre de nouveau l'opposition au monde colonial de son père (p.58) et la vie heureuse de couple (p.64 et 65).

Au fur et à mesure que le livre progresse, l'auteur valorise ce père qu'il ne connaissait pas : il est apparu d'abord très sévère, puis on sait qu'il s'est dévoué aux populations qu'il soignait, qu'il a rendu heureuse son épouse, que, malgré sa sévérité il est devenu une sorte de modèle pour ses enfants, que peut-être l'auteur lui doit son admiration pour d'autres civilisations...

Le chapitre suivant, Banso, reprend les mêmes thèmes en insistant sur la solitude de ce couple européen dans un premier poste. Solitude mais aussi bonheur dans ce pays immense qu'il parcourt pour soigner les gens mais aussi pour admirer la nature, vivre une « aventure » heureuse avec sa femme.

Ogoja de rage : Le ton change complètement car l'auteur veut expliquer la transformation complète de son père à cause de la guerre de 39.Avant guerre, c'est le bonheur, ensuite plus rien n'est pareil (lire p.80). Il tente alors de ramener sa famille en Afrique mais échoue (p.81, 82). Son travail de médecin est complètement différent, de même que ses rapports avec l'entourage (p.83, 84). Il raconte alors des choses terribles sur L'Afrique (la violence, le cannibalisme, la rage) des choses auxquelles il ne croit pas toujours (p.86, 87,88).

Le dernier chapitre, « L'oubli », est sans doute le plus important : il exprime le remords de l'auteur de n'avoir jamais vraiment connu son père. A 8 ans, il a trouvé un homme aigri, sévère, presque un ennemi pour lequel il a éprouvé parfois de la haine. Il n'a pas pu avoir avec lui un rapport véritable d'un fils avec son père. Avec son frère il a même essayé des vengeances d'enfant (poivre dans la théière) mais cette vengeance s'est retournée contre eux en coups de bâton. Mais avec le recul du temps il pense que le père leur a transmis des valeurs très importantes : l'autorité et la discipline parfois jusqu'à la brutalité, l'exactitude et le respect (p.94). Il a hérité de la haine contre le colonialisme. Le père est mort au moment de la guerre du Biafra, de l'indépendance de pays africains, de l'apparition du sida qui a tant touché l'Afrique. Jusqu'en 68 il rêvait de revenir en Afrique mais la guerre du Biafra stoppera ses rêves. (p.100). Dans les dernières lignes du livre, Le Clézio montre l'empreinte laissée par l'Afrique (et donc par son père) dans sa vie actuelle : les parfums, les musiques, les voix (lire les 2 dernières pages 103,104 qui soulignent bien l'héritage de l'auteur).

Les photos du livre en noir et blanc ont été prises par le père.

 

Discussion (Michel)

 

La discussion a commencé par la question de savoir qui est africain quand nul n’est réellement africain.

Qui est l’Africain ? Pour l’auteur et à première vue, il n’y a pas de doute : c’est le père de l’auteur. Mais c’est le père ou l’auteur lui-même ? Ou l’un à travers l’autre ? Ou le père à travers le regard de l’auteur qui ne cache pas une grande imagination, dés son enfance, ayant longtemps considéré sa mère comme africaine.

 

Il semble se souvenir avec beaucoup de précisions et de détails de cette période de son enfance (il a donc 8 ans quand il arrive en Afrique) alors que le livre a été écrit en 2004, à l’âge de 64 ans. Mais, s’agit-il vraiment de souvenirs, de moments et d’évènements réellement vécus par l’auteur ou principalement des fruits de son imagination d’écrivain à partir de quelques fragments de souvenir ? « Je me souviens comme si je l’avais connu… » dit-il même dans un chapitre !

 

Ou s’agit-il d’une remarquable reconstruction d’une partie de sa vie et de celle de sa famille. Et peut-être s’agit-il de retrouver, de réhabiliter un père qu’il a peu et mal connu, de rétablir des rapports qu’il a subis dans l’enfance et auxquels, devenu adulte, il veut reconnaître des valeurs qu’il avait niées.

 

En fait, il se veut aussi africain que son père. Mais il était jeune durant son séjour en Afrique. Et il ne connaît la plus belle partie de la vie de son père en Afrique qu’à travers leurs récits puisqu’il n’était pas né. Cette période qui se terminera par la naissance des enfants et la séparation due à la guerre.

 

Toute autobiographie est sans doute en partie romancée. Il ne s’agit cependant pas ici d’un roman à proprement parler et cet ouvrage a été édité dans la collection « Traits et portraits » de Mercure de France. Il ne s’agit pas non plus de mémoires mais d’un point particulier de sa vie auquel l’auteur a voulu donner un relief particulier. Une authenticité particulière avec la publication de quelques photos faites par son père.

 

Paradoxalement, « l’Africain »  a fait penser à certains à « l’Etranger » de Camus, par la qualité littéraire mais aussi par la situation ambiguë de ces auteurs en Afrique.

 

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 17:14

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

Mardi 10 janvier 2012

 

« Où on va, papa ? » de Jean-Louis Fournier

(Prix Femina 2008, Stock)

 

Présentation par Michel

 

J’ai choisi ce livre car je l’ai beaucoup aimé dès la première lecture en 2008 quand il est sorti.

 

L’auteur, Jean-Louis Fournier, est un écrivain français, humoriste et réalisateur de télévision, né à Arras le 19 décembre 1938, fils d’un médecin et d’une rédactrice. Il a un frère polytechnicien et une sœur éducatrice spécialisée. Il va choisir assez rapidement la voie de l’humour et de l’impertinence.

Il est le créateur, entre autres, de La Noiraude (série télévisée d’animation) et d'Antivol, l'oiseau qui avait le vertige. Par ailleurs, il a été le complice de Pierre Desproges en réalisant les épisodes de La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède,

Il est l’auteur de nombreux ouvrages (26 d’après Wikipedia) dont le dernier, publié en 2011, « Veuf » est bâti selon le même schéma que « Où on va, papa ? ».

 

Dans «Où on va, papa ? », l’auteur raconte sa relation avec ses deux enfants lourdement handicapés, atteints de handicap à la fois physique et mental (« Arthrogrypose » avec déficience mentale). Apparait comme une autobiographie.

 

L’introduction, dans laquelle il s’adresse directement à ses deux enfants : « Cher Mathieu, cher Thomas », annonce d’emblée le ton de l’ouvrage, à la fois affectueux, ironique et souvent plein d’autodérision. Il leur demande par exemple : «…pardon de vous avoir loupés » ou encore : « Je n’ai pas eu de soucis avec vos études…pas eu à nous inquiéter de ce que vous feriez plus tard, on a su rapidement que ce serait : rien ».

 

L’ouvrage lui-même se présente sous forme de courts billets/ courtes anecdotes de 1 à 2 pages que je vais essayer de présenter en en citant des passages.

Dans ce compte-rendu, je ne garderai que quelques phrases afin de mettre en exergue ce qui me semble caractéristique de l’ouvrage.

 

En voiture (p.10 et 11) ;

Thomas répète « Où on va, papa ? », (d’où le titre du livre)

Au dixième…je ne réponds plus… 

On va prendre l’autoroute, à contresens. On va en Alaska. On va caresser les ours.

On se fera dévorer…

 

Visite à la tante, religieuse au Carmel du couvent d’Abbeville (p. 14 et 15) :

            Carmélite et Mère Supérieure du convent. Les carmélites n’ont pas le droit de voir les adultes et les grands enfants mais pas les bébés. Elle a donc demandé à voir Mathieu qui est encore dans son couffin et a appelé les autres religieuses  pour l’admirer.

« Comme il est mignon ! …il nous sourit, on dirait un petit ange, un petit Jésus… ! » C’est tout juste si elles n’ont pas dit qu’il avait l’air en avance.

 

Annonce du handicap (p.16 et 17)

            Je n’oublierai jamais le premier médecin qui a eu le courage de nous annoncer que Mathieu était définitivement anormal. 

 

Aspect et évolution de Mathieu (p.18 et 19)

            Le pauvre Mathieu…il est devenu très vite bossu…il n’était pas beau, et surtout, il était triste. 

            On a toujours eu l’impression qu’il se rendait compte de son état. Il devait penser : « Si j’avais su, je ne serais pas venu. » 

 

Mathieu fait « vroum-vroum » (p.22)

Il se prend pour une automobile. Le pire, c’est quand il fait les Vingt-Quatre Heures du Mans. Qu’il roule toute la nuit sans pot d’échappement. 

Je me console en pensant que les enfants normaux aussi empêchent leurs parents de dormir. Bien fait pour eux.

 

Attente d’un 2ème enfant (p.26 et 27)

            Je pensais bien que ça n’arriverait pas une seconde fois. Je sais que qui aime bien châtie bien, mais je ne pense pas que Dieu m’aime autant ; je suis égocentrique, mais pas à ce point. 

 

Naissance de Thomas (p.28)

            Il est très réussi… un petit ange de Botticelli. 

 

Thomas est également handicapé (p.29)

            J’ai été optimiste un peu vite…Thomas est, lui aussi, handicapé, comme son frère...c’est ma deuxième fin du monde. 

 

« Où on va, papa ? On va à Lourdes. » (p.31 et 32)

            Ma grand-mère…a essayé de me convaincre d’aller à Lourdes avec mes deux garçons…Elle espère un miracle…De toute façon, il n’y aura pas de miracle. Si les enfants handicapés, comme je l’ai déjà entendu dire, sont une punition du Ciel, je vois mal la Sainte Vierge s’en mêler en faisant un miracle. Elle ne voudra certainement pas intervenir dans une décision prise en haut lieu.

 

La surprise du handicap (p.35 et 36)

            Quand on a un enfant handicapé, on ne le découvre pas toujours tout de suite. C’est comme une surprise.

            Il y a aussi ceux qui disent : « L’enfant handicapé est un cadeau du Ciel. » Et ils ne le disent pas pour rire. Ce sont rarement des gens qui ont des enfants handicapés.

            Quand on reçoit ce cadeau, on a envie de dire au Ciel : « Oh ! fallait pas… »

           

Le parrain de Thomas (p. 37 et 38)

            A sa naissance, Thomas a eu un très beau cadeau, une timbale, une assiette et une cuiller à bouillie en argent…C’est son parrain qui  les lui a offertes…

            Quand Thomas a grandi et que, rapidement, son handicap s’est révélé, il n’a plus jamais reçu de cadeau de son parrain.

 

 

Chez le marchand de jouets pour Noël (p. 43 et 44)

            C’est bientôt Noël, je suis chez le marchand de jouets… « C’est pour des enfants de quel âge ? » Imprudemment, j’ai répondu. Mathieu a onze ans et Thomas neuf ans.

            Pour Mathieu, le vendeur m’a proposé des jeux scientifiques…Et pour Thomas, une carte de France en puzzle, avec tous les départements et les noms des villes découpés…

            Il m’a proposé aussi le Petit Chimiste, qui permet de faire des expériences à domicile…Pourquoi pas le Petit Kamikaze avec sa ceinture d’explosifs pour régler définitivement le problème…

            J’ai écouté les explications du vendeur…J’ai pris, comme chaque année, une boîte de cubes pour Mathieu et des petites voitures pour Thomas.

 

L’intégration sur le marché du travail (p. 46 et 47)

            Des efforts sont actuellement faits pour permettre l’intégration des handicapés sur le marché du travail…

            Mathieu, qui fait souvent « vroum-vroum », pourrait faire chauffeur routier, il traverserait l’Europe à fond la caisse au volant d’un semi-remorque…avec le pare-brise couvert de nounours.

            Thomas, qui aime bien jouer avec des petits avions…pourrait faire aiguilleur du ciel…

 

Josée (p. 48 et 49)

            Un moment, nous avons eu une bonne à demeure pour s’occuper des enfants. Elle s’appelait Josée…

            Elle était parfaite avec les enfants, pleine de bon sens. Elle se comportait avec eux comme avec des enfants normaux, sans faiblesse, sans attendrissement excessif…

            Quand ils faisaient des bêtises, je l’entendais leur dire : « Mais vous avez de la paille dans la tête ! »

            C’est le seul diagnostic juste qui ait jamais été fait…

 

Les photos de famille (p. 50 et 51)

            Notre album de photos de famille est plat comme une limande. On n’a pas beaucoup de photos d’eux, on n’a pas envie de les montrer…

            Cette année, des amis m’ont envoyé comme carte de vœux, une photo d’eux entourés de leurs enfants. Tout le monde a l’air heureux…C’est une photo très difficile à réaliser pour nous…

            Et puis je vois mal les mots « Bonne année » en anglaises dorées juste au-dessus des têtes hirsutes et cabossées de mes deux petits mioches. Ça risque de ressembler plus à une couverture de Hara-Kiri pour Reiser qu’à une carte de vœux.

 

Les rêves de Mathieu et de Thomas (p.53)

            Mathieu et Thomas dorment… A quoi rêvent-ils ?

            Peut-être que la nuit, ils rêvent qu’ils sont intelligents.

            Peut-être que la nuit, ils sont polytechniciens, savants chercheurs, et qu’ils trouvent…

            Mais dès que le jour se lève, pour que personne ne se doute et pour avoir la paix, ils reprennent l’apparence d’enfants handicapés.

           

La barbe future de Mathieu et de Thomas et le rasoir (p.61)

            Thomas et Mathieu grandissent…J’ai pensé qu’un jour, ils allaient avoir de la barbe, on allait devoir les raser…

            J’ai pensé que, quand ils seraient grands, j’allais leur offrir à chacun un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n’entendrait plus rien, on irait avec une serpillière nettoyer la salle de bains.

            J’ai raconté ça à ma femme pour la faire rire.

 

Les émissions de TV et les concours du plus beau bébé (p.65)

            J’ai réalisé pour la télévision plusieurs émissions sur les enfants handicapés…J’avais un regard étrange sus les concours du plus beau bébé. Je ne comprends toujours pas pourquoi on félicite et récompense ceux qui ont des beaux enfants, comme si c’était de leur faute. Pourquoi, alors, ne pas punir et mettre des amendes à ceux qui ont des enfants handicapés ?

           

La 3ème grossesse et la naissance de Marie (p.72)

            Je n’oublierai jamais le médecin extraordinaire qui nous a reçus quand ma femme a été enceinte une troisième fois. Un avortement était envisagé. Il nous a dit : « Je vais vous parler brutalement. Vous avez déjà deux enfants handicapés. Vous en auriez un de plus, est-ce que cela changerait vraiment beaucoup, là où vous en êtes ? Mais imaginez que cette fois, vous ayez un enfant normal. Vous ne resteriez pas sur un échec, ce serait la chance de votre vie. »

Notre chance s’est appelée Marie, elle était normale et très jolie. C’était normal, on avait fait deux brouillons avant.

 

Le départ de la mère  et l’annonce matrimoniale (p.74 et 75)

            La mère de mes enfants, que j’ai poussée à bout, en a eu marre, elle m’a quitté. Elle est partie rire ailleurs.

            J’aimerais bien retrouver une belle jeunesse. J’imagine mon annonce matrimoniale : « Adolescent, 40 ans, 3 enfants dont 2 handicapés, cherche JF cultivée, jolie, sens de l’humour. » Il va lui en falloir beaucoup, surtout du noir.

 

            Et l’arrivée de Sophie (héroïne de « Veuf », le dernier livre de J.L. Fournier)              

Opération et mort de Mathieu (p. 86)

            Mathieu est de plus en plus voûté…A quinze ans, il a la silhouette d’un vieux paysan qui a passé sa vie à bêcher la terre. Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut plus voir le ciel…

            Sa scoliose a augmenté, elle va  bientôt provoquer des ennuis respiratoires. Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée. Elle est tentée, il est totalement redressé. Trois jours plus tard, il meurt droit.

            Finalement, l’opération qui devait lui permettre de voir le ciel a réussi.

 

Au Ciel (p. 91 et 92)

            Il paraît qu’on va se retrouver un jour, tous les trois….Je n’oserai pas vous demander si vous êtes toujours handicapés…Est-ce que ça existe les handicapés, au Ciel ? Peut-être que vous serez devenus comme les autres ? Est-ce qu’on va pouvoir enfin se parler d’homme à homme, se dire des choses essentielles, des choses que je n’ai pas pu vous dire sur Terre parce que vous ne compreniez pas le français et que moi, je ne parlais pas le lutin ?

 

Visite de Pierre Desproges dans l’établissement de Thomas (p. 96)

            Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi chercher Thomas dans son établissement.

            Cette visite l’a beaucoup remué. Il a eu envie d’y retourner. Il était fasciné par ce monde étrange où des enfants de vingt ans couvrent de baisers leur ours en peluche…

            Lui qui adorait l’absurde, il avait trouvé des maîtres.

 

Des enfants pas comme les autres (p. 104 et 105)

            Je n’aime pas le mot « handicapé »…Je n’aime pas non plus le mot « anormal », surtout quand il est collé à « enfant »…Je préfère l’expression « pas comme les autres ». Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire forcément être moins bien que les autres, ça veut dire être différent des autres... Einstein, Mozart, Michel-Ange n’étaient pas comme les autres.

 

Lettre de Mathieu et Thomas à leur père (p.119 et 120)

            Cher papa,

            On ne te félicite pas pour ce que tu as fait, regarde-nous. C’était si difficile de faire des enfants comme tout le monde ? Quand on sait le nombre d’enfants normaux qui naissent tous les jours et qu’on voir la tête de certains parents, on se dit que ça ne doit pas être bien sorcier.

            Tu crois que c’est marrant d’être handicapé ? On a quelques avantages. On a échappé à l’école, pas de devoirs, pas de leçons, pas d’examens, pas de punitions.

 

« On ne voudrait pas qu’il grandisse » (p. 125)

            On entend certaines mères, devant le berceau de leur enfant, dire : « On ne voudrait pas qu’il grandisse,… » Les mères d’enfants handicapés ont beaucoup de chance, elles joueront à la poupée plus longtemps.

 

Vouloir se reproduire et laisser des traces (p. 128)

            Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir me reproduire ?...Je ne voulais pas mourir entièrement, je voulais laisser des traces…

            J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais de celles qu’on laisse après avoir marché sur un parquet ciré avec des chaussures pleines de terre et qu’on se fait engueuler.

 

La loterie génétique (p. 152 et 153)

            Quand j’étais jeune, je souhaitais avoir plus tard une ribambelle d’enfants…Des enfants à qui j’apprendrais à jouer au basket et au volley-ball, avec qui je ferais des matchs que je ne gagnerais pas toujours. Des enfants à qui je montrerais des tableaux et ferais écouter de la musique. Des enfants à qui j’apprendrais en secret des gros mots. Des enfants à qui j’enseignerais la conjugaison du verbe péter…

            Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.

 

Je ne sais plus bien qui je suis (p. 154 et 155)

            « Ils ont quel âge, maintenant, vos enfants ? » Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre. Mes enfants sont indatables…j

            Quand ils étaient petits, il fallait changer leurs chaussures, prendre chaque année une pointure supérieure. Seuls leurs pieds ont grandi, leur QI n’a pas suivi. Avec le temps, il aurait plutôt eu tendance à diminuer. Ils ont fait des progrès à l’envers…

            Je ne sais plus bien qui je suis, je ne sais plus très bien où j’en suis…

            Ma route se termine en impasse, ma vie finit en cul-de-sac.

 

 

 

Face à la façon dont le père de ces deux enfants handicapés a vécu cette situation     particulièrement difficile et éprouvante, il est intéressant de la comparer au vécu de la mère des enfants.

 

Suite à la publication du livre de J.L. Fournier et en désaccord avec son ex-mari, elle a publié un blog pour exprimer son propre vécu avec ses deux enfants handicapés et celui-ci apparait très différent et pourrait-on dire beaucoup plus positif.

En voici quelques extraits :

 

« Je suis la maman de Matthieu et Thomas les deux handicapés, héros malgré eux d'un livre à succès dont je n'ai pas le droit de donner le nom.

Il semble que beaucoup de lecteurs n’aient pas compris que ce livre était un roman et non une autobiographie, et qu’ils l’aient pris au premier degré, jusque dans ses détails les plus caricaturaux.

Ayant dû, depuis sa sortie, répondre à des questions absurdes et démentir des rumeurs farfelues sur ma vie et celles de mes garçons, j’ai finalement décidé de publier ce site auquel ceux qui le désirent pourront se référer.

J’en profiterai pour tenter de rectifier l’image de mes fils. Image particulièrement maltraitée dans le livre d’après lequel ils n’auraient été que des désastres, des boulets à traîner, inutiles et honteux, et avec qui on n’aurait pu établir aucune véritable relation.

Je ne l'ai pas vécu comme ça.

Tout au long de ma vie, j’ai pris le temps nécessaire pour connaître et apprivoiser mes garçons. Je peux vous affirmer que leur existence n’a pas été inutile.

 

Je refuse l’idée désespérante que le passage de Matthieu et de Thomas sur cette terre n’était finalement destiné à rien.

A rien d’autre qu’à accabler leur père et à servir de sujet à un livre, aussi excellent soit-il. »

 

Agnès Brunet (mars 2009)

 

Discussion (Yvonne)

 

D’un avis quasi-unanime, le livre de Jean-Louis Fournier est un bon livre, bien écrit, extrêmement émouvant et paraissant très réaliste. Sa lecture fait apparaître ce livre comme un récit et non comme un roman. Les traits d’humour noir sont interprétés par les lecteurs comme des cris de douleur d’un père et non comme des figures de style d’un écrivain.

 

Mais la question qui a été longuement débattue est : avons-nous affaire à un récit, retraçant une réalité douloureuse ou bien à une fiction, certes basée sur une réalité, mais arrangée pour donner lieu à un roman ? La confrontation avec le blog de l’épouse de l’auteur, semble accréditer la version du roman. Mais, pour certains, la vision de la mère, exposée dans le blog, et la version du père, exposée dans le livre, ne sont que deux points de vue d’une même réalité : deux enfants handicapés. La mère, aveuglée par son amour maternel, les voit presque normaux, alors que le père, déçu dans son amour propre, les voit avec plus de réalisme.

 

Dans tous les cas, la lecture de ce livre ne laisse pas indifférent. Ami de Pierre Desproges, Jean-Louis Fournier manie l’humour noir avec talent et la lecture de son deuxième livre sur sa vie, « Veuf », m’a personnellement convaincue de son honnêteté envers la réalité des faits.

 

 

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 20:55

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

Mardi 13 décembre 2011

 

La télé-réalité

 

Présentation par Yvonne

 

Avant-propos

 

Télé-poubelle pour les uns, nouvelle ère télévisuelle pour les autres… On a beaucoup parlé de la télé-réalité pour vanter ou dénoncer la télévision. On a oublié de s’interroger sur son succès fulgurant et sa durée. Pourquoi la télé-réalité s’est imposée, en moins de dix ans, comme un mythe de notre temps.

 

  

Texte de Présentation

 

La télé-réalité est devenue un mythe. L’appellation « Télé-réalité » a l’avantage de donner l’illusion qu’aucun genre, qu’aucun programme de la télévision ne s’était préoccupé de réalité avant « Loft-Story ». La télé-réalité confirme que la télévision est bien entrée dans l’ère du marketting : la nouveauté ne sera souvent que l’invention d’un nom déposé.

 

Au début, les étiquettes vont se multiplier pour désigner les héritières de la télé-réalité : docu-réalité, télé-coaching, docu-fiction…. Il s’agit d’une mutation de la télé-réalité animée par un principe : donner aux émissions un style de feuilleton.

 

Qui peut prendre plaisir à regarder pendant des heures des images prises par des caméras de télé-surveillance ? On dit qu’il s’agit de la réalité en direct. On dit que tout se passe en direct, alors que la plupart des émissions sont tournées en quelques jours, enregistrées, montées et diffusées sur plusieurs semaines, donnant l’illusion que l’action se déroule dans le même rythme que notre vie.. C’est une fausse réalité. Il est facile d’imaginer que, seul, le pouvoir diabolique et exhorbitant de certaines chaînes  manipulent les téléspectateurs. Le CSA a adressé au Président de France-Télévision une lettre le mettant en garde contre les dérapages

et les dérives de cette télévision, dont certaines émissions ont fait scandale.

 

Cette télé-capteuse, télé-voyeuse, télé-poubelle est devenue un phénomène mondial. Les spécialistes, les producteurs choisissent de faire du « Big Brother ».

L’émission « Secret-Story » : grand succès d’audience avec 11 millions de téléspectateurs, 95 millions de pages vues en 3 semaines. On remarque que ce sont majoritairementt les jeunes qui apprécient cette émission (tranche 15-24 ans). 18 personnes anonymes, âgées entre 20 et 35 ans, vont passer plusieurs semaines (?) dans une maison de 560 m2 sous l’œil de 72 caméras et écoutés par 75 microphones ; cette émission sera diffusée quotidiennement à 18h 10 et hebdomadairement le vendredi en fin de soirée. Dans la maison des secrets, le lieu prime, on doit pouvoir tout voir, tout entendre !

 

Pourquoi on aime ce genre d’émission ? Les fans de « Secret Story » apprécient les embrouilles entre les participants, qui valent tout autant que les histoires des séries américaines. On regarde souvent cette émission en famille.

 

« Star Academy » : après TF1, qui a enthousiasmé  par cette émission des millions de téléspectateurs, NRJ12 reprend la « Star-Ac » : la chaîne offre au vainqueur la possibilité d’enregistrer un disque. L’émission regroupe 15 à 20 candidats que l’on retrouvera tous les jours entre 18h et 20 h., en direct précise le producteur de l’émission.

 

« L’amour est dans le pré » (M6) : le Ministre de l’Agriculture (Monsieur Lemaire) et, en moyenne, 6.2 millions de téléspectateurs regardent régulièrement cette émission (6ème année). Les aventures sentimentales et campagnardes mettent en relief les valeurs paysannes :  fidèles, humains, droits, honnêtes, les agriculteurs cherchent une compagne. Les prétendants sont « plutôt agriculteurs, les prétendantes plutôt citadines ». Ils font tous l’expérience de partager les conditions de vie des agriculteurs. Vont-elles trouver leur place à la ferme ? Et/ou l’âme sœur ?

 

La « Télé-Fourneau » ou « Master-Chef » : la télévision n’accordait pas une grande place à la gastronomie ; c’est fini, place maintenant à la « Food-Reality ». TF1 et M6 se lancent dans ce créneau, de manière d’abord pédagogique, mais se plaçant rapidement sur le plan de la concurrence. En progrès : 5.1 millions de téléspectateurs pour la deuxième année, 700.000 de plus. Cela répond à la passion dévorante des gens pour la cuisine simple, populaire et gourmande et montre que notre cuisine fait partie de notre patrimoine culturel. « Un dîner presque parfait » : M6 met l’accent sur la présentation de la table, ce qui est parfois très agaçant. Audience record : plus d’un million de téléspectateurs. Un ministre (de la Culture – Frédéric Mitterrand) va préparer un dîner de l’approvisionnement des denrées à la mise en scène de la table ; entrée, légumes au court bouillon avec crevettes sautées, turbot au beurre salé, fleurs de légumes, mousse au chocolat. Tout ceci pendant le journal télévisé (1.6 million de téléspectateurs). Etes-vous choqués qu’un ministre s’adonne à de telles exhibitions ?

 

« Koh-Lanta » : c’est la détente, le plaisir – TF1, 20h 45. L’aventure humaine, l’exotisme et le dépassement de soi, l’émotion. Le jeu de survie a 11 ans d’existence et n’a pas pratiquement évolué depuis sa création ; 25.6 millions de français s’installent devant leur télévision pour deux heures de dépaysement. Épreuves de survie Gégé, le « Max Gyver » de l’émission, 65 ans, est devenu une star, il a su vaincre la faim et la fatigue.7.4 millions de téléspectateurs, les aventures des « Robinson » des temps modernes tiennent bon la barre.

           

« L’amour est aveugle » : 6 célibataires cohabitent pendant deux jours, trois femmes et trois hommes, puis sont réunis dans l’obscurité pour former trois couples qui se découvrent en pleine lumière..

 

« L’île de la tentation » : évaluation de la maturité sexuelle et sentimentale des candidats. Les situations scabreuses deviennent familières

 

Jusqu’à quand les chaînes oseront-elles continuer ce genre d’émissions ? L’attitude des téléspectateurs a changé : on s’habitue, la télé-réalité se présentant comme la description d’expériences humaines, scientifiques ou sociales, dans tous les domaines. La télé-réalité est aujourd’hui perçue comme un divertissement ; mais on commence à se lasser, si les candidats sont mauvais. Si les spectateurs s’éloignent de la télé-réalité, ils reviendront vers la fiction et iront chercher la réalité ailleurs..

 

Les téléspectateurs ont fini par gommer les histoires de vie des candidats et par considérer tout ça comme des histoires fabriquées. Or, les candidats jouent un rôle qui ressemble à leur vie, autant que le leur permet le producteur de l’émission. Donc, aujourd’hui, les émissions de télé-réalité seront concurrencées par de bons scénarios, joués par de bons acteurs.

 

Que reste-t-il des critiques contre la télé-réalité ? Rien que des contempteurs de « Loft-Story », « L’île de la tentation », « Koh-Lanta » »,  « Secret-Story » ! Or, ces émissions ne disparaitront pas, car elles se transforment en émission de jeu.

 

Le livre de François Jost m’a aidé à vous parler de la grandeur et des misères de la télé-réalité, de la dérive de l’espace audio-visuel public à l’ère du divertissement.

 

 

Discussion (Paul)

Le paradoxe de cette discussion est que 2 des participants n'ont pas la télévision et que tous déclarent n'avoir jamais vu d'émission de téléréalité !!!

Une première difficulté est donc de savoir ce que sont les émissions de téléréalité et chacun a son point de vue en fonction de ses lectures, de conversations antérieures ou de l'exposé. Bien entendu cela est toujours un peu biaisé par la façon d'en parler des sources.

Il semble qu'on puisse dire que c'est une émission qui veut montrer la « vraie vie » avec des enregistrements sur le vif, en directe, de « vrais gens ». En réalité, ce ne peut être que le fruit d'un travail, de sélection d'enregistrements, organisés au montage, avec des inconnus, bien évidemment sélectionnés avant le tournage. Le tout organisé afin d'avoir la plus large audience possible et de toucher une population de téléspectateurs particulièrement visés. Ce que la téléréalité semble bien réussir quand on voit les chiffres d'audience.

Les situations peuvent correspondre à la vie telle que les téléspectateurs peuvent vouloir la voir pimentée de situations plus ou moins exacerbées par la mise en présence de personnes qui, sans être des acteurs professionnels (mais pour certains qui espèrent le devenir), jouent leur propre vie. À partir de là, les émissions sont construites, suggérées, sans être vraiment scénarisées.

La discussion porte beaucoup sur la différence qu'il peut y avoir entre des émissions de téléréalité et la télé elle-même et ses feuilletons, le cinéma proprement dit ou même la littérature, feuilletons, romans de gare ou romans tout court : différence dans le professionnalisme des techniciens, des réalisateurs. Tous veulent faire « vrai » avec des moyens plus ou moins « sophistiqués » et toucher le maximum de monde avec le minimum de moyens : dans la téléréalité ils partent de données plus ou moins brutes, ailleurs souvent d'expériences propres ou imaginées à partir de faits réels ou imaginaires.

La téléréalité se veut en principe conforme à une réalité que chacun connaît plus ou moins, officiellement non arrangée, le film de télévision ou de cinéma ne s'interdit pas l'imaginaire au contraire, que ce soit pour le point de départ ou le développement à partir d'un fait concret et prétend arriver, à travers cet imaginaire, à une autre réalité qui n'était pas perçue de façon immédiate.

La différence principale est peut-être dans le fait que ceux qui font de la téléréalité, prétendent livrer la réalité brute, ceux qui font des films prétendent faire découvrir la vraie réalité à travers le prisme de leur imagination et de leur création, assumée. Qui transfigurent la réalité des faits immédiats.

Entre la téléréalité et le film, il y a peut-être l'art et le talent.

 

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 20:30

L’ECUME DES JOURS
 

Boris Vian
 

Présentation par Jean

Colin est jeune et riche, et il attend l’amour. Il rencontre Chloé, qui porte le nom de son morceau préféré, un standard du jazz interprété par Duke Ellington. Ils tombent amoureux, ils se marient. Mais Chloé se met à tousser. Son ami Chick, de son côté, séduit Alise, l’amie de Chloé. Chick est pauvre. Qu’à cela ne tienne, Colin lui avance les doublezons nécessaire au mariage, c'est-à-dire au bonheur. Mais Chick est dévoré par une passion plus forte que son amour : celle qu’il porte à la personne et à l’oeuvre de Jean-Sol Partre.
Ces deux histoires parallèles – plus celle, à peine esquissée, qui évoque le troisième couple constitué par Isis et Nicolas – se développent dans une atmosphère surréaliste où les murs des maisons rétrécissent, où les souris se taillent des sucettes dans le savon des salles de bains, où les carreaux cassés repoussent, où les appareils digestifs des lapins servent aux pharmaciens pour la préparation des pilules.
Comme le dit « bison ravi » dans son avant-propos : « Il y a seulement deux choses : c’est l’amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid, et les quelques pages de démonstration qui suivent tirent toute leur force du fait que l’histoire est entièrement vraie, puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. »

 

Critiques :

Raymond Queneau voit 'L' écume des jours' comme 'le plus poignant des romans d'amour contemporains'.
Ce livre est une pure merveille, l'œuvre de Vian où la beauté du monde apparaît le plus nettement dans un monde laid et corrompu, absurde. C'est un roman qui bouillonne de beauté, d'amour et de poésie...
. Son Écume des jours est un de ses nombreux romans allégoriques, délicieux et désabusés. C'est, de l'avis de beaucoup, le roman d'amour le plus pathétique qui ait jamais été écrit.
Décrits avec fantaisie, cernés avec la précision de l'ingénieur et choyés avec un coeur débordant de pitié près de se rompre, les héros de cette étonnante histoire, Colin ,Isis et leurs amis, sont traités à la même enseigne qu'un rayon de soleil, des souris ou une serviette de bain accueillante.
A la fois la plus débridée des fantaisies verbales et la plus implacable des tragédies, ce roman se savoure entre sourire et terreur, mélange d'amours adolescentes, presque mièvres, toutes simples, de satire anti-partrienne et de cynisme.
Le monde de Boris Vian semble issu d'une imagination enfantine qui aurait vécu toutes les péripéties de la vie et ne parviendrait pas à y piger grand chose, sinon que tout ne se déroule pas comme on le voudrait.

LE MONDE DU TRAVAIL
Un des principaux thèmes de l'écume des jours reste le monde du travail. Bien que peu de chapitres abordent ce sujet, l'idée de Colin sur le monde du travail, son comportement, celui de Chloé vis à vis des travailleurs ne laissent aucun doute. Boris Vian critique la hiérarchie des entreprises, les patrons, le système du monde du travail en général.Des exemples nous montrent comment Vian voit le monde du travail. Des personnages complètement caricaturés, bêtes, méchants entre eux, une organisation de la hiérarchie complètement stupide et des acteurs tout à fait asservis à cette organisation. L’exemple de Nicolas est édifiant : tant qu’il est au service de Collin, encore riche, il tient un langage ampoulé, et, Collin ruiné, Nicolas reprend un langage naturel et familier.


 

L'ARRACHE-COEUR

 

Boris VIAN 1953
Jean-Jacques Pauvert1962

 

Présentation par Paul

 

L'ARRACHE-COEUR raconte l'arrivée d'un psychanalyste, Jacquemort, venant d'on ne sait où, dans un village situé en bord de mer. Intrigué par les cris, il entre dans La   Maison, un peu à l'écart du village, pour participer à l'accouchement de « trumeaux ». Il  s'installe dans cette maison et c'est l'histoire de cette maison et du village qui est narrée.
Le récit est un mélange de cruauté, de poésie et de non-sens, qui n'est cependant pas sans signification...

Il est centré sur quelques personnages : celui de Jacquemort est le principal. Jacquemort est vide. Il vient pour analyser des gens et se remplir de leur vie. En fait de psychanalyse, il ne fera que celle d'un chat. Et de deux bonnes qui confondent fornication avec psychanalyse et veulent bien la première et non la seconde.
 « Quand est-ce que je vous psychanalyse ? Elle rougit et le regarda en dessous...  On peut pas faire ça maintenant, avant d'aller à la messe... dit-elle pleine d'espoir...
 Par un souci d'humanité bien compréhensible, il évita de lui faire un enfant. »

 « Depuis une semaine qu'il avait absorbé l'intégralité de la substance mentale du
 chat noir, il passait de surprise en surprise et apprenait à grand peine à se débrouiller dans ce monde complexe et violemment affectif... Il riait maintenant de  ses tentatives pour laisser croire - et se persuader lui-même - qu'il éprouvait le besoin de se gratter l'oreille avec son pied ou se coucher à croupetons... »

 « D'un coup, son bras se détendit ; il saisit la bestiole et la porta à ses narines. Cela
 sentait vraiment bon. Se léchant les lèvres, il ouvrit la bouche et croqua sans
 hésiter la tête du poisson frétillant. C'était exquis et il y en avait plein la mare. »

Il arrive dans un village au mœurs bizarres, cruelles (foire aux vieux, crucifixion d'un cheval, maltraitance des apprentis...) dont les habitants se sont déchargés de la honte qu'ils pourraient avoir de leur comportement en condamnant l'un des leurs, La Gloïre, à être l'éboueur du ruisseau où ils rejettent le fruit de leurs mauvaises actions et qu'il le nettoie de tous ces immondices avec ses dents contre une rémunération en or dont ils ne peut rien faire.
 La foire aux vieux... « on pouvait compter 7 hommes et 5 femmes... (Le  maquignon municipal)... sentait mauvais et les vieux encore plus... tout couverts  d'étoffes sales et informes, pas rasés, pleins de rides pleines de crasses, les yeux  plissés d'avoir trop travaillé au soleil. Ils mâchonnaient de leurs bouches édentées  aux chicots puants.
 - Allez celle là est en bon état, dit-il. Qui en veut ? Elle a point de dents. Ça peut
  être commode. »
 
 « Tu me prends ça, dit le menuisier, en montrant la caisse où gisait l'apprenti... Ils
 partirent et, peu après, longèrent le ruisseau rouge. Angel descendit et prit la
 caisse... Puis il la bouscula dans l'eau. Le bois coula aussitôt à pic. Le corps de
 l'enfant surnageait, immobile, emporté par le cours lent du ruisseau, comme par
 une nappe de cire figée. »

D'abord choqué, Jacquemort, peu à peu adopte une certaine cruauté des villageois. Mais le psychiatre a mauvaise conscience et pointe la honte que devraient avoir les villageois.  Cette « faiblesse » le conduira à remplacer La Gloïre. Le psychanalyste se charge de la honte du village.
 La Gloire : « On jette les choses mortes dans cette eau pour que je les repêche.  Avec  mes dents. Je suis payé pour ça. On me fournit la barque. Ils me paient pour  que j'ai des remords à leur place. De tout ce qu'il font de mal ou d'impie. De tous   leurs vices. De leurs crimes. De la foire aux vieux. Des bêtes torturées. Des  apprentis. Et  de ordures... Jamais de remords... Mais celui qui faiblit... Celui qui se  révolte... »

 « La Gloïre est mort hier et je vais prendre sa place. Vide au départ, j'avais un  handicap trop lourd. La honte, c'est tout de même ce qu'il y a de plus répandu. Mais  qu'avais-je à vouloir sonder, qu'avais-je à vouloir savoir – pourquoi tenter d'être  comme eux – sa ns préjugés, doit-on nécessairement aboutir à cela, cela seul ? »

Clémentine est le deuxième personnage du récit. Elle accouche, douloureusement, de ses trumeaux. Après avoir rejeté le père, responsable de l'avoir salie et enlaidie, elle va se consacrer aux enfants en essayant d'être la mère parfaite, et au delà, pour éloigner tous les dangers qu'elle devine avec une imagination totalement délirante : chaussures en fer, mur invisible pour qu'ils ne puissent sortir du jardin, abattage des arbres qui pourraient leur tomber dessus, sol tapissé contre tout ce qui pourrait en provenir...
Le rejet de l'acte ne l'empêche pas d'avoir des transes tous les jours, en fin d'après midi. Au même moment, le maréchal-ferrant du village fantasme son amour avec Clémentine par l'intermédiaire d'un androïde portant les mêmes vêtements que Clémentine.
 Clémentine : « Je devrais me sentir mieux, hein ? .. comme ça... juste après...  avec mon ventre déchiré... et mon ventre qui me fait mal... et les os de mon bassin
 tordus et douloureux, et mes yeux pleins de veinules rouges... Je devrais me
 récupérer, être bien sage, me faire une jolie silhouette bien plate, une jolie poitrine
 bien ferme... pour que toi ou un autre vous veniez m'écraser et me jeter votre
 ordure, et que je recommence, que j'aie mal, que je sois lourde, que je saigne.. .»

 Clémentine : « Je me lèverai demain. Dans 6 mois, il faut qu'ils sachent marcher.
 Dans un an, ils liront. »

 « Ça sentait la charogne. Il y avait une boite à chaussures en carton d'où venait
 l'odeur. Clémentine la saisit et flaira... un reste de bifteck achevait de putréfier...
 Elle passa son doigt sur le bifteck, tâta... assez pourri. Délicatement, elle saisit le
 bifteck entre le pouce et l'index et elle mordit avec soin....
 Le principe devait triompher... : les meilleurs morceaux pour les enfants... Mais ça,
 n'importe qui peut le faire. Toutes les mères... Mais elle seule laissait pourrir tous
 ces rebuts. Les enfants méritaient bien ce sacrifice... »

 « Les enfants appartiennent à leur mère. Puisqu'elles ont eu du mal en les   faisant... Et pas à leur père. Et leurs mères les aiment, par conséquent il faut qu'ils  fassent ce qu'elles disent... »

 « Oui, voilà les deux choses terrifiantes, évidemment : qu'ils grandissent et qu'ils
 sortent du jardin. Que de dangers à prévoir... Je les aime puisque je pense à ce
 qu'il peut leur arriver de pire... »

 « Elle a fait construire un mur de rien pour qu'on ne puisse pas avoir envie de sortir
 du jardin. Comme ça, tout ce qui n'est pas le jardin, c'est rien et on ne peut y  aller... »

 Clémentine : « Un sol analogue, un sol annihilant le sol... lI faut leur construire un
  monde parfait, un monde propre, agréable, inoffensif... »

Le père, Angel, le plus « normal » des personnages, rejeté durement par la mère, enfermé pendant les 2 derniers mois de la grossesse de Clémentine qui ne veut plus le voir, rejeté aussi par les enfants qui préfèrent la mère, se réfugie dans une grange, a des discussions plus ou moins philosophiques où il semble être le thérapeute du vide de Jacquemort, construit un bateau et finit par quitter La Maison pour partir vers l'inconnu.
 (Angel) « dormait et tâchait de dormir en pensant aux fesses de sa femme, car, vu  le ventre, il préférait penser à elle de dos. Une nuit sur deux, il se réveillait en  sursaut.
 Le mal, en général, était fait... il en avait besoin... »

 Jacquemort : « Je suis vide. Je n'ai que gestes, réflexes, habitudes. Je veux me
 remplir. C'est pourquoi je psychanalyse les gens. Mais mon tonneau est un tonneau
 des Danaïdes... Je connais les termes sous lesquels on range les passions, les
 émotions mais je ne les éprouve pas... Alors vous voyez vient que ça ne vient pas
 de moi, ce désir de me remplir. Que c'était joué d'avance. Que je n'étais pas libre.
 - Mais si, répondit Angel. Puisque vous avez un désir, vous êtes libre...
 - On n'est libre que lorsqu'on n'a envie de rien... C'est parce que je n'ai envie de
 rien que je me conclus libre.
 - Puisque vous avez envie d'avoir des envies, vous avez envie de quelque chose et
 tout ça est faux... Mais non. Dit Angel. La liberté, c'est le désir qui vient de vous...
 Un psychiatre doit avoir mauvaise conscience. »

 « Votre femme m'envoie chercher le maréchal ferrant. Vous ne  craignez pas   qu'elle les élève un peu brutalement ?
 - je ne peux rien dire, dit Angel. Elle a souffert et pas moi. Ça lui donne des droits.
 - Je conteste, dit Jacquemort, qu'une chose aussi inutile que la souffrance puisse
 donner des droits quels qu'ils soient, à qui que ce soit, sur quoi que ce soit. »

Il y a aussi le curé qui n'est pas très orthodoxe.
 « Le curé ricana : La religion est un luxe. Ce sont ces brutes qui veulent en faire
 quelque chose d'utile. »

 « Au milieu de la remise... se dressait un ring parfaitement établi formé de 4  poteaux sculptés... Deux des poteaux diagonaux ne représentaient guère que des  scènes familières de la vie de Jésus : Jésus se grattant les pieds sur le bord du   chemin, Jésus se tapant un litre de rouge, Jésus à la pêche à la ligne, bref un   résumé de l'imagerie sulpicienne classique...

Les enfants, Joël, Noël, Citroën (?) qui connaît des secrets... Ils trouvent des limaces qu'ils  mangent ce qui leur permet de voler. Mais la mère dans un ultime effort de protection va les enfermer dans une grande cage confortablement aménagée.

Apprenti : « Mon patron a oublié son marteau, je viens le chercher.
 Se retournant il aperçut les 3 cages... Elles étaient juste assez hautes pour un
 homme pas très grand... Dans chacune, on avait mis un petit lit douillet, un fauteuil
 et une table basse. Une lampe électrique les éclairait de l'extérieur...
 Ça devait être merveilleux de rester tous ensemble comme ça, dans une petite  cage bien chaude et pleine d'amour... Il aperçut des cheveux blonds... Lorsqu'il  rencontra leur regard, il sut qu'il y avait d'autres petits garçons dans la cage... Il  repartit vers le village... »

Le livre est un mélange de cruauté et de poésie, un mélange de mots rares ou inventés,  de situations complètement imaginaires traitées sur un même ton, à la base d'un sentiment d'absurde et de poésie. Mais aussi d'un profond pessimisme : société sans amour sauf celui d'une mère abusive délirante, enfants exploités enviant d'autres enfants en cage, psychiatre éboueur moral de la société.... La seule issue est de quitter ce monde pour un monde inconnu... dont vient peut-être Jacquemort.

 

VOCABULAIRE
Calamines en fleur, Brouillouses, Algue braisée, Bouc de Sodome, Chasse-marée, Trumeaux, 2 verres de ploustochnik, Salopiots, Calaïos, Ormades, Rêviole, Garillias, Araucarias, Mayanges, Bécabunga, Cormarin, Cannaïs, Sensiaires, Psychiatrer, La carde bleu du ciel, Merdres, La bave du crache-sang, Instruments : une souris verte, Artificieux, Dracoena, Une genuine robe, Filoselle, Orpin blanc, Cretons, Tétée de troizocloques, En feux diaprès, Plantes filassouzes, Jésus, c'est du rabiuxe, en pluxe, du luxe, Répétitoires, Succube, Fouille-pétrin, Juinet, Translujaüne, Juinout, Janvril, Il s'enfoirait, C'est un fët, Progrët, Gouillait, Résouillait, Gluissait, Chärles, Avroût, Juillembre, Saint Delly, Octembre, Stipes, Maliettes, Trifolium de Descartes, Cardioïde, Un zonzon aigu, Pulvérin de cristal.

 

EXPRESSIONS
L'écume tremblait comme une gelée de juillet/Bruit doux et rauque des vagues/Sentait l'algue braisée/Le soleil corrodait la surface de la mer et la salissait/ Les 113 douleurs de l'enfantement/doigta habilement le doigtier/Elle avait une voix d'ongle sur du cuivre/La lueur émanée du miroir/Le clapotis du soleil au bas des rideaux/Des yeux de viande plissée (nouveau né)/Une nuit mal dormie/Nez en pied de marmite/Ogive (de l'église) sans tambour ni trompette/Elle transpirait en rond/Fier comme des leghorn/L'odeur végétale de sa transpiration/Sa figure était morose comme celle d'un saint de pierre après un bombardement/Il pressa le pas et le pouls/Les coudes, les épaules du cheval/Aussi nu qu'un barbu rasé/Efficacement poussiéreux/Édredon mamelu/Velues comme des jambes de palmier/Sentir le chien mouillé chaud.

 

ABSURDITÉS
Des biques point. Les douaniers les tuaient à cause des crottes.
Il se redressa et tendit l'oreille, à personne en particulier
Avez-vous un Larousse médical ?... J'ai que le catalogue général de la Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint Étienne...
La nurse revint, munie d'un baquet ovale à éplucher les chiens...
– - Apparemment, on les punit de cette façon-là.-
– - Ça n'a pas de sens. Elle n'a pas fait de mal.
– - Et qu'est-ce qu'elle a fait de bien ?

 

 

Discussion (Anne)

La discussion se déroule en 2 temps : 1°partie après le premier roman, 2° après le second. 
 

« L'écume des jours »

 Les participants vont discuter du thème du travail à travers « L'écume des jours » : pour l'intervenant, Boris Vian méprise le travail et surtout les travailleurs (personnage de l'électricien, du mineur...). Pour d'autres participants, il ne s'agit pas de mépris mais de rejet du travail dans ce qu'il a de négatif c'est-à-dire une exploitation physique et morale des individus. C'est le retour au sens étymologique du mot travail : torturer avec le tripalium.
Les participants sont par contre d'accord sur le côté poétique de ce roman, de l'image donnée à la maladie (ce nénuphar qui se développe dans la poitrine de Chloé et que les autres fleurs n'arrivent pas à tuer) au symbolisme de l'appartement qui rétrécit et qui laisse à peine passer une petite souris alors que cette même souris dansait avec ses compagnes au début du livre.
 

« L'arrache-coeur »

Ce livre semble poser plus de problèmes que le précédent, en particulier l'interprétation de certains éléments comme : Jaquemort arrive « vide » dans le village ; il se remplit d'un chat : influence de la psychanalyse dont il est d'ailleurs souvent question ? L'auteur s'amuse-t-il ou doit on interpréter de nombreuses situations ; là aussi le monde du travail est vu comme particulièrement avilissant et les enfants, comme les apprentis sont souvent mis à contribution. Le livre contient un mélange de sensibilité, de vocabulaire inventé et d'idées farfelues.
Un monde assez sinistre illustré par la foire aux vieux, la religion dans son rôle utilitaire  (faire tomber la pluie!).

Un poème de B.Vian illustre ensuite plusieurs aspects de l'auteur,en particulier le thème de la maladie et la poésie : « Je voudrais pas crever ».

A signaler, en octobre, une exposition consacrée à B.Vian à la BNF et une publication d'Inédits, à la même date : Post-scriptum : graffiti, dessins, unes de journaux de Vian.
 

 

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 14:38

 

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

Mardi 10 mai 2011

 

« Justice et charité »

 

Présentation par Marie-Anne

 

1. Avant de nous lancer dans une réflexion de nature plus philosophique, je voudrais vous citer quelques réponses à un sondage sur l’opinion des gens vis-à-vis de la mendicité à la question : « Faut-il donner aux mendiants ? »

 

-  Pas facile d'avoir l'âme d'un Abbé Pierre ; si tu en rencontre plusieurs par jour, que penses-tu devoir faire ?

- Un certain Louisy Joseph chante : " ... obligé de dire merci pour un euro ou même moins ...", ça me rappelle ce SDF qui avait dit "si vous n'avez que ça, gardez-les, vous êtes plus à plaindre que moi".

- J'avais un jour, acheté des croissants que je me suis fait jeter à la tronche, en fait ce monsieur préférait le contenu de sa bouteille et voulait la tite soeur pleine de ladite bouteille ...

- Bien sûr, ils font ce qu'ils veulent mais comme pour tout don, je préfère savoir dans quoi ça va aller, sinon, je préfère aider autour de moi (ce qu'on devrait tous faire, il y aurait déjà bien moins de SDF, sûrement)

 

-         La grande question que je me pose consiste déjà à savoir si l'argent va dans leur poche.
Pour le clodo certainement. Si je lui donne, j'accepte par conséquent qu'il en fasse ce qu'il veut, même si ça consiste à s'acheter de l'alcool (donc, je sais que là je fais juste plaisir ponctuellement à un gus, et certainement à moi-même tout autant pour me donner bonne conscience, sans doute. Mais ça ne résout rien)

Mais pour d'autres formes de mendicité, par exemple le plus fréquemment pour ma part, des roumains que je croise dans les transports - souvent des enfants ou des femmes avec des bébés - qui font soit signer des "pétitions" bidons ou laissent des billets "J'ai quatre enfants, etc ...", avec encore et toujours la même police de caractère pour "Ticket Restaurant", je me pose d'avantage de questions ... qui fait ces billets, par exemple ?
Bon, bref, on se doute que derrière cette mendicité organisée, il y a un système.


- Dans tous les cas, oui, c'est à l'Etat de gérer le problème, en apportant les solutions à plusieurs niveaux : lutter contre l'exploitation des clandestins donc, lutter contre la précarité tout simplement (qu'on ne puisse pas, suite à un licenciement ou autre dégringoler dans la rue) et prendre en charge avec un minimum de décence les gens les plus pauvres, ne pas être substitué par les Restos du Coeur ou autres associations dont il devrait remplir la tâche.

En république, c'est donc bien à l'Etat d'utiliser nos sous (les impôts) pour pallier à ces problèmes, garantir que dans un pays comme le nôtre la misère soit enrayée, qu'au minimum tout individu puisse vivre décemment.

 

2. Et maintenant, la philosophie  et, pour commencer, une maxime de Proudhon :

 

 « Nous n'avons pas besoin de votre charité, nous voulons la justice. »

(Proudhon, Justice)

 

 Texte établi d’après un article de Marc Anglaret (professeur de philosophie)

 

 Dans le domaine de la philosophie morale, il est assez commun de considérer, lorsqu’on distingue la justice et la charité, que la seconde est un “adoucissement” de la première. Autrement dit, un acte de charité serait plus “humain” et donc meilleur moralement qu’un acte de justice. Nous nous proposons ici de montrer que cette idée repose sur un malentendu à l’égard de la notion de justice.

 

La philosophie considère, d’une manière très générale, la justice comme l’application du principe : « A chacun son dû ». Les divergences apparaissent dès lors qu’il s’agit de savoir selon quels critères il faut établir le dû de chacun, autrement dit ce qui lui revient de droit. Mais on peut déjà remarquer que cette conception de la justice, même avec sa grande imprécision, permet d’aller plus loin que la seule conception répressive de la justice, tout en l’englobant. Certes, ce qui est au coupable, c’est dans la plupart ou la totalité des cas, une punition. Mais dire « A chacun son dû », c’est demander également le dédommagement de la victime, et aussi une certaine égalité des droits pour tous, ce qui suppose nécessairement une aide aux plus défavorisés (« donner plus à ceux qui ont moins », comme on le dit parfois). Il est en effet évident que l’égalité des droits impose une inégalité des traitements ; par exemple, si l’on considère que la santé est un droit, il est juste que les malades aient droit à plus de soins et d’aide que ceux qui sont en bonne santé, sans que cette aide supplémentaire puisse être considérée comme l’expression d’une quelconque charité : il s’agit bien ici de justice.

On voit dès lors que, si toutes les exigences de la justice sont satisfaites, le rôle de la charité devient inutile voire nuisible, puisque par la charité est introduite une certaine inégalité que rien, en droit, ne semble justifier : il n’est pas juste par exemple, même s’il est sans doute charitable, que tel mendiant bénéficie de mes largesses, et non tel autre. On objectera bien sûr que les revendications de la justice, au sens “exigeant” du terme, n’ont jamais, et de loin, été satisfaites, et même qu’elles ne le seront probablement jamais. Cela signifie par conséquent que la charité n’a de raison d’être que si la justice n’est pas complètement appliquée. Une société “idéale”, quels que soient les détails de son organisation, ne connaîtrait pas la charité, mais au contraire une justice totale. La charité est donc moins le signe d’une perfection morale que celui d’une imperfection sociale ou politique.

On voit ainsi que la conception d’une justice par essence trop sévère, qui devrait par essence être corrigée par la charité, ne tient pas. Cette conception confond, semble-t-il, la justice de fait, qui est certes parfois trop sévère (mais sans doute aussi parfois trop clémente), et la justice de droit, quelle que soit la théorie précise de cette justice de droit, pourvu qu’elle soit ou prétende être conforme au principe : « A chacun son dû ».

Remarquons également un point important concernant la distinction entre justice et charité. La charité est par définition d’initiative privée, tandis que la justice ne saurait relever que de la responsabilité publique. Ce qu’on appelle par exemple la “justice sociale” consiste dans l’ensemble des dispositifs par lesquels l’Etat s’efforce de réduire les injustices dites sociales, afin que leur disparition ou au moins leur atténuation ne dépendent précisément pas de la charité privée, souvent insuffisante et toujours inégalement répartie. La charité, ne serait-ce que par cette inégale répartition, est donc toujours injuste, en ce sens qu’il ne se trouve pas quelqu’un de charitable pour toute situation qui l’exigerait. Pour une femme adultère pardonnée par Jésus, combien périrent, faute d’une personne charitable pour les sauver ? Mais si, au contraire, c’est la justice qui exige que l’adultère ne soit pas puni, du moins pas par la mort, alors cette justice fera que toutes les femmes adultères et tous les hommes adultères seront jugés et éventuellement punis de la même manière, ce qui semble la moindre des exigences de la justice, mais qui ne peut être garanti par la charité, fût-ce celle de Jésus.

L’exemple plus général du traitement de la pauvreté dans la société permet de comprendre précisément cette différence entre justice et charité. Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, cite saint Ambroise : « Le pain que tu gardes appartient à ceux qui ont faim ». Les pauvres sont bel et bien propriétaires, au sens strict, des biens que les riches possèdent en plus de ceux qui leur permettent de satisfaire leurs propres besoins naturels (« le pain que tu gardes »). Pour saint Thomas en effet, Dieu veut que tous les hommes puissent satisfaire leurs besoins vitaux. Ceux à qui le droit humain (qui fixe la propriété privée) n’attribue pas suffisamment pour cela, c’est-à-dire les pauvres, ont donc, d’après le droit divin, l’autorisation de prendre ce qui est en fait à eux. Le droit humain est donc en tort par rapport au droit divin à chaque fois qu’un pauvre a moins que le nécessaire et qu’un riche a plus. Lorsqu’un riche donne à un pauvre, il ne fait donc pas la charité, mais rend au pauvre ce qui lui appartient de droit ; il ne fait donc que respecter la justice qui, pour être divine, n’en est pas pour autant charité. On voit donc bien ici que, si la justice est satisfaite, autrement dit si tous les hommes ont au moins de quoi satisfaire leurs besoins vitaux, la charité est inutile.

Spinoza, quant à lui, va plus loin et estime que c’est l’Etat qui doit s’assurer que tous les citoyens qui sont sous son autorité ont ce minimum vital : « (…) porter secours à chaque indigent dépasse de loin les forces et l’intérêt d’un homme particulier. Car les richesses d’un homme particulier sont de beaucoup insuffisantes à y subvenir. Et, d’ailleurs, les facultés d’un seul homme sont trop limitées pour qu’il puisse se lier d’amitié avec tous. Aussi le soin des pauvres incombe-t-il à l’ensemble de la société et concerne seulement l’utilité commune. » On peut remarquer ici l’opposition entre « l’intérêt d’un homme particulier » et « l’utilité commune », qui justifie à elle seule que « le soin des pauvres » incombe à « l’ensemble de la société ». Spinoza ne fait pas plus confiance en effet en la bonne volonté des riches qu’en leurs possibilités, puisque qu’il reconnaît que ce n’est pas leur intérêt, en tant qu’hommes particuliers, que d’aider « ceux qui n’ont pas de quoi se procurer les choses nécessaires à la vie ».

Kant, par un raisonnement un peu différent, parvient au même résultat : « La volonté universelle du peuple s’est (…) unie en une société, qui doit se conserver toujours, et elle s’est soumise en conséquence à la puissance publique intérieure, afin d’entretenir les membres de cette société, qui ne peuvent se suffire. C’est par l’Etat donc que le gouvernement est autorisé à contraindre les riches à fournir les moyens de se conserver à ceux qui ne le peuvent point. (…) cela ne saurait se faire que de manière obligatoire par des charges publiques et non pas simplement grâce à des contributions volontaires ».

Par des voies fort différentes, saint Thomas d’Aquin, Spinoza et Kant considèrent donc que c’est la justice, qui donne à chacun son dû, et non la charité, qui prétend donner à chacun plus que son dû, qui a pour mission de régler le problème de la pauvreté, que tous sont d’ailleurs d’accord pour définir comme le fait de manquer ce qui est indispensable à la vie. La différence notable entre saint Thomas d’une part, Spinoza et Kant d’autre part, est que pour ces derniers, c’est l’Etat, et non les particuliers, qui a la charge de faire en sorte que les pauvres aient ce à quoi la justice (qui est alors humaine, et non plus divine) leur donne droit. La difficulté rencontrée par saint Thomas est que rien ne contraint réellement les riches à donner aux pauvres, ceux-ci étant par conséquent dépendants de la “bonne volonté” de ceux-là. Mais malgré cette importante divergence, on en arrive bien pour ces trois auteurs à l’idée que si la justice est intégralement satisfaite, la charité est ici inutile. Nous disons bien « ici », car bien que pour Thomas d’Aquin la charité soit évidemment une vertu fondamentale, elle ne semble pas avoir d’application concernant le problème de la pauvreté.

On pourrait objecter à ce qui précède que des actes de charité, en plus des actes de justice, sont indispensables à la vie en société. Prendre un auto-stoppeur dans sa voiture, par exemple, semble un acte de pure charité, et non de justice, car nulle injustice n’est manifestement commise si l’autostoppeur n’est pas pris. Or un tel acte, et tous ceux de même nature, semblent bien souhaitables dans une société. Pour répondre à cette objection, il importe de définir exactement ce que nous entendons par le terme de charité. Ce concept est notamment à distinguer d’autres formes de l’altruisme, plus “simples”, comme la bonté, la générosité ou la gentillesse. Alors que ces dernières peuvent s’exercer dans un contexte quelconque, la charité prétend s’exercer au-delà de la justice. L’exemple extrême de charité chrétienne est l’amour de ses ennemis. On conviendra que nul ne peut prétendre qu’il est juste d’aimer ses ennemis et qu’un tel amour est rien moins que “naturel”. Si mon ennemi est mon ennemi, c’est que j’ai quelque chose à lui reprocher, et que son “dû” n’est certainement pas mon amour… Si seule la justice était respectée, mon ennemi ne recevrait assurément pas mon amour, mais la punition méritée de ce qui en fait mon ennemi. On voit ici, comme dans l’épisode de la femme adultère, que la charité ne consiste pas à “améliorer” la justice, mais bien à l’annuler. La bonté, la générosité, la gentillesse et plus généralement l’altruisme, eux, ne s’opposent jamais à la justice, et on peut effectivement accorder que leur existence est souhaitable.

Notons en outre que la question de la justification de la charité se pose dans des registres différents. On peut notamment considérer, premièrement, le problème de la charité à l’égard des personnes qui, a priori, sont davantage des victimes que des coupables, et singulièrement les pauvres et les nécessiteux en tous genres. Sur cette question, la politique moderne, notamment en France, attribue généralement à l’Etat la responsabilité de satisfaire le “minimum” des besoins de ceux qui ne peuvent y subvenir par eux-mêmes : l’exemple le plus parlant est ici celui des « minima sociaux » : RMI (revenu Minimum d’Insertion), CMU (Couverture Maladie Universelle), Minimum Vieillesse, etc. Cette politique est dite de « justice sociale », et n’a rien en effet d’une « charité publique », comme certains l’ont  pourtant qualifiée. Nous sommes bien là face à une action publique, générale, systématique, égalitaire, calculée en fonction des besoins de ceux à qui elle s’adresse, autant de propriétés qu’on ne retrouve jamais dans la charité.

Mais la charité peut également être envisagée, deuxièmement, à l’égard de ceux qui sont a priori davantage coupables que victimes ; nous pensons ici à la justice comme institution punitive. Le juge doit-il être charitable face au délinquant ? On ne peut ici répondre que la justice est de fait charitable lorsqu’elle décide de tenir compte des circonstances atténuantes d’un crime ou d’un délit. En effet, d’un point de vue juridique, ces circonstances atténuantes font partie intégrante du système pénal, ce qui signifie que leur prise en compte est juste et non charitable.

La charité consisterait ici en tout autre chose : à pardonner au coupable, comme Jésus pardonne à la femme adultère et, plus encore, à ceux qui l’ont condamné à mort et exécuté. On peut dire sans hésitation que la charité de cette deuxième sorte va plus loin encore que la première, de même que le commandement, énoncé par Jésus, de l’amour de ses ennemis, va plus loin que l’amour du seul « prochain » : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » On voit bien ici que l’exigence de charité formulée par Jésus (l’amour des ennemis) est, au sens étymologique, extraordinaire. Mais le philosophe ne peut pas ne pas s’interroger sur la possibilité théorique du commandement d’amour, et a fortiori de l’amour de l’ennemi. Comment l’amour pourrait-il se commander ? Peut-on s’obliger à aimer quelqu’un, particulièrement son ennemi ? Si nous avons montré que les précédentes formes de charité étaient inutiles si la justice pouvait être intégralement satisfaite, on peut ici penser que cette dernière sorte de charité est simplement impossible.

 

En définitive, on peut donc dire que ce dont les hommes ont besoin en société, ce n’est pas d’un surcroît de charité, mais d’une justice satisfaite dans toutes ses exigences. Il reste certes à définir précisément le concept de justice, c’est-à-dire principalement le critère de détermination de ce qui est dû à chacun. Et l’on sait que par-delà l’acceptation du principe « A chacun son dû », diverses conceptions de la justice sont possibles. Ainsi Marx considère-t-il que la véritable justice ne sera atteinte que lorsque « la société pourra écrire sur ses drapeaux : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !” ». Chacune des autres conceptions (« A chacun selon son travail », « A chacun selon son mérite », et ainsi de suite) prétend être celle qui explicite le plus justement le principe « A chacun son dû ». S’il ne s’agit pas ici de prendre position en faveur de l’une ou de l’autre, remarquons bien que dans toutes, si le principe de justice est pleinement satisfait, la charité est inutile ou même nuisible. Si l’on considère par exemple le principe « A chacun selon son travail », il signifie que celui qui ne travaille pas n’a aucun dû, et que ce serait donc une injustice que de lui faire la charité. Dans la conception marxienne, la charité n’a pas non plus sa place, mais pour une raison exactement inverse : Marx se place ici dans la perspective de l’avènement de la société communiste, ce qui suppose que le travail est devenu « lui-même le premier besoin vital ». Chacun recevant alors tout ce dont il a besoin, la charité disparaît d’elle-même, faute de nécessiteux. Et c’est bien là, l’horizon du rapport entre justice et charité : si la justice est satisfaite, la charité perd toute raison d’être.

 

 

Discussion (Résumé établi par Paul)

Ce sont les aspects religieux et philosophiques du binôme charité-justice qui ont surtout été exposés. Et aussi l'opposition et la complémentarité de ces deux idées.

Mais certains ont relevé des absences :

  • La charité comme marqueur social. A une certaine époque, entretenir « ses » pauvres était une marque de richesse.
  • Zola est cité pour illustrer la complémentarité entre exploitation et charité : bas salaires et distribution de vêtements....

En dehors de la religion chrétienne, fortement présente pour expliquer la nécessité de la charité, de l'amour du prochain et même de l'ennemi, pourquoi la charité, pourquoi la justice ?

Plusieurs intervenants, à culture chrétienne ou non, soulignent leur malaise devant la charité, le comportement à avoir devant un mendiant. Certains donnent, d'autres non. Pour se donner bonne conscience ? Mais certains n'ont pas bonne conscience même quand ils donnent.

Certains préfèrent donner à des institutions ou à des organisations qui se préoccupent de lutter contre la pauvreté. Mais ne sont pas satisfaits car ils sentent bien que cela ne résout pas le problème de celui qui est là, et a des besoins qui ne seront pas satisfaits par ces institutions.

Des mots ont été employés dans l'exposé en dehors de charité et en relation avec l’altruisme comme bonté, gentillesse, générosité qui peuvent s'appliquer à des situations qui ne sont pas dans le cadre de la charité ou de la justice : parler à celui qui souffre socialement ou qui est malade...

Finalement il apparaît qu’il n'y a pas de solution satisfaisante sauf utopique...

La discussion prend un tour plus politique autour de la notion de pourquoi la justice ou la charité ? Sans pouvoir dire pourquoi, certains éprouvent un besoin d'égalité donc de justice, donc refus de l'idée de charité qui n'est pas une relation égalitaire.

La charité peut aussi être interprétée comme une forme de défense pour atténuer des sentiments d'injustice qui peuvent conduire à la révolte d'où, dans certains cas un paternalisme d'entreprise par exemple ou une relative lutte contre l'injustice y compris de ceux qui bénéficient des injustices (changer pour que rien ne change).

Le revenu universel est abordé comme moyen d'assurer à chacun des moyens suffisants pour vivre ou survivre avec les questions qui vont avec : contrepartie ou non, distribution sans condition de revenu, opposition entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas...

 

Un thème important différent de la charité et de la justice est celui de la solidarité. Qui naît de la condition commune. Qui peut justifier le revenu universel. Qui peut s'appliquer dans des circonstances diverses : au moment de la rencontre de difficultés, constitution d'associations de solidarité plus ou moins étendues... C'est la solidarité qui a été à la base des premières caisses... Une forme de solidarité est la constitution de coopératives...



 

 

 

 

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 14:35

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

mardi 12 avril 2011

 

 

« Dire la vÉrité au pouvoir-

Les intellectuels en question. »

(Gérard Noiriel)

 

PrÉsentation par Anne

 

Gérard Noiriel, historien du monde ouvrier et de l'immigration, se demande quelle est la mission politique de ceux qui représentent le savoir. Quels sont les arguments des universitaires pour justifier leur intervention politique.

 

La première partie est une version remaniée des « Fils maudits de la République » publié en 2005. Il se demande comment s'y prennent les intellectuels pour construire des passerelles entre le monde de la science et l'espace civique ? Quel type de connaissances ils mobilisent.

 

LES FILS MAUDITS DE LA REPUBLIQUE :

 

Le mot « intellectuel », au sens actuel, est apparu en 1898. C'est Maurice Barrès qui surnomme ainsi  tous les gens qui rejoignent Zola dans l'affaire Dreyfus. A partir de ce moment, il désigne ceux qui s'engagent dans des combats civiques de leur temps, au nom d'un idéal de vérité et de justice. Ce terme désignait auparavant les gens qui exerçaient des activités sensées mobiliser l'intellect.

 

L'ancêtre de l'intellectuel dreyfusard est le philosophe des Lumières. Le livre et le journal s'imposent à cette époque et les philosophes vont s'appuyer sur un public éclairé de bourgeois et aristocrates. Contre le pouvoir royal pour les principes démocratiques. La répression donne une dimension héroïque à l'intellectuel qui demeure dans son identité.

 

L'université de Berlin fondée en 1810 par Wilhelm Von Humboldt, crée le corps des enseignants-chercheurs. Elle concrétise sur le plan institutionnel les idéaux rationalistes de la philosophie des Lumières. Là, va se concentrer l'agitation politique avec 2 préoccupations au long du 2O° siècle : la nation et le prolétariat. Les uns invoquent « le principe des nationalités » pour inciter les peuples à se soulever contre les empires, les autres la « lutte des classes » pour que les ouvriers mettent fin au règne de la bourgeoisie.

 

L'espace public se structure autour de 3 pôles : les partis politiques, la presse et l'université.

- La masse du corps électoral (masculin) va donner « la démocratie des partis ». En 1847, suffrage censitaire, 250.000 citoyens avaient le droit de vote. En 1848, suffrage universel, masculin, 9 million.
Les organisations politiques sont animées par des professionnels payés par elles. Avec l'extension du corps électoral, les politiciens doivent prendre en compte les aspirations, les désirs des masses. Ils doivent les persuader qu'ils défendent leurs intérêts. Les premiers partis de masse apparaissent en Europe au moment de la Grande Dépression. Les grèves, manifestations, affrontements avec les forces de l'ordre donnent une forte visibilité au mouvement ouvrier. Les partis socialistes, quand ils tissent des liens avec les syndicats, réussissent à combler partiellement, le fossé entre gouvernants et peuple. La puissance du mouvement ouvrier produit un grand désarroi dans les classes moyennes et supérieures qui vont se regrouper sur le critère national. La droite construit sa stratégie sur l'identité nationale. Les ennemis du peuple ne sont plus les patrons mais les étrangers qu'il faut éliminer.

- Des entreprises de presse obéissant aux lois du capitalisme, essaient de conquérir le lectorat populaire. Des journaux de masse jouent un grand rôle dans les bouleversements de l'époque et contribuent à fabriquer l'ensemble des informations. Les journaux se combattent pour attirer les lecteurs et privilégient des événements.

- Enseignants, chercheurs, experts
La sociologie émerge avec Emile Durkheim qui semble répondre aux hommes complets du 19°siècle. En Allemagne, Max Weber insiste sur la spécialisation des scientifiques. Le sociologue étudie le monde tel qu'il est et ne porte pas de jugement ; ainsi la sphère politique et la sphère savante se séparent. Il faut que les sociologues développent leur propre questionnement scientifique pour expliquer le fonctionnement de la société, quitte à transmettre ensuite aux non-spécialistes. Mais certains estiment que les universitaires doivent répondre aux questions posées par les gouvernants.

 

L'originalité du cas français :

En France, la démocratie de masse s'impose avec l'avènement de la 3°République : suppression de la censure, élection des maires au suffrage universel masculin, service militaire obligatoire, école gratuite, laïque et obligatoire... Des mesures vont essayer de lutter contre la grande Dépression et, en guise de politique sociale, multiplier les lois sécuritaires, protéger le travail national. Ces mesures vont freiner les problèmes ruraux mais mettre en marge le prolétariat industriel. De nouveaux notables républicains prennent alors la suite des anciens.


La presse se développe avec 4 grands quotidiens, sur le modèle du Petit Journal (né dans le 2nd Empire) : Le Matin, Le Journal, Le Petit Parisien ; lus par au moins un million de lecteurs, ils font l'opinion et se concurrencent. Trois grands sujets sont abordés : la question sociale privilégie crimes et catastrophes. En politique intérieure : dénonciation de scandales comme l'affaire de Panama. La rivalité entre états européens comme dans l'affaire Fachoda.
En même temps des journaux destinés aux élites, aux politiques se développent : Le Temps, le Figaro, le Journal des débats. Deux exemples : à gauche, l'Egalité, fondé par Jules Guesde soulignant 2 personnages : l'ouvrier exploité et le patron « buveur de sang ». A droite, la Libre Parole, d'Edouard Drumont, dans lequel la lutte des races remplace la lutte des classes. Les 2 fondateurs seront d'abord journalistes, puis députés.

 

Le nombre d'étudiants augmente très vite et les effectifs des enseignants du supérieur. On sépare les disciplines à l'université ; littéraires, historiens, philosophes et sociologues. Le pouvoir républicain utilise l'enseignement de l'histoire contre ses adversaires. Ernest Lavisse, professeur d'histoire à la Sorbonne, conseille les ministres de l'instruction publique et dirige une collection de livres d'histoire. Les dirigeants de la III° République développent des réseaux : universitaires, fonctionnaires, éditeurs, journalistes et hommes politiques. Les historiens occuperont une place centrale. Ce processus a été possible par l'extrême centralisation à Paris. Mais les traitements de faveur des historiens vont vite aboutir à des tensions entre les universitaires. Un conflit éclatera aussi entre historiens : ceux qui défendent l'histoire-mémoire et ceux qui sont pour l'histoire-science.

 

Comment résoudre la question sociale?

Le protectionnisme a des résultats négatifs comme le massacre d'Italiens à Aigues-Mortes(1893). Les fondateurs de la III° République ont ignoré totalement le prolétariat qui s'impose sur la vie publique (fusillade de Fourmies, attentats anarchistes, assassinat du président de la Rép...). Un clivage se produit entre la gauche et les ouvriers, et la droite et le monde paysan. (Maurice Barrès, notables catholiques). L'antisémitisme de Drumont pénètre la bourgeoisie catholique. Un prolétariat intellectuel naît avec beaucoup d'écrivains, d'artistes, touchés par la Dépression. Ils veulent « révolutionner » l'art et la culture et détruire l'ordre bourgeois.

L'affaire Dreyfus: le moment fondateur :

Tout ceci se retrouve dans cette affaire. Après la défaite de 1870 beaucoup de projets de lois visent à réprimer l'activité clandestine d'espions étrangers. L'arrestation du Capitaine Dreyfus s'inscrit dans le droit fil des accusations d'espionnage. Sans les journaux, l'affaire n'aurait pas fait autant de bruit. La libre Parole, d'extrême droite, a lancé l'affaire mais a été relayée par la presse de masse. Juif et Alsacien, Dreyfus est le coupable idéal. Au départ, 90% des journaux lui sont hostiles.
Lorsque les preuves d'innocence sont réunies, les citoyens imprégnés d'idéaux rationalistes et humanistes, vont par contre mener un combat pour la révision du procès :   réactions du journaliste B.Lazare et surtout le « J'accuse » d'E.Zola dans l'Aurore. La France des salariés, ouvriers, enseignants, petits fonctionnaires prennent le parti de Zola. Contre lui : les petits producteurs, notables, propriétaires. Un fossé sépare dreyfusards et antidreyfusards. Le combat pour la vérité est semblable à celui de Voltaire pour Calas. Des enseignants et des chercheurs prennent parti pour Dreyfus au nom de leurs fonctions universitaires.

 

Irruption des universitaires dans la vie publique. Contradictoire avec le principe de séparation du politique et du savant, ce qui leur sera reproché. Elle met en conflit 2 types de valeurs républicaines : d'un côté la vérité et la justice, de l'autre le respect des compétences. Le chef de file des antidreyfusards pose la question : au nom de quelle compétence particulière le savant peut-il intervenir dans la vie publique ? En retournant à leur profit le stigmate de « l'intellectuel », les universitaires vont s'efforcer de combler la séparation du savant et du politique. L'affaire Dreyfus a été l'occasion de montrer que leur science enrichissait la connaissance et remplissait aussi une fonction civique nécessaire dans une démocratie.

 

La victoire des dreyfusards a légitimé l'irruption de l'intellectuel dans la vie publique, cette étiquette devient un enjeu de luttes entre droite et gauche. Des 2 côtés, on s'accorde pour définir l'intellectuel comme celui qui « dit la vérité au pouvoir au nom des opprimés ». Mais la radio, la télévision, Internet, vont modifier les modes de fabrication de l'information.

 

L'intellectuel révolutionnaire.

Georges Sorel, venu d'une famille aisée, ingénieur des ponts et chaussées. Sa compagne, femme de ménage, lui fait découvrir les réalités des classes populaires. Il démissionne de son poste, se convertit au marxisme et s'engage dans l'action révolutionnaire.
Charles Péguy, de milieu très modeste, reçu à l'Ecole Normale supérieure, renonce à sa carrière d'enseignant et se consacre à son œuvre d'écrivain subversif.

Tous 2 participent aux violentes luttes sociales des années 1890. S'engagent passionnément du côté de Dreyfus. Ils ont placé la trahison des clercs au centre de leur  réflexion. Veulent dire la vérité au pouvoir au nom des opprimés. Leur cible est le « Parti intellectuel » composé des intellectuels de gouvernement et les intellectuels spécifiques.
Pour Sorel, l'état moderne est un corps d'intellectuels, investi de privilèges pour se défendre d'autres intellectuels qui veulent profiter des emplois publics. Sorel et Péguy sont issus d'un monde universitaire qu'ils rejettent. Ayant renoncé à faire carrière, Péguy s'estime en droit de défendre les opprimés. Mais aussi en devoir. La littérature est le moyen d'énoncer une vérité révolutionnaire, confondue avec la sincérité.

Sorel évoque ses efforts pour se débarrasser de toutes ses premières idées. Il a joué un rôle effectif dans  la diffusion du marxisme. Marx a été un modèle car il s'est sacrifié pour la cause des opprimés. Sorel pense, avec Marx, ruiner l'idéologie bourgeoise. Devant les échecs du monde ouvrier, Sorel, désenchanté, se tourne vers l'apologie de la violence. Péguy fait aussi l'apologie de mythes. Agir signifie pour eux mettre en cohérence théorie et pratique. Ils ont renoncé à leurs propres intérêts pour servir la cause du prolétariat, veulent participer à des œuvres collectives ; dans ce but, ils créent des revues. Sorel, « Le devenir social » et Péguy « Les cahiers de la quinzaine ». Mais les exemples de ces 2 intellectuels montrent bien qu'ils ne sont pas nécessairement hommes de gauche : lors de la 1° guerre mondiale Péguy se rapproche du nationalisme et les écrits de Sorel ont un rôle dans l'avènement du fascisme.

 

Les intellectuels de parti.

La victoire des bolcheviks, en 1917, donne aux universitaires un nouvel élan mais le fascisme puis le nazisme, radicalisent le clivage gauche-droite. En 1919, Romain Rolland lance dans L'Humanité « la Déclaration de l'indépendance de l'esprit » et Charles Maurras  dans le Figaro un appel « pour un parti de l'intelligence ». Des normaliens s'engagent en politique, au début des années 1930, dans le sillage de l'Action française. Parmi eux, R.Brasillach ,M.Bardèche et T.Maulnier. En 1934, ils adoptent le mot d'ordre « Politique d'abord ». Maulnier, principal animateur, milite pour une monarchie autoritaire, un retour aux « libertés féodales » et aux corporations. Il rejette à la fois le capitalisme américain et le communisme russe ; il salue la victoire du parti nazi en Allemagne. Il prendra des distances, cependant, avec le pouvoir de Vichy.

 

La trahison dans tous ses états.

Paul Nizan et Jean Paul Sartre ont renoncé à l'enseignement pour se consacrer à leur vocation d'écrivains engagés. Nizan collabore à des revues communistes, puis rompt avec le PC lors du pacte germano-soviétique. Il meurt à la guerre, à 35 ans. Sartre s'engage beaucoup plus tardivement. Jusqu'à sa mort, il militera contre le capitalisme, le colonialisme et aussi le stalinisme.

Tous 2 ont des points communs avec Péguy : ils ont rompu avec leur milieu social en démissionnant de leur poste et en vivant de leurs écrits. Le pamphlet de Nizan sur les chiens de garde réactive les critiques sur le parti intellectuel. Nizan considère que le philosophe engagé doit se situer par rapport au communisme, défendre le prolétariat en adhérant à une organisation révolutionnaire ou du moins en en étant compagnon de route.

Sartre publie au début des années 70 un Plaidoyer pour les intellectuels. La question fondamentale est : de quel droit un intellectuel, mandaté par personne, peut-il intervenir dans le débat public pour aider les opprimés ? L'intellectuel, issu de la classe bourgeoise, ne doit pas rester au service de la bourgeoisie, il doit rompre avec elle. Le thème de la trahison crée aussi un lien, chez Sartre entre l'autobiographie et la philosophie marxiste. Dans ce Plaidoyer, Sartre donne une définition de l'écrivain. Ecrire c'est exercer un métier, mais il conçoit aussi l'écriture comme une forme d'action. Pour cela, il oppose la littérature et la poésie. Pour lui, la revue est l'outil idéal. Les Temps modernes auront une influence sur la vie intellectuelle française. Sartre est le seul intellectuel français connu comme philosophe, écrivain et acteur majeur de la vie politique française.

 

L'intellectuel critique.

En 1945, le PCF incarne le prolétariat ouvrier et beaucoup d’intellectuels y adhèreront ; parmi eux, Jean Kanapa ressemble le plus à Nizan : violence en son style, obsession de la trahison, exaltation de l'héroisme et de la Résistance. Les intellectuels choisissent de faire allégeance au PCF ou à l'Université. C'est alors l'arrivée des intellectuels critiques.  Au nom de Guevara, Mao ou Trotzky, le marxisme réapparaît. Dans ce contexte émerge une nouvelle génération d'intellectuels révolutionnaires, R.Debray, R.Linhart... très vite déçus par tous les échecs économiques et politiques.

 

 

Le philosophe émancipé :

L'exemple de Jacques Derrida montre qu'il a traversé des épreuves comparables à Péguy, Nizan et Sartre .Il développe son œuvre à l'écart des institutions. Il abandonne la grammatologie pour la déconstruction. Il faut déconstruire un grand texte comprenant la littérature, la science et la politique.

Dans l'entretien entre M.Foucault et G.Deleuze apparaît la ligne directrice d'après mai 68. Les intellectuels ont découvert que les masses n'ont pas besoin d'eux pour le savoir. Ce profil d'intellectuel critique ressemble à celui d'écrivain

Derrida a joué un rôle important dans la vie intellectuelle française mais a constamment dit que c'était en tant que philosophe engagé. Parmi ces intellectuels. on peut citer Jacques Rancière.... Le but essentiel de la politique, c'est l'émancipation des individus c'est-à-dire l'acte d'une intelligence qui n'obéit qu'à elle-même.

 

La cause de l'historien :

Albert Mathiez est un historien qui répond aux préoccupations de Péguy. Il mène des recherches historiques et est en même temps très actif sur le plan politique. Après sa thèse il de tourne vers la défense politique de la révolution française, en soutenant Robespierre contre Danton. Autre exemple : le livre de Pap Ndiaye sur « la condition noire ». Il insiste sur le côté scientifique de son livre tout en montrant les raisons qui lui ont fait choisir ce sujet  dire le pouvoir au nom des opprimés. Le noir a remplacé le prolétaire et l'oppresseur n'est plus le patron mais le républicain.

 

L'intellectuel de gouvernement :

 

« Gouverner par le maniement des esprits et non par le bouleversement des existences » la formule de Guizot résume la façon dont les intellectuels de gouvernement ont répondu à la séparation du savoir et du politique. Pour combler le fossé entre le savant et le politique, ils se placent au cœur des réseaux républicains. Depuis l'affaire Dreyfus, c'est l'historien qui a incarné l'intellectuel de gouvernement par excellence. En 1902, après l'affaire Dreyfus, le gouvernement lance dans une réforme de l'éducation, centrée sur la défense des droits de l'homme et la laïcité. Les historiens sont appelés à la rescousse et parmi eux Charles Seignobos. Originaire du midi, élève de l'ENS, d'une famille très républicaine, il va s'occuper de la refonte des programmes d'histoire. Très engagé sur le plan civique : laïc convaincu, c'est un militant pacifiste et internationaliste, membre du comité central de la Ligue des droits de l'homme créée en 1898. Il participe au lancement d'un hebdomadaire L'Européen qui avait pour ambition de créer un parti d'intellectuels européens.

Deuxième exemple important : André Siegfried, fils d'un industriel et homme politique. Élu à une chaire de géographe au Collège de France, il est au comité de rédaction des Annales et chroniqueur au Figaro. Il a participé à l'édition de nombreux livres scolaires ou touristiques.

Troisième exemple ; Alfred Fouillée, agrégé de philosophie, reste à l'écart de la vie active pour des raisons de santé.

Tous les 3 ont des points communs : un père ayant exercé des responsabilités politiques ; les 2 premiers sont de famille protestante. Tous les 3 ont essayé d'intervenir dans les enjeux politiques de leur temps. Puis Fouillée et Siegfried ont développé des préjugés ethniques. Siegfried affirme que le melting-pot ne fonctionne plus aux Etats-Unis, que le bloc nègre est inassimilable.

Les années qui suivent mai 68 ressemblent à celles qui ont suivi l'affaire Dreyfus. Retour sur la scène des intellectuels de gouvernement avec René Rémond et François Furet, tous 2 historiens. Rémond surtout engagé dans les mouvements catholiques, Furet dans le PC, puis le PS, puis la fondation du PSU. Ils sont entrés dans l'enseignement supérieur au moment où il était contesté et modifié. Une grande place est faite à l'histoire contemporaine. Rémond va animer un cycle  d'enseignement de l'histoire à Sciences-Po.  L'histoire est conçue comme une science permettant de mieux comprendre le monde. L'histoire-problème, conçue par les fondateurs des Annales, est fortement influencée par le marxisme. Deux institutions se concurrencent : le pôle Sciences-po, plutôt centriste et conservateur, et le pôle sciences économiques et sociales, proche de la 6° section de l'EPHE, plutôt de gauche et d'extrême gauche. Raymond Aron sera directeur d'études à l'EPHE mais virera de plus en plus à droite. La 6° section devient Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et le comité d'histoire de la seconde guerre mondiale devient l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP).

Le domaine privilégié de l'histoire devient le présent. L'historien de métier doit mettre ses compétences au service des entreprises, des associations, voire même des particuliers. Les historiens de l'IHTP et de l'EHESS, comme Rémond et Furet, ont un grand rayonnement intellectuel. Parmi leurs proches : Claude Lefort, Marcel Gauchet, Pierre Nora, Alain Touraine. Puis arrivent les nouveaux philosophes : B.H Lévy, André Glucksmann, liés aux média. L'émission Apostrophes du 27 mai 1977 qui leur était consacrée a eu 6 à 7 millions de téléspectateurs. La télé remplace alors les journaux de masse. Giscard d'Estaing invite Lévy, Glucksmann et M. Clavel pour montrer qu'il est proche des intellectuels. Dans les philosophes médiatiques : Luc Ferry, A.Finkelkraut, R.Debray.

Dans les années 70 le réseau intellectuel augmente, les revues aussi : Esprit fondée en 1932 par E. Mounier et Le débat, en 1980 par P. Nora, établissent des réseaux. Le Débat va mettre en œuvre la phrase de la page de garde: « Le débat parce qu'en France il n'y en a pas ». Les historiens de gouvernement ont bénéficié de la repolitisation des enjeux de mémoire : Rémond a travaillé sur le rôle joué par le régime de Vichy et Furet sur la commémoration du bicentenaire de la Révolution de 1789.

La critique du totalitarisme et des utopies révolutionnaires va faire naître une crise chez les intellectuels de gouvernement qui crise éclate lors de la grève des cheminots en 1995. Depuis l'affaire Dreyfus, les conflits s'expriment sous la forme d'affrontements de pétitions. Deux appels  : l'un est un soutien au plan Juppé sur la sécurité sociale, l'autre est un soutien aux grévistes. Les proches d'Esprit sont dans le texte Réforme, l'autre texte a pour chef de file Pierre Bourdieu. Seuls, les auteurs du texte Grève ont repris le mot intellectuel.

Au cours des dernières décennies, l'IHTP et l'EHESS ont été traversées par des tendances opposées : mise en cause du rôle de L.et R.Aubrac lors de la Résistance, célébration de la révolution.

Le déclin des intellectuels de gouvernement généralistes s'explique par l'arrivée de très nombreux chercheurs en sciences sociales. De nouveaux faits politiques vont entraîner des conflits avec de nouvelles pétitions comme celles qui ont paru à propos de la loi réhabilitant l'œuvre coloniale de la France (pétitions Liauzu et Rémond/Nora p.204)

 

L'intellectuel spécifique :

Cette expression date des années 1970. Michel Foucault : « Le travail d'un intellectuel n'est pas de modeler la volonté politique des autres. Il est, par les analyses qu'il fait dans les domaines qui sont les siens, de réinterroger les évidences, les postulats, de secouer les habitudes, les manières de faire et de penser. »

Le premier universitaire français à avoir défendu la posture de l'intellectuel spécifique est Emile Durkheim. Ce serait la seule tentative de constitution officielle d'une science par et pour la République. Ses déceptions à l'égard de la politique l'ont poussé à s'investir dans le travail scientifique. Mais l'intellectuel ne doit pas se replier. Son principal objectif doit être d'étendre à la conduite humaine le rationalisme scientifique. Jeune, il a été confronté à l'antisémitisme et, en tant qu'Alsacien, à la xénophobie anti-allemande. L'importance que Durkheim accorde à la solidarité dans la sociologie peut être mise en relation avec son histoire personnelle. Quand il a commencé sa carrière, la philosophie était divisée en 2 groupes rivaux : les spiritualistes et les positivistes. Il s 'est rallié aux seconds pour fonder la sociologie comme discipline autonome. Il a consacré sa vie à construire une sociologie montrant la stupidité des stéréotypes xénophobes et racistes et sera accusé d'intelligence avec l'ennemi par un sénateur. Après sa mort, la posture de l'écrivain spécifique connaît une éclipse.

La sociologie sera remplacée par les historiens avec les Annales fondées par M. Bloch et L.Fèbvre. L'histoire-problème qu'ils appellent de leurs vœux, est un moyen de concilier le souci du présent et la volonté de préserver les préoccupations savantes de leur revue en se tenant à distance de l'actualité. Ils participent au comité de vigilance des intellectuels  antifascistes. Les 2 ouvrages rédigés par M. Bloch pendant la Résistance montrent bien comment ce dernier a conçu l'articulation entre le savant et le politique. Dans le premier, il a le souci de donner à ses lecteurs  les moyens de vérifier ce qu'il raconte. Dans le 2°, il dit s'exprimer en tant que citoyen. Il adopte un ton très polémique envers les dérives de la 3° République sans occulter sa propre part de responsabilité. Il a le remords de ne pas être assez intervenu dans la politique. En hommage à M. Bloch, assassiné par les nazis, est créée la 6°section de l'école pratique des hautes études. Présidée par Lucien Febvre, F.Braudel, elle accueille des historiens marxistes comme Ernest Labrousse, Jean Chesneaux, des philosophes libéraux comme R.Aron. Les historiens sont donc au cœur de la politique, mais c'est un ethnologue Claude Lévi-Strauss qui incarne l'intellectuel. spécifique dans l'immédiat après-guerre. Elu directeur d'études de l'EPHE, il accède au Collège de France. Il adhère à la  SFIO, se tourne vers le droit, la philosophie puis l'ethnologie et part au Brésil en 1935. C'est la déception politique qui l'emmène à privilégier le travail scientifique. L'ethnologie lévy-straussienne marque les débuts de la recherche de terrain. Il a refusé l'étiquette d'intellectuel engagé mais a reconnu avoir été animé d'une manie de redresser les torts, de se faire le champion des opprimés. « Tristes tropiques » commence par « Je hais les voyages et les explorateurs ».Il rappelle par là que les cultures des peuples sans écritures ont été bafouées par le pouvoir colonial. Il a privilégié l'éducation pour faire le lien entre le savant et le politique. Mais il refuse de se placer au service d'une cause, aussi juste soit-elle. Il conjugue une vraie liberté de pensée avec un total respect des institutions.

C'est Michel Foucault qui, dans les années 70, va donner une nouvelle définition de l'intellectuel spécifique. Pour lui, l'intellectuel spécifique dérive de la figure du savant-expert. Un physicien comme R.Oppenheimer met, en s'engageant contre la bombe atomique, sa compétence savante sur un problème politique qui concerne l'humanité entière. Mais Foucault défend plus, avec cet exemple, la figure du contre-expert engagé. Comme l'a bien vu Sartre, la compétence du savant ne lui donne pas de compétences spéciales pour répondre à des problèmes politiques. Foucault va, après l'échec de mai 68 et en particulier du mouvement contre les prisons, proposer à nouveau une définition de l'intellectuel spécifique. Il affirme qu'un travail doit dire et montrer comment il est fait. L'intellectuel spécifique doit dégager les systèmes de pensée qui nous sont devenus familiers, qui nous paraissent évidents et qui font corps avec nos perceptions, nos attitudes, nos comportements. Au lieu d'élaborer une théorie générale des rapports entre savoir et pouvoir, il a mené des études spécifiques sur des thèmes de son temps (folie, sexualité, prison...). Son espoir était que, grâce à son éclairage critique, les dominés puissent appréhender différemment les problèmes qui les préoccupent.

Pierre Bourdieu a été avec Foucault un des principaux intellectuels spécifique de la fin du 20°siècle. Il avait besoin d'avoir la certitude qu'il était utile en disant des choses qui ne sont pas dites et méritent de l'être. Il considérait la sociologie comme un métier militant. Il a reconnu qu'il s'était pensé au départ comme le leader d'un mouvement de libération des sciences sociales contre l'impérialisme de la philosophie. Il veut parler au nom des fantassins de la science contre les généraux de la philosophie. Il dit avoir construit son identité de sociologue contre le prophétisme révolutionnaire de Sartre. Il rejette la posture de chercheur engagé. Il s'est appuyé sur le pouvoir institutionnel (EHESS), sur la revue Actes de la recherche en sciences sociales. Il a fait des enquêtes sur le terrain (Kabylie, Béarn) pour étayer une théorie sociologique à vocation universelle. Il a rendu public des aspects de sa vie personnelle comme sa haine de l'institution scolaire. Comme Sartre il a été persuadé qu'il fallait convaincre que son travail intellectuel pouvait être utile aux autres et que c'était un moyen d'atténuer sa culpabilité de vivre dans un milieu fermé. Il n'a pas atteint la cité savante qu'il appelait de ses vœux. Pour articuler le savant et le politique, il est intervenu dans le domaine de l'éducation. Avec F.Gros il a travaillé en 80 dans une commission de réforme de l'enseignement mais elle ne résoudra pas les problèmes de l'école. Il a eu un rôle de leader dans le mouvement social de 1995 avec la pétition Grève parue dans le Monde. Lors de conférences publiques n'ayant rien à voir avec son travail de sociologue, il a fini par devenir l'int. total qu'il avait critiqué chez Sartre.

 

Conclusion :

 

Le terme d'intellectuel est donc apparu avec l'affaire Dreyfus et s'est développé en France avec les différents mouvements (journées révolutionnaires, mai 68...) .L'intellectuel justifie sa fonction en se mettant au service des opprimés. Il a subi de plein fouet les mutations sociales. De même la multiplication des mouvements sociaux a diversifié les formes d'engagement universitaire, les collectifs associant des chercheurs et des acteurs du monde associatif. Les intellectuels révolutionnaires ont été frappés par la crise du mouvement ouvrier et du communisme. Les intellectuels spécifiques ont du mal à défendre leurs idéaux et à assumer leurs contradictions en invoquant le privilège du savoir. ils cautionnent une forme d'inégalité et il leur est difficile de défendre les opprimés. Ils ont raison de défendre le caractère scientifique des disciplines universitaires qu'ils pratiquent. Mais il faut qu'ils admettent leurs limites.

Pour avoir un réel impact public, il faut qu'ils sachent tisser des alliances avec ceux qui mobilisent les émotions c'est à dire les artistes. G.Noiriel croit alors à la vertu du théâtre. (« Histoire, théâtre et politique »)

 

 

Résumé de la discussion (Michel)

 

La présentation du livre de Gérard Noiriel par Anne est jugée à la fois très dense et parfois difficile.

Il ne semble pas se dégager d'idée maîtresse sur le rôle des intellectuels vis-à-vis du pouvoir.

Par ailleurs, Noiriel ne prend pas en compte le rôle et la place des intellectuels dans l'histoire qui remonte bien avant le XVIIIème siècle et même depuis l'Antiquité. Le  nom de Socrate est évoqué à ce sujet.

 

Parmi ceux que l'on peut qualifier d'intellectuels, le rôle respectif des scientifiques/experts et celui des philosophes ou des artistes/écrivains... n'est pas toujours distingué clairement.

 

A propos de ceux que Noiriel  appelle les «intellectuels spécifiques », Michel Foucault semble représenter un cas typique : il s'est intéressé à des domaines spécifiques, comme la prison ou la folie en mettant en évidence les dimensions politiques des ces différents domaines.

 

Les intellectuels ont-ils vraiment du pouvoir ? Le rôle de la Presse est souligné. N'a-t-elle pas été présentée comme le « 4ème pouvoir » ?

Il faut distinguer l'exercice du pouvoir à proprement parler et l'influence que certains peuvent exercer sur le pouvoir.

 

On souligne également que le concept d'intellectuels est typiquement français.

 

Enfin, on relève que le cas des « religieux » n'a pas été pris en compte alors que les religions ont eu et ont encore une influence certaine sur le pouvoir dans la plupart des pays (au titre d'influence mais aussi au titre de l'exercice même du pouvoir dans les théocraties).

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 12:58

CERCLE DES CHAMAILLEURS

 

8 mars 2011

 

LES VERSETS DOULOUREUX

Bible, Evangile et Coran

entre conflit et dialogue

David Meyer, Yves Simoens, Soheib Bencheikh

Editions Lessius L'autre et les autres

 

Présentation par Paul

 

Le fond de la question d'Alexandre Adler : « Pouvons-nous encore nous dire monothéistes ? » repose je crois, sur « encore ». C'est à dire après toutes les horreurs dont l'histoire est faite et qui peuvent être mise à charge partielle ou totale des religions monothéistes.

Il semble penser que « oui » à condition de considérer les « livres saints » comme un point de départ dans les relations entre l'homme et Dieu.

C'est effectivement ce qu'essaient de montrer les auteurs quand ils parlent des versets « douloureux » de leurs textes sacrés.

 

C'est, probablement en fonction de l'ancienneté des religions que le rabbin David Meyer intervient en premier.

 

Et il pose rapidement et sans détour la grave question « Y a-t-il dans notre tradition scripturaire, dans notre monothéisme une tentation vers une certaine barbarie ? » en partant de l'idée « Si tu veux changer le monde, change ton pays, si tu veux changer ton pays, change ta ville, change ta rue, change ta maison, change toi toi-même. »

 

Et il commence en s'attaquant, en premier au noyau dur du judaïsme : les versets douloureux dans la Torah. Car la Torah « a été révélée, donnée par Dieu à Moïse... Le texte de la Torah est donc supposé parfait. »

 

 Faut-il donc appliquer à la lettre ce qui est dans la Torah ?

Deux exemples de « transgression »

-  Il est écrit dans la Torah (Exode et Deutéronome : « efface la mémoire d’Amalek (un ennemi d’Israël) de sur la surface de la terre ».

Dans un autre texte, Haman, un descendant de Amalek a été condamné de la même façon.

 

Ces textes semblent ordonner de tuer les ennemis sans problème. Mais  d'autres textes disent : « Ne hais jamais ton prochain dans ton cœur . Qui est le héros ? Celui qui transforme son ennemi en ami. »

Ce qui permet donc de ne pas justifier le génocide. D'autant que dans la tradition orale, il est écrit (Talmud) « Un jour, les fils d’Haman étudieront la Torah avec les enfants d’Israël ».

 Que si le mal absolu existe, Amalek est le symbole du mal absolu,  il ne peut être héréditaire. ? Même pour ceux qui représentent le mal absolu, les portes de la repentance sont ouvertes. L’espérance en l’homme va au-delà des textes de la Torah. « Le spectre du génocide disparaît ».

 

Pour Meyer, le judaïsme n'a jamais mis en pratique le génocide parce que les rabbins ont considéré que les commandements divins ne devaient pas toujours être observés. Celui qui suit le texte à la lettre, qui considère la loi comme un refuge sans la questionner, sans la trasngresser, risque de tomber dans le fanatisme.

C'est ce qu'il appelle une idéologie de la transgression. C'est l’esprit Talmud ; « Il y a des cas où transgresser la lettre de la loi, c’est précisément respecter son esprit ».

 

Les réflexions sur le sacrifice d'Isaac et Sodome et Gomorrhe, sont particulièrement intéressantes.
Abraham est prêt, pour obéir à Dieu, à sacrifier son fils. Ce texte est dangereux et fondateur. On oublie toujours que l'histoire ne se termine pas par la mort d'Isaac. Dieu ne veut pas la mort d'Isaac, pour aucune raison. Il attend une contestation de l'ordre de Dieu.

 

C'est ce que montre l'histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe. Cette fois, Abraham discute l'ordre de Dieu : mais s'il y a 50 justes ? Ou seulement 10 justes ? Mais il ne va pas jusqu'au bout. Et s'il n'y a qu'un juste ?

 

Dans le premier cas, Isaac, Abraham est silencieux. Dans le second, il marchande. La véritable foi est dans la négociation, même avec Dieu pour que le principe de justice ne soit jamais compromis. Abraham peut comprendre son erreur et s'enrichir d'une éthique qui ne souffre aucune exception.

 

La Torah montre le respect infini de la vie humaine. Mais il faut admettre que ces textes sont dangereux et n’ont pas été donnés dans un esprit de servitude mais de réflexion.

 

En discutant les ordres de Dieu, Abraham montre qu'il n'est pas un esclave mais un partenaire de Dieu. Il peut donc discuter et même rejeter les ordres de Dieu au nom de la justice qui s'impose à tous. Y compris à Dieu.

 

Ce que ne fait pas Josué. Le livre de Josué est le livre de la conquête qui permet tout, la tuerie de tous les habitants des 7 nations : Cananéens, Philistins...« Et l’on appliqua l’anathème à tout ce qui était  dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes, tout périt par l’épée ».

 Ce livre ne serait, aux yeux de certains, que la « carte blanche » que la Torah offrirait au peuple juif en ce qui concerne la politique de conquête et donc de retour…

Mais déjà au XIIIème siècle, Meiri disait que les Cananéens représentaient les païens, que les musulmans ne pouvaient  être concernés car ils n'étaient pas païens. Façon de réduire le périmètre de la barbarie.

 

Et quand Dieu a ordonné à Josué de détruire, il ne voulait pas être obéi, il s'attendait à une objection, il voulait être discuté. Il s'adressait à l'homme partenaire, non à l'homme esclave.

Ce livre a été maintenu dans la Bible non pour justifier toutes les conquêtes mais au contraire pour faire naître un sentiment intuitif de rejet devant l'horreur. Le livre ne  doit pas être une source de légitimation mais de réflexion.

 

Le Talmud (qui appartient à la tradition orale) enseigne que celui qui voit un homme se noyer le jour du sabbat où il ne faut pas travailler et qui court voir le rabbin pour demander s’il peut lui porter secours est un meurtrier et le rabbin lui-même est un meurtrier parce qu’il n’a pas appris à l’homme de décider lui-même.

 

Mais le Talmud a aussi ses passages douloureux.

Le Talmud n’est ni un texte divin, ni un texte inspiré. C’est une compilation de proverbes rabbiniques avec pour objectif de créer un code de lois juives, d’encadrer le peuple juif dans la pratique quotidienne de sa religion.

 

Le Talmud est ce qui est écrit « dans la marge ». Il ne faut pas avoir peur d'écrire aujourd'hui dans la marge. De modifier certains passages du texte.

Changer le texte talmudique lorsque nous sommes confrontés à des versets douloureux peut paraître un acte osé, hérétique et extrême. Mais il est difficile de lutter contre le fanatisme potentiel de certains versets si nous ne sommes pas prêts à faire un pas réel et à proposer certaines innovations littéraires radicales.

En fonction de la réalité d'aujourd'hui.

 

L'intervention de Yves Simoens porte sur les juifs et l'Évangile selon Jean

 

A la suite de la Shoah, Jules Isaac a publié un livre sur « l'enseignement du mépris »qui a conduit à la suppression de la  prière sur les juifs déicides du vendredi saint. Cela amène Yves Simoens, jésuite, à se pencher sur l'antijudaïsme sinon l'antisémitisme imputé à l’évangile de Jean.

 

« Dans le monde il était, et le monde à travers lui devint  et le monde ne le reconnut pas ».  La lecture commune de ce verset (11),  les premiers à n’avoir pas accueilli le Verbe sont les juifs.

Encore plus douloureusement, Jean dit : « Il marchait Jésus dans la Galilée car il ne voulait pas, dans la Judée, marcher  parce qu'ils cherchaient, les Juifs, à le tuer. (Jn 7.1). ».

Non seulement, ils ne l'ont pas reconnu amis ils voulaient le tuer ! Et les juifs, ici, ne désigne pas tous les juifs mais  comme souvent, les Judéens, les habitants de la Judée de ce moment de l'histoire où surgit Jésus dans son peuple et sur sa terre. Il conviendra de le redire à propos d'autres versets. Au delà des interlocuteurs de Jésus qui sont des juifs de Judée, inévitablement, c'est l'humanité entière qui est vise, comme toujours dans les Évangiles. Et non les seuls Judéens ou l'ensemble des juifs.

 

 Même les disciples sont convaincus d’incrédulité. Et ce n'est que la mort et la Résurrection qui rend les disciples capables de « recevoir » leur Seigneur.

« N'est-ce pas moi qui vous ai élus, les douze, et l'un d'entre vous est diable » Jn (6,70). Parmi les 12 apôtres, Judas sera convaincu de trahison, Pierre de reniement. Malgré cela ils restent les disciples du Christ.


C'est le péché qui met à mort le fils de Dieu sans qu'il réponde en rien au mal par le mal... indemne de la moindre once de volonté de puissance mondaine.

Il faut toujours faire la différence entre le péché et le pécheur. Le Christ est un condamné qui ne condamne pas. Il n'y a aucun doute, Judas reste élu par le Seigneur.

Il devrait être clair pour le chrétien que le juif demeure élu de Dieu et plus aimé de Jésus que quiconque parce qu'il est le plus menacé.

 

 

ENFIN SOHEIB BENCHEIKH, IMAM, SE PENCHE SUR LES

 VERSETS DOULOUREUX DE LA TRADITION ISLAMIQUE

 

 

 

Soheib Bencheikh a d'abord parlé de « versets dangereux » car il estime que c'est plus leur manipulation que leur observance qui pose problème. Par ailleurs, si l'islam est vraiment coupable de ce qu'on lui impute, nous devons désespérer de l'avenir de la planète, le quart d l'humanité est de confession musulmane.

 

S.Bencheik comme D.Meyer rappelle le statut différent des textes :

- le Coran, unique source divine et infaillible ;

- les Hadiths, paroles, faits ou gestes attribués à Mohamed, recueillis un siècle et demi  après sa mort qui constituent autant d'exemples à suivre pour les musulmans ;

- le Fiqh = jurisprudence islamique = droit musulman. Ni sacré, ni immuable. Équivalent du droit canon catholique.

 

Il est évident que le contenu des Hadiths et du Fiqh sont situés dans le temps. Mais le Coran lui-même n'est pas un bloc : sur les 6200 versets du Coran, révélés en 23 ans, 200 sont normatifs, constituent « la loi » et la moitié eux ont été abrogés par de nouveaux versets.

 

Le Coran est constitué des versets « mecquois », (¾ du Coran) période pendant laquelle Md espérait ramener les chrétiens "égarés par la philosophie grecque vers la pureté originelle, le berceau judéo-chrétien".

Les "versets médinois", plus tardifs et douloureux contiennent les polémiques et les controverses houleuses avec les juifs et les chrétiens.

 

S.Bencheikh reprend, explique et/ou  conteste certaines prescriptions reprochées à l'islam.

 

Juifs et chrétiens

 "Ne soyez pas les premiers à saluer les juifs et les chrétiens" fait partie des hadiths et est  en contradiction avec la vie de Md qui a épousé une juive avec l'espoir d'avoir une descendance masculine. Et avec le Coran "Ne vous disputez avec les gens du Livre que de la meilleure façon" (S29, V46).

Le Fiqh s'appuie sur un verset du Coran pour donner un caractère universel à une prescription qui peut s'expliquer par la situation de l'époque :  "Combattez ceux qui vivent avec vous comme le peuple chrétien et juif et qui n'interdisent pas ce que vous interdisez, jusqu'à ce qu'ils versent la capitation de leur propre main et qu'ils se fassent petits (S9,V29)". Les juifs et les chrétiens n'étaient pas tenus à verser, comme le faisaient les musulmans  une zakat proportionnelle aux biens.

Le mariage mixte

Dans le Coran, il est écrit : « N'épousez pas les femmes mushrik (associatrices sauf au moment où elles croient.. N'épousez pas les hommes mushrik sauf au moment où ils croient..."( V22S2) . Les mushrik sont des païens avec un culte préislamique entre polythéisme et Dieu créateur. Les chrétiens et le s juifs ne sont pas des païens. Cela ne les concerne pas. C'est le fiqh qui a interdit le mariage d'une musulmane avec un non musulman.

Une autre source du droit « infaillible », c'est le consensus de tous les musulmans (al Ijma), mais c'est une règle qui ne vient pas du Coran mais des hadiths.

 

L'apostasie, le renégat

"Celui qui change sa religion, tuez le !" C'est un hadith considéré unanimement comme authentique par la tradition.

Mais en flagrante contradiction avec le Coran :

"Est-ce à toi de  les contraindre afin qu'ils deviennent croyants ?" (S18,V29).

"Nulle contrainte en religion" (S,V256). A vous votre religion et à moi la mienne" (S109V6).

Pour S.Bencheikh, ce hadith date d'une époque où abandonner l'islam était une trahison dangereuse pour la communauté. Mais il ne peut être considéré comme supérieur au texte du Coran lui-même.

 

MAIS LE CORAN CONTIENT AUSSI DES VERSETS DOULOUREUX

 

Comme les autres livres sacrés, le Coran peut servir à justifier à peu près tout, u compris au nieau politique. Car sit S.Bencheikh : Personne n'a jamais rencontré une Bible ou un Coran qui s'exprime par lui-même. Ce sont toujours des hommes et des femmes qui lisent ces textes... et les interprètent. Mais » nul ne connaît l'interprétation finale à part Dieu" (S3).

 

Le Coran n'attaque ni les juifs, ni les chrétiens. Il se veut la continuation du judaïsme et du christianisme. Il leur reproche de s'être éloignés de la vraie religion. D'avoir des comportements contraires à ceux qui devraient être le leur.

Ils ont mal interprété les textes : « ils ont fait de leurs docteurs et de leurs moines des seigneurs à la place de Dieu, ainsi que le Messie, fils de Marie comme Seigneur à coté de Dieu." (S9, V30-31).

S.Bencheikh fait d'ailleurs remarquer que c'est ce qu'on peut aujourd'hui reprocher à bon nombre de musulmans. La religiosité d'une bonne partie des musulmans s'apparente à un paganisme sacralisant le texte à la place de Dieu, inspirateur du texte.

Le Coran se veut un commentaire de la Bible mais alors que le texte est dit supérieur au commentaire le Coran se veut plus authentique. Il prolonge l'enseignement divin, peut le modifier et l'abroger suivant le plan pédagogique de Dieu. Il pensait rallier juifs et chrétiens et redonner Jérusalem à Dieu. Ils ne l'ont pas suivi.

 

Les versets polémiques contre les chrétiens

Trinité : "Le Messie Jésus... n'est jamais qu'un messager de Dieu.. Croyez en Dieu et en ses messagers. Et ne dites pas : "Trois". Cessez, ce sera meilleur pour vous. Dieu est un dieu unique"(S4V171). Le Coran porte une accusation grave à l'endroit des chrétiens, avec allusion au polythéisme ou presque. "Ce sont des mécréants, ceux qui disent : "Dieu, c'est le Messie, fils de Marie". Mais ce n'est pas une invention coranique, la querelle existait dans l'église des premiers siècles.

Sur la Trinité. la simplicité coranique est en contraste avec la quasi totalité des Églises chrétiennes d'aujourd'hui, non avec les anciennes églises qui ont été largement absorbées par l'islam.

Pour le Coran, les chrétiens sont des monothéistes égarés.

 

Le prophète Jésus : Pour l'enseignement coranique et le gros d l'église primitive, il est prophète, envoyé de Dieu, sa création, il n' jamais été tué, il n'a jamais été crucifié mais simplement élevé vers Dieu. Le "docétisme" soutient la même thèse.

 

Les mécréants et le mot « combattre »

Les mécréants sont les « associateurs », ni les juifs, ni les chrétiens. Pour les mécréants : "Et tuez ceux-là où que vous les rencontriez : et chassez-les d'où ils vous ont chassés : la dissension est pire que le meurtre..." (S2V19O-1).

Discussion du mot "combattre"

Le Coran n'appelle jamais  à la guerre. Dans un verset révélé alors que les musulmans étaient assiégés : "Lorsque vous rencontrez (face à face en bataille rangée) des incroyants, alors frappez aux cols...(S47,V4-7). Mais si les musulmans sont appelés à prendre les armes pour se défendre, aucun commandement, dans aucun texte, ne leur a été donné pour agresser les premiers...

Les djihadistes  soutiennent l'idée folle que ce "verset de l'épée" a abrogé des dizaines d'autres qui appellent à la tolérance en suspendant le jugement des consciences jusqu'au jour dernier. De plus le Coran a toujours appelé à ne combattre que les combattants.

 

En conclusion : Dans l'islam, le croyant reste libre de son interprétation et j'ose affirmer que sa religion est libérale, individuelle et affranchie de toute autorité cléricale.

Si cette désacralisation de l'exégèse coranique ne se fait pas, n'ayons aucune crainte. C'est la sécularisation et la laïcisation qui s'ensuivront.. La sécularisation de la société dans l'Europe chrétienne n'a pas attendu le concile Vatican II.

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

En s'attaquant aux « versets douloureux », les auteurs, surtout S.Bencheikh et D.Meyer ont entrepris une tâche difficile. Mais ils ont l'honnêteté de dire où le bat blesse.

 

Ils ont sensiblement les mêmes lignes de défense. Tout d'abord séparer les textes révélés en principe infaillibles, des commentaires, des  témoignages... qui sont plus ou moins authentiques, datés. Et donc discutables, les temps ayant changé. D.Meyer dit, ces textes «  sont le résultat d'un "travail humain"... Nous pouvons essayer de comprendre qui ? quand ? comment ? pourquoi ? »

 

Ils font quelquefois une critique historique des textes « sacrés ». Certaines révélations du Coran sont en lien directe avec une situation historique.

Mais ils vont plus loin : ils parlent de désacraliser le texte (Meyer) ou du moins sinon, les textes au moins les interprétations des textes. Ils préconisent une théologie de la transgression non de la parole de Dieu mais des normes imposées parles institutions ou par l'ordre établi (Bencheikh).

Mais dans la tradition, certains ont su manipuler, tourner et retourner les écrits pour nr pas mettre en application le sens littéral du texte  (Meyer). Il faut  promouvoir des valeurs qui sont coraniques et relèvent du bon sens... revenir à la conscience individuelle (Bencheikh)..

Pour l'un comme pour l'autre, c'est l'éthique qui doit l'emporter. Il y a des textes et de multiples interprétations. Nul ne détient « la   vérité. Nul n'a le droit d'imposer « sa »vérité. Le grand danger, c'est d'idolâtrer les textes.

La religion est un choix individuel, un contrat entre l'être humain et Dieu. Il faut libérer le Coran de toutes ses interprétations dépassées par le temps mais aussi libérer l'idée Dieu du Coran lui-même.

Ce sont des livres  qui poussent à la vérité, plus qu'ils n'enseignent la vérité.

 

En terminant, on est frappé par deux points :

 

Les Livres comme le dit Alexandre Adler dans la préface, ne sont pas des aboutissements mais des points de départ. Ce ne sont pas des livres de vérité mais de réflexion. Textes « révélés » ou non, ils doivent être soumis à la critique. Qui peut varier suivant les époques, les lieux, les personnes. Au final, la lumière ne semble pas venir du Livre mais de l'extérieur.

Bien que moins engagé dans cette discussion que le rabbin et l'imam, le jésuite ne les contredit pas quand il s'efforce de relire Jean à la « lumière » de la Shoah.

 

Cette façon de lire les textes sacrés est une preuve d'ouverture indiscutable mais est-elle partagée au delà d'un petit cercle d'occidentaux ? Pour le moment et pour un moment qui dure depuis longtemps et ne semble pas devoir cesser prochainement, les interprétations sont plus porteuses de douleurs même si tous prétendent que le fondement de leur religion est l'amour du prochain.

 

Même ceux qui ont le plus de bonne volonté sont obligés d'aller chercher la lumière à l'extérieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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