Cercle des Chamailleurs
Mardi 25 janvier 2011
Principe de précaution : qu’en est-il aujourd’hui ?
Présentation par Michel :
Sources diverses : internet, blogs, articles de journaux (Le Monde, La Croix,…) et livre de Philippe Kourilsky « Du bon usage du principe de précaution » (Editions Odile Jacob, 2002).
Rappel historique
Historiquement, c’est au début des années soixante-dix, à l’occasion de la critique du modèle technico-économique, en Allemagne et aux Etats-Unis, que le Principe de précaution fut inscrit - sous l’appellation de Vorsorgeprinzip - dans le droit positif de l’environnement allemand avec la loi de 1974 sur les pluies acides. C’est avec la Convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d’ozone et le rapport Brundtland sur le développement durable de 1987, que ce Principe est devenu le pilier du droit international de l’environnement. On commença aussi à s’y référer à lui de façon explicite avec la déclaration ministérielle de la IIe Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord de 1987.
Par la suite, il fut un Principe régulièrement repris dans de nombreux textes internationaux comme par exemple la Déclaration du sommet de Rio sur l’environnement et le développement, de juin 1992, au terme du "Sommet de la Terre", organisé par les Nations unies. Ce Sommet fut la matérialisation du premier engagement de la communauté internationale dans la prévention du risque climatique planétaire.
Depuis lors, une dizaine de grands textes internationaux y font référence et l’Union européenne l’a même fait entrer dans le droit communautaire avec le Traité sur l’Union européenne de 1992 et la rédaction de l’article 130 R sur la politique communautaire de l’environnement. La France quant à elle n’a reconnu ce Principe qu’assez tardivement avec la loi du 2 Février 1995 (Loi Barnier) sur le renforcement de la protection de l’environnement.
En février 2005, le Parlement réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution la Charte de l'environnement, installant par là même le principe de précaution (art. 5) au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques :
« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Depuis, il a débordé les questions qui touchent à l’environnement pour englober les problèmes relatifs à l’alimentation et à la santé.
Un éventail de définitions
Il n’existe pas une définition universellement admise du « Principe de précaution » mais un éventail de définitions, l’idée principale étant que "Des mesures doivent être prises lorsqu’il existe des raisons suffisantes de croire qu’une activité ou un produit risque de causer des dommages graves et irréversibles à la santé ou à l’environnement. Ces mesures peuvent consister à réduire ou à mettre un terme à cette activité ou encore à interdire ce produit, même si la preuve formelle d’un lien de cause à effet entre cette activité ou ce produit et les conséquences redoutées n’a pu être établie de manière irréfutable."
Le droit positif français le définit prudemment mais formellement avec la loi Barnier de 1995 comme étant le Principe selon lequel "l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable".
Même si les définitions diffèrent d’un texte à un autre et d’une langue à l’autre, l’élément commun qu’il convient de retenir à ce niveau comme une définition acceptable est le Principe de la Déclaration de Rio : "devant certains risques particulièrement graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique sur leur étendue ou leur réalisation ne doit pas conduire à l’inaction mais légitime des mesures -même drastiques- de prévention".
Précaution et prévention
Y a-t-il une différence entre ces deux notions ?
Les deux principes s’inscrivent en fait dans une démarche de prévention.
La différence pourrait être de degré : le principe de précaution impose l’adoption de mesures de prévention du risque plus en amont, avant que des preuves scientifiques de l’existence de ce risque n’aient été apportées.
Pour simplifier:
Principe de prévention: les risques sont connus
Principe de précaution: les risques ne sont pas encore avérés
Il existe cependant un certain nombre de confusions concernant ces 2 notions.
La première des confusions entre précaution et prévention vient du fait que le terme “précaution” est devenu à la mode. On l’utilise dans le langage courant pour signifier que l’on est prudent et agit précautionneusement. Ce qui n’est pas la même chose que le sens juridique donné au principe de précaution », estime Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et maître de conférence à Sciences-Po.
Deuxième source de confusion : « Il n’y a pas de frontière nette mais un continuum entre la précaution et la prévention, c’est l’incertitude sur le risque qui fait qu’un problème relève de la précaution. Dès lors que le risque est avéré, il entre dans le registre de la prévention. », explique Jean Salençon, président de l’Académie des sciences.
La précaution a été inventée pour gérer le risque en amont, dès lors qu’un faisceau d’indices fait émerger un risque plausible (et non pas une peur) aux conséquences potentiellement graves, sans encore disposer des preuves scientifiques formelles.
Parfait exemple de ce continuum précaution-prévention, le cas de l’amiante. « On aurait pu agir au nom du principe de précaution dès 1910 au moment où commencent à être évoqués les risques liés à son usage. À partir des années 1960, le lien de cause à effet étant établi entre l’exposition aux fibres et la survenue de cancers et pathologies respiratoires, on en sait assez sur le risque pour prendre des mesures de prévention », explique Denis Bard, épidémiologiste à l’école des hautes études en santé publique et vice-président du Comité de la prévention et de la précaution (CPP), instance de conseil du ministère de l’écologie.
Selon cette grille de lecture, les trois derniers événements débattus, virus H1N1, tempête Xynthia ou cendres du volcan Eyjafjöll, ne relèvent pas du principe de précaution mais de la prévention. Le risque d’inondation en zone inondable et ses conséquences sont connus, tout comme le fait que les cendres volcaniques soient à même d’endommager des réacteurs d’avion.
Quant au virus H1N1, Alain Grimfeld, médecin, président du comité d’éthique et du CPP, expliquait devant les parlementaires le 1er octobre dernier, lors d’une audition sur le principe de précaution : « La cause est connue, elle est virale ; la prévention est vaccinale. Le risque concernant la prévention va dépendre du pouvoir pandémique du virus (…), on entend beaucoup parler du principe de précaution dans l’application du vaccin, ce qui est un non-sens. »
Rien à voir avec la gestion dite de la crise de la vache folle. « Le prion était un véritable ovni scientifique, rappelle Olivier Godard. Qu’une protéine puisse être un agent infectieux dépassait l’entendement. Cette énigme scientifique fut à l’origine d’un immense champ de recherche.
Limites et critiques du principe de précaution
Selon certains auteurs, le principe de précaution mal utilisé peut conduire à des blocages inutiles, qui peuvent retarder les pays qui l'appliquent dans la voie du progrès technique. Dans les prêcheurs de l'apocalypse, Jean de Kervasdoué déclare ainsi :
« Être prudent, analyser les risques pour tenter de les éviter, constituent de sages conseils ; mais d'avoir fait de la précaution un principe est un drame : il ne s'agit plus de tenter d'analyser des évolutions vraisemblables, compte tenu des informations disponibles, mais d'imaginer l'irréel, l'impensable, sous prétexte que les dommages causés pourraient être importants. »
Cécile Philippe de l'Institut économique Molinari regrette pour sa part qu'avec le principe de précaution on ne considère que les risques en cas d'application du progrès et que l'« on ignore les coûts à ne pas appliquer le progrès »[19]. Elle est suivie en cela par Mathieu Laine qui y ajoute le risque qu'il y a selon lui à voir le principe de précaution décourager le progrès scientifique et donc priver la société de ses bienfaits futurs. Laine écrit ainsi dans La Grande nurserie : « L'histoire de l'humanité a depuis toujours été guidée par cette logique de l'essai, de la tentative et de l'erreur sans cesse corrigée pour parvenir à la vérité. Le principe de précaution annihile cette dynamique et paralyse le progrès. »[20]
Illustration des possibles effets pervers du principe de précaution, le nombre d'autorisations de mise sur le marché de nouveaux médicaments par la Food and Drug Administration a été divisé par deux entre 1998 et 2007, passant de 39 à 19. Cette baisse est due selon Philippe Guy, directeur associé au Boston Consulting Group, à la plus grande aversion au risque de la FDA, qui fait jouer le principe de précaution même quand les risques sont considérés comme faibles. Claude Le Pen, professeur d'économie de la santé, le confirme et déclare que « certains de ses dossiers seraient passés sans aucun problème il y a dix ou vingt ans ». Résultat, en raison de ces refus les coûts de lancement d'un nouveau médicament ont triplé depuis 1990 (900 millions de dollars contre 300), ce qui réduit l'incitation à la recherche de nouveaux traitements[21].
Le principe de précaution, principe d’action ou d’inaction ?
Dans les textes, le principe de précaution est clairement un principe dynamique qui impose de faire progresser la connaissance, comme ce fut le cas sur le prion, et de prendre des mesures provisoires, révisables. « Les juges ont défini ses contours, par petites touches, en quinze ans de jurisprudence, émanant notamment de la Cour de justice des communautés européennes. Il se dessine ainsi un vade-mecum, un guide à l’usage des administrations », explique Christine Noiville, juriste et directrice du Centre de recherche en droit des sciences et des technologies (CNRS-université Paris 1).
« Les juges ont bien confirmé qu’il n’était pas un principe anti-science, qu’il réclamait au contraire d’adopter une démarche scientifique, de développer la recherche et l’expertise pour évaluer le risque et accompagner toute décision ; le principe ne conduit pas à vouloir s’affranchir du moindre risque et à rechercher le “risque zéro” », poursuit la juriste.
Est-il pour autant utilisé à bon escient ? « Les pouvoirs publics s’affolent en matière de gestion du risque. Le traumatisme de l’affaire du sang contaminé est tel qu’il conditionne les comportements. La question est de savoir si les politiques ne sont pas trop prudents », estime Arnaud Gossement. La peur de la condamnation est pourtant mauvaise conseillère.
« La condamnation pour mise en danger d’autrui suppose que le danger soit avéré et immédiat, c’est l’inverse même du principe de précaution », justifie Olivier Godard. « Pour l’amiante ou le sang contaminé, la responsabilité de l’État est retenue uniquement à partir du moment où les risques sont parfaitement connus, il n’y a pas de condamnation pour les périodes plus anciennes », confirme Christine Noiville.
« Le principe est brandi comme un parapluie, ou comme un joker, sur le thème “en matière de sécurité on n’en fait jamais trop” », regrette Olivier Godard. Pour ajouter à la confusion, une mouvance maximaliste cherche à inverser la charge de la preuve, le principe viserait ainsi à apporter la preuve de l’innocuité et de l’absence de risque avant d’agir.
Le principe de précaution est-il dévoyé ?
Pensé pour l’environnement, le principe s’est étendu aux enjeux de sécurité sanitaire, à tel point que ces derniers sont devenus prépondérants. « Pourquoi personne n’a fait valoir le principe de précaution pour la taxe carbone ?, interroge Olivier Godard. Les incertitudes sur l’impact des changements climatiques, potentiellement graves et irréversibles, devraient inciter à agir par l’adoption de mesures proportionnées : la taxe en était une », justifie-t-il.
Mais dans la liste des ratés du principe, les derniers jugements imposant le démontage d’antennes-relais de téléphonie mobile font la quasi-unanimité : la mesure paraît disproportionnée. Ainsi la cour d’appel de Versailles a, dans son arrêt du 4 février 2009, justifié sa décision en évoquant le « trouble anormal de voisinage » et la « crainte légitime » liée à l’impossibilité de « garantir une absence de risque sanitaire ».
« Le raisonnement selon lequel l’incertitude génère le risque qui crée le danger est en totale contradiction avec quinze ans de jurisprudence. Cela sème le trouble dans les esprits, ravive les vieilles querelles sur un principe prétendument anti-science et ramène le principe de précaution à l’âge de pierre alors que l’on croyait être parvenu à maturité », s’attriste Christine Noiville. La décision de la Cour de cassation est attendue avec impatience.
Cas des OGM
Les OGM illustrent bien la polémique entre les partisans et les opposants du principe de précaution. Cela ressort très bien dans l’interview donnée par Marie Monique Robin, réalisatrice du film « Le monde selon Monsanto » :
« La polémique, cyclique, est repartie. Faut-il ou ne faut-il pas cultiver des OGM ? Cette fois c’est plus qu’une polémique, c’est une véritable guerre entre scientifiques. Tout est parti d’un avis de l’agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) qui a estimé… que le maïs génétiquement modifié MON 810 ne posait pas de problème de santé particulier, contrairement au Pr Yvon Le Maho qui, dans un rapport commandé par le gouvernement, avait conclu à la nécessité d'appliquer le principe de précaution.
Principe de précaution ou ...de régression
C’est d’ailleurs ce principe de précaution, trop rapidement introduit dans la constitution par Jacques Chirac, qui, à cette occasion mériterait d’être à nouveau discuté, certains n’hésitant pas à le qualifier de « principe de régression ». Si le principe de précaution avait existé lorsqu’a été pratiqué pour la première fois la stérilisation des aliments avec radiations ionisantes, on l’aurait interdit. Comme on vient d’interdire des antennes de radiotéléphone, alors qu’il n’est pas prouvé qu’elles aient des effets nocifs. Mais au-delà de la non-dangerosité des ondes, c’est toute la recherche et l’industrie qui risque un grave retour de bâton : que va-t-on nous annoncer demain ? Que les autoroutes doivent être démontées parce que le bruit de la circulation perturbe l’oreille interne des voisins ? Que le Wifi doit être interdit parce qu’il est aussi constitué d’ondes ? Que les plaques de cuisson doivent toutes devenir électriques parce que le gaz peut exploser ?
OGM: effets sur l'environnement, sur l'homme et ...
Le problème des OGM peut être divisé en trois, le plus important n’étant peut-être pas celui le plus mis en avant. Les conséquences des OGM sur l’environnement, sur l’homme (Voir les excellentes explications sur le Blog de Guillaume Malaurie et son interview de Christian Vélot qui vient de publier aux Editions Goutte de Sable « Ogm, tout s’explique » )
et, last but not least, les effets néfastes des systèmes du type Monsanto qui, en industrialisant les semences, créent une dépendance systématique des agriculteurs vis-à-vis du semencier. Or, leader mondial des OGM, Monsanto est à l'origine de bien d'autres produits controversés, depuis sa création en 1901.
Le procès de Monsanto
La liste est longue. La firme est le principal producteur de PCB (le pyralène, polluant organique persistant aujourd'hui interdit et responsable de nombreuses pollutions), de l’agent orange, herbicide utilisé pendant la guerre du Vietnam et fortement cancérigène, et d'hormones de croissance bovine et laitière interdites en Europe. Or, c’est ce lobby des semenciers, et en premier lieu, Monsanto, qui est à l’origine des pressions visant à réautoriser le MON 810, ce que le gouvernement s’est refusé à faire. Le problème, c’est celui de ces instances soi-disant indépendantes qui, comme l'Afssa, ne le sont pas. Pour Pierre-Henri Gouyon, scientifique du CNRS et au Museum d'Histoire naturelle, ce type d'instance "n'assure pas leur rôle de prévention", car ils pensent « que l'essentiel est de faire tourner le commerce et d'autres qui pensent qu'il faudrait quand même mettre un minimum de précautions dans le système. L'Afssa est clairement dans la première option", alors que comme Yvon Le Maho, dont les rapports sont à l’origine du moratoire du MON 810 ; lui soulève l'absence de connaissance des effets à long terme: « on regarde l'effet sur des rongeurs à 90 jours mais on ne regarde même pas ce que ça donne à la génération suivante. C'est scandaleux »
Autre exemple : « La commission Attali contre le principe de précaution constitutionnel » (dans un blog, le vendredi 12 octobre 2007)5 12 /10 /2007 23:18
« En plein Grenelle de l’environnement, il y en a qui osent encore avancer à contresens de l’histoire. Ainsi, une des mesures phares de la commission Attali pour libérer la croissance économique française, est-t-elle de revenir sur le principe de précaution, introduit par J. Chirac dans la constitution française, avec la « charte de l’environnement » adossée au texte suprême en 2005.
Le Figaro m’est tombé des mains ce matin, en lisant les pages saumon. C’est à une « quasi-unanimité », que les membres sont tombés d’accord pour demander à l’omniprésident de retirer ce principe écologique de la constitution. Aller chercher le point de croissance qui manque est à ce prix.
Pour libérer la croissance économique, pour que les entreprises fassent toujours plus d’affaires sans tenir compte des dommages à l’environnement, pour les sécuriser juridiquement quels que soient les dangers potentiels pour le biotope, il est urgent pour la commission Attali, de revenir sur l’article 5 de la charte de l’environnement. »
Il faut toutefois souligné que, le 25 octobre 2007, dans une intervention, Nicolas Sarkozy a tenu à défendre le principe de précaution. Ainsi, le chef de l'Etat déclarait que "proposer sa suppression (du principe de précaution) au motif qu'il briderait l'action, repose à mes yeux sur une grande incompréhension.Le principe de précaution n'est pas un principe d'inaction, c'est un principe d'action et d'expertise pour réduire l'incertitude. Le principe de précaution n'est pas un principe d'interdiction, c'est un principe de vigilance et de transparence. Il doit être interprété comme un principe de responsabilité".
Autre acteur de la polémique : l’Académie nationale de médecine. (lettre du professeur Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel parue dans Le Monde 4-5 juillet 2010)
« L’Académie…est préoccupée par le catastrophisme avec lequel on présente les innovations techniques (champs électomagnétiques par exemple) bien que les experts les aient jugées sans risque décelable. Le principe de précaution, associé au précautionisme, a induit une crainte de l’innovation et de la recherche qui pourrait avoir des conséquences graves pour l’avenir du pays. Non, l’Académie nationale de médecine n’est pas opposée au principe de précaution s’il est protégé contre les dérives irrationnelles. Cela implique de ne pas masquer la différence entre les risques scientifiques plausibles et ceux qui ne le sont pas…Le principe de précaution doit rester un principe d’action qui exige une démarche rigoureuse, notamment en renforçant les efforts de recherche quand il y a des incertitudes. L’abandon de la vaccination contre l’hépatite B dans les écoles contre l’avis des experts et en réponse à des soupçons non confirmés d’induction de sclérose en plaques, constitue un exemple de mesures de précaution irréfléchies qui deviennent irréversibles au lieu d’être provisoires et donc périodiquement reconsidérées. »
Avis du comité de la prévention et de la précaution (21 juin 2010) :
Dans un nouvel avis, le Comité propose un processus de formalisation de l’élaboration de la décision publique dans ces situations, avec trois recommandations, à savoir, la décision en présence d’incertitude doit s’appuyer sur une évaluation des choix d’action existants non seulement sur les plans sanitaire et environnemental, mais aussi économique et social : le coût d’une mesure ne doit pas être hors de proportion avec l’ampleur des dommages redoutés ; le processus de décision en contexte d’incertitude doit impliquer les parties prenantes : cette intégration est une des conditions de l’acceptation sociale de la décision ; et enfin, qu’il est essentiel de s’appuyer sur une expertise scientifique plurielle.
« Cet avis intervient à un moment clé où des questions se posent, non pas tant sur le bien-fondé du principe de précaution, mais surtout sur ses conditions de mise en œuvre. Le travail du comité de la prévention et de la précaution réaffirme quelques principes : nécessité d’une analyse coûts-bénéfices des décisions, importance de l’association du public à la prise de décision, besoin d’une expertise pluraliste. Ce travail constitue une contribution très utile au débat engagé sur l’application du principe de précaution par l’Assemblée Nationale », explique à cet effet, Chantal JOUANNO, dans un communiqué de presse.
A propos des experts
Souvenons-nous du cas des "experts" du siècle dernier prédisant que l’homme ne pourrait dépasser la vitesse de 36 km/h et que pour cette raison, les chemins de fer n’avaient aucun avenir...
Autres pays :
Le principe de précaution est reconnu en Belgique, au Pays-Bas, en Allemagne et en Suède. [réf. incomplète] (Source : Le Monde, mercredi 18 mars 2009). En Allemagne, on considère que l'art. 20 de la Loi fondamentale y fait référence, sans toutefois l'énoncer de façon explicite (« assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l'État protège les fondements naturels de la vie »). Au Brésil, l'art. 225 de la Constitution de 1988 y fait implicitement référence. A part la France, l'Allemagne et le Brésil, aucun Etat n'a donné à ce principe un rang constitutionnel.
Une étude de cas : le sang contaminé
La manière dont le problème fut pris en charge en France est révélatrice de toute une série de dysfonctionnements du système de santé. Il y eut plusieurs types de contaminations qui touchèrent les homosexuels, les drogués, les transfusés et les hémophiles.
Les tests de diagnostic furent mis en place dès 1985 soit environ 2 ans après la découverte du virus. L’ampleur du drame fut variable selon des pays, la France détenant le sinistre record de morts contaminés par transfusion sanguine. D’après Kourilsky (« Du bon usage du principe de précaution »), « c’est à tort que l’on croit que, dans ce drame, le principe de précaution n’a pas été mis en œuvre », dans la mesure où une directive a été émise le 20 juin 1983 par le secrétariat d’Etat à la Santé qui demandait que l’on questionnât les donneurs de sang afin d’écarter de la collecte ceux qui présentaient des risques pour les receveurs. Mais cette directive n’a pas été appliquée et près de 1200 cas de sida post-transfusionnels furent répertoriés en France en 1993, soit 17 fois plus qu’en Grande-Bretagne où l’on a questionné dès 1983 et écarté les donneurs à risque.
Parmi les facteurs qui expliquent l’erreur première, sont cités :
- l’incertitude sur la signification de la séropositivité (tantôt interprétée au début comme signe de protection et tantôt comme preuve de l’infection)
- le statut des centres de transfusion
- la sociologie particulière de l’épidémie
- la surconsommation de sang et des produits sanguins
- l’évolution des techniques de fabrication des concentrés destinés aux hémophiles
- l’écoulement de produits non chauffés
- le prélèvement prolongé de sang dans les prisons.
Il a fallu 14 ans pour parvenir à une explication des connaissances de l’époque « en raison d’un déficit d’expertise scientifique assortie de repères historiques ».
Mais, plus les mesures de précaution sont prises en amont, plus elles coûtent cher car elles sont moins ciblées et moins observées (parce que moins crédibles).
Kourilsky pose la question : « Faut-il traduire en justice le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux, parce que l’alcool et la vitesse tuent sur les routes françaises plus qu’ailleurs et que les règlements sont inappliquées ou insuffisants ? » On voit bien, dit-il, qu’une telle démarche charge les responsables politiques du poids symbolique d’une somme d’erreurs individuelles et collectives. Le processus judiciaire est ici apparenté à la recherche de victimes expiatoires.
« Le problème, dans ces dramatiques affaires, n’est pas de couper quelques têtes pour l’exemple. Cette démarche régressive est indigne d’une démocratie moderne. »
En conclusion de son livre, Philippe Kourilsky pose la question : « Faut-il combattre le principe de précaution ? »
Pour lui, le principe de précaution a servi la cause du développement durable qui se fonde sur la prise de conscience des devoirs envers les générations futures et sur la prudence avec laquelle doivent être gérés les ressources et l’environnement planétaires.
Et il cite la conclusion du rapport commandé par le Premier ministre à Ph. Kourilsky et à Mme G. Viney en 1999 : « …le principe de précaution est entre les mains du législateur, de l’autorité règlementaire et du juge qui peuvent, à notre avis, en faire la meilleure ou la pire des choses : la meilleure, s’ils parviennent à mettre en place des mesures améliorant réellement la sécurité des citoyens, tout en évitant l’écueil d’une démission générale devant toute prise de risque ; la pire s’ils le transforment en un carcan excluant toute souplesse et décourageant les initiatives nécessaires à l’innovation et au progrès. »
En bref, pour Kourilsky, « le principe de précaution, bien compris et bien manié, constitue un instrument utile. Mais si l’abstention, l’immobilisme et le conservatisme réussissaient à se l’approprier, il faudrait l’’abandonner et même le combattre avec vigueur. »
Résumé de la discussion (Yvonne) :
La première question qui est posée est de savoir si le principe de précaution est un principe d’action ou d’inaction. Inaction, si, sous prétexte d’un risque incertain, on ne fait rien, mais action si tout est mis en œuvre pour lever l’incertitude de ce risque
Tout le monde est d’accord pour craindre que le principe de précaution ne cache souvent que des préoccupations purement économiques. Comme, par exemple, le risque de pandémie de grippe fabriqué par l’industrie pharmaceutique.
Concernant les OGM, deux raisons amènent à être contre :
1 – Les cultures d’OGM ne peuvent être géographiquement contenues, c'est-à-dire qu’une culture pratiquée dans un champ polluera les champs voisins,
2 – Les graines d’OGM sont stériles, ce qui oblige, chaque année, à racheter la semence ; normalement, la récolte d’une année produisait la semence pour la prochaine saison.
Le principe de précaution est avancé ou non suivant les conséquences économiques de la décision : par exemple, le problème, actuellement sans solution, de l’élimination des déchets devrait conduire à ne pas utiliser l’énergie nucléaire ; on n’appliquera donc pas le principe de précaution ! Mais si on n’utilise pas l’énergie nucléaire, on produira du CO2. Alors ?
Peut-être une autre façon d’envisager la croissance ?
Et les téléphones portables ? Le danger semble venir plus des téléphones personnels que l’on se colle contre l’oreille, que des antennes des émetteurs. Il est fait remarquer que porter à son oreille un téléphone est un acte volontaire, dont il est normal que l’auteur en supporte les conséquences, alors que l’effet des antennes est, dangereux ou non, imposé à tout un chacun. Et que dire des systèmes wifi et des téléphones sans fil, qui polluent l’espace intérieur des appartements ? Le principe de précaution devrait nous conduire à les proscrire… mais le marketing des sociétés qui produisent ces matériels nous imposent pratiquement de les adopter.
Précaution ou prévention ? Les deux sont parfois confondus. On fera la différence entre ces deux concepts par l’estimation du degré d’incertitude : si l’incertitude est faible on a affaire à de la prévention et à de la précaution dans le cas contraire.
Il est fait remarquer que le principe de précaution est né à la fin du XXème siècle par suite d’un changement radical de l’opinion par rapport à la Science : au XIXème siècle la science est indiscutable et détient la vérité ; aujourd‘hui la science est discutée et ne peut déterminer qu’un degré d’incertitude de cette vérité. Ce manque de confiance en la science conduit même parfois à une régression : par exemple, les médecines parallèles étaient jadis très décriées, seule la science était crédible ; aujourd’hui ces médecines sont en recrudescence. Cela constitue-t-il une régression ?
Le principe de précaution dépendant de l’incertitude, doit faire appel aux experts pour évaluer cette incertitude ; or, les experts ne peuvent se trouver que chez les groupes concernés par le sujet, d’où les conflits d’intérêt que l’on dénonce aujourd’hui de plus en plus.
Il est fait remarquer que les études d’impact d’une réalisation peuvent influer sur le principe de précaution En effet, le principe de précaution pourra être invoqué ou non suivant que l’impact sera ou non important sur la nature, la société, etc…
En conclusion, la question est posée : est-on pour ou contre le principe de précaution ? Les réponses sont peu claires. D’une manière générale tout le monde est pour à condition :
- que la précaution ne cache pas une réalité économique,
- que la précaution ne soit pas institutionnalisée (pas de loi sur ce sujet).