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10 avril 2007 2 10 /04 /avril /2007 11:34

 

 

CERCLE DES « CHAMAILLEURS »

 

 

L’insécurité sociale

 

(présenté par Paul)

 

 

Réunion du 12 mai 2004

 

 

Compte-rendu

 

 

 

On trouvera en annexe le texte rédigé par Paul.

Pour résumer notre soirée, je ne trouve pas mieux que le texte que Paul nous a envoyé en préalable de notre réunion, texte que je reproduis donc ci-après :

 

« Autrefois l’homme était défini par sa situation dans le groupe, cela entraînait pour lui contrainte et protection. L’homme moderne a été libéré du groupe, lui enlevant la contrainte, en le rendant plus libre, mais lui enlevant aussi la protection. D’où une insécurité insupportable..

Sauf posséder des biens, qui rendent l’homme libre, l’État libéral assure la sécurité civile des biens et des personnes, les propriétaires ayant, par leurs possessions, la sécurité sociale. Ce n’est que secondairement que s’est posée la question de la sécurité sociale des non-possédants. Cela s’est fait par la propriété sociale : les prélèvements sociaux effectués par l’État national donnent des droits attachés à l’emploi (lois sociales, maladie, chômage, accidents, vieillesse).

Avec l’hégémonie du marché et de l’entreprise, l’État national devient un obstacle à la concurrence, d’autant que se développe le chômage de masse, le vieillissement de la  population, la flexibilité du travail. La société salariale a relativement satisfait les besoins de protection. Cette protection est ressentie comme un droit, une seconde nature, au moment où des risques incontrôlés et incontrôlables apparaissent (de la vache folle à Tchernobyl) et où la société salariale est mise en question par le tout-marché. D’où la nécessité de maîtriser le marché et d’inventer les nouveaux droits, attachés non plus à l’emploi mais à la personne. »

 

 

Notre discussion a amené les commentaires suivants :

 

       * une augmentation de la sécurité, tant civile que sociale, induit un sentiment d’insécurité et une demande croissante de sécurité.

 

       * si l’on veut continuer à associer la protection sociale au travail, il faut imaginer que les lois sociales sont les mêmes dans le monde entier ; ceci est utopique.

 

       * un secours, attribué sans contrepartie, enferme le bénéficiaire dans la précarité, voire dans sa déchéance.

 

       * si le droit social est attaché à la personne, il faut éviter l’assistanat, mais associer ce droit à un effort à fournir ou un rôle à jouer dans la société.


 

L’INSECURITE SOCIALE. Qu'est-ce qu'être protégé ?

 

Robert Castel La République des idées Seuil, 96 pages, 10,5 €

 

 

Introduction
Protections civiles : libertés fondamentales et sécurité des biens et des personnes dans Etat de droit.

 

Protections sociales : principaux risques de dégradation de la situation des individus, maladie, accident, vieillesse, pouvant aboutir à la déchéance sociale.

 

De ce double point de vue, sociétés occidentales actuelles sont les plus sûres qui aient existé.

 

Communautés : luttes intestines, justice expéditive, arbitraire permanent, guerre, insécurité sociale permanente, vivre au jour la journée…

 

Sociétés assurantielles : la sécurité sociale est devenue un droit pour l'immense majorité des gens : institutions sanitaires et sociales prennent en charge santé, éducation, incapacités de l'âge, déficiences physiques, mentales :.

 

Mais préoccupations sécuritaires omniprésentes : formes massives de violence et de déchéance sociale largement jugulées, souci de la sécurité est une préoccupation populaire. L'insécurité moderne n'est pas l'absence de protections mais une recherche sans fin de sécurité qui crée l'insécurité. La sécurité et l'insécurité sont les rapports aux types de protections qu'une société assure ou n'assure pas. Autrement dit, être protégé, c'est aussi être menacé.

 

Les sociétés modernes construites sur l'insécurité parce que sociétés d'individus qui ne trouvent ni en eux mêmes, ni dans leur entourage immédiat, la capacité d'assurer leur protection. La promotion de l'individu, promeut sa vulnérabilité en même temps qu'elles le valorisent.

 

Le sentiment d'insécurité n'est pas proportionnel aux dangers : effet d'un décalage entre une attente socialement construite de protections et capacités d'une société à les mettre en œuvre. L'insécurité, envers d'une société de sécurité.

 

Frustration sécuritaire : Parce que les programmes protecteurs ne peuvent jamais être pleinement accomplis et produisent déception et même ressentiment. Parce que leur réussite en fait émerger de nouveaux. C'est le cas aujourd'hui avec l'extraordinaire explosion de la notion de risque.

 

 

Chapitre 1 - La sécurité civile dans l'Etat de droit

 

Sociétés pré-modernes,

 

- Sécurité interne : famille, lignage et groupes de proximité. L'individu défini par sa place dans le groupe : sécurité est sur la base d'appartenance directe à une communauté : protection rapprochée. Occident médiéval : sociétés encadrées, assurées, nanties. Ces sociétés exposées à la guerre, disettes, épidémies qui menacent la communauté du dehors.
- Insécurité interne : portée par individus, groupes détachés des systèmes de dépendance-protection communautaires : le vagabond, hors territoire, hors travail. Variante : brigand, bandit, hors la loi.

 

Modernité et vulnérabilité

 

L'individu est reconnu pour lui-même. Une société d'individus n'est plus une société mais un état sans loi, sans droit, sans constitution, sans institutions : société d'insécurité totale. La loi du plus fort ne peut stabiliser la situation, David peut tuer Goliath. Le besoin d'être protégé devient un impératif catégorique : société de sécurité. Sécurité = condition pour que les individus puissent "faire société".

 

Hobbes : Etat absolu seul moyen de garantir sécurité des personnes et des biens (Léviathan). Max Weber : l'Etat doit avoir le monopole d'exercice de la violence.
Contrepartie : l'Etat absolu libère les individus de la peur et leur permet d'exister librement dans la sphère privée, ménage croyances et possibilité d'entreprendre et de jouir des fruits de son industrie. Etre protégé n'est pas un état naturel. C'est une situation construite. L'insécurité est consubstantielle à la coexistence des individus dans une société moderne. La sécurité a un coût.

 

Parce que l'individu n'est plus pris dans les réseaux traditionnels dépendance-protection, la propriété protège. Assure l'autonomie du citoyen, de ses opinions, de ses choix. On ne peut soudoyer pour s'assurer de son vote, ni intimider pour se constituer une clientèle. La propriété dans une République moderne support grâce auquel le citoyen peut être reconnu comme indépendant.

 

Locke: l'existence d'un Etat nécessaire pour que l'individu dispose de la liberté de développer ses entreprises et de jouir en paix des fruits de son travail : propriété des biens et de soi garantit l'indépendance des citoyens. L'Etat libéral pour protéger les personnes et leurs biens. Etat minimal ? Etat gendarme ?
Etat de droit s'interdit en principe de s'immiscer dans autres sphères. Rigoureux dans la protection des personnes, de leurs droits, impitoyable contre les ennemis de la propriété. Surtout si collectifs. D'un coté, légalisme juridique, de l'autre recours parfois brutal à la force armée.

 

Ce n'est pas par hasard que la propriété privée figure dans la DDHC. Les sans culotte ne pas supprimer la propriété mais la restreindre et en aménager l'accès à tous les citoyens.

 

Sécurité publique et libertés publiques
L
es libéraux prétendent assurer la protection de individus fondée sur l'Etat de droit et leur protection sociale fondée sur la propriété privée. Pour la classe possédante, la propriété constitue l'institution sociale qui rend toutes les autres à peu prés superflues (Charles Gide). Inutile "social"…

 

Les propriétaires se protègent eux-mêmes dans le cadre légal d'un Etat qui protège la propriété : sécurité sociale absolue. Sécurité civile par Etat de droit qui garantit l'exercice des libertés fondamentales.

 

La sécurité ne peut être totale que si l'Etat est absolu, s'il a le pouvoir d'écraser sans limitation toutes les velléités d'attenter à la sécurité des personnes et des biens…

 

Un Etat démocratique ne peut être protecteur à tout prix, le respect du droit dans l'usage de la force, y compris de la force publique, limite au pouvoir absolu, crée, indirectement mais nécessairement, les conditions d'une certaine insécurité. Ex : le contrôle de la magistrature sur la police limite sa liberté d'action. Le délinquant pourra en tirer partie d'où critique du laxisme de la magistrature …

 

Il faudrait, Rousseau, que tous les citoyens fussent vertueux ou qu'on les oblige à l'être. La vertu n'est pas spontanée, la sécurité absolue des personnes et des biens n'est jamais complètement assurée dans un Etat de droit…
Distance énorme qui sépare l'obsession sécuritaire des menaces objectives qui pèsent sur les personnes et les biens dans notre société comparée à plus de la moitié de la planète ou en France il y a cent ans. Mais ce n'est pas un fantasme parce que cela traduit un type de rapport à l'Etat des sociétés modernes. L'individu survalorisé, fragile et vulnérable, exige de l'Etat qu'il le protège. Le sentiment d'insécurité provient du caractère radical de la demande de protection, infinie… Mais dans le même temps exigences de respect de la liberté et de l'autonomie des individus dans un Etat de droit.

 

La sécurité est un droit qui ne peut s'obtenir sans l'utilisation de moyens qui s'avèrent attentatoires au droit.

 

 

Chapitre II : Sécurité sociale dans l'Etat, protecteur
Insécurité = sociale et civile. Sentiment d'insécurité = conscience d'être à la merci des événements maladie, accident, chômage, âge. Incapacité de gagner sa vie en travaillant remet en question l'appartenance sociale de l'individu qui tirait les moyens de subsistance du salaire.

 

L'insécurité sociale est une expérience qui a traversé l'histoire, discrète : ceux qui l'éprouvaient n'avaient pas la parole - sauf quand explosait en émeutes, révoltes et autres "émotions populaires"…

 

Par rapport à la dimension massive de l'insécurité, l'idéologie de la modernité a fait preuve d'une formidable indifférence. L'indépendance de l'individu s'est construite sur la propriété couplée avec un Etat de droit censée assurer la sécurité : absence de statut de l'individu non propriétaire. Pour l'abbé Sieyès, foule immense d'instruments bipèdes sans liberté, sans moralité, possédant des mains peu gagnantes et une âme absorbée.

 

La propriété ou le travail

 

Cette question n'a pas été prise en compte dans la construction de l'Etat libéral. Sauf Harmand (Montagnard) : Comment les institutions sociales peuvent-elles procurer à l'homme cette égalité de fait que la nature lui a refusée sans atteinte aux propriétés territoriales et industrielles ?

 

1820 : découverte du paupérisme entraîne philanthropie et paternalisme patronal. La modernité libérale se construit sur une double exclusion : catégories populaires dans les nations développées et reste de l'humanité.

 

Conséquence : misère des ouvriers de l'industrialisation et de leur famille, insécurité sociale permanent des catégories populaires d'où pauvreté, démoralisation, dissociation sociale, dissolution des liens sociaux.

 

Etre dans l'insécurité permanente = ne maîtriser ni le présent, ni anticiper positivement l'avenir : la fameuse "imprévoyance" des classes populaires des moralistes du XIX°.

 

Telle est la face d'ombre de l'Etat de droit. Evite de poser la question de Hobbes : comment assurer la sécurité de tous les individus dans le cadre de la nation ? Le clivage propriétaire/non propriétaire se traduit par le clivage sujets de droit/sujets de non droit si on entend par droit le droit de vivre dans la sécurité civile et sociale. Ou alors le droit n'est que formel (Marx)?

 

Est-il possible d'y faire face ? R. CASTEL travaille la simple variable d'ajustement. Pour gagner, on rogne sur les salaires et les sécurités attachées à l'emploi. La solution serait d'établir une sorte de compromis social entre les exigences du marché et un minimum de sécurité et de protection pour ceux et celles qui produisent ces richesses. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Comment définiriez-vous l'insécurité sociale ? R. CASTEL : Les prolétaires du XIXe siècle sont dans une insécurité sociale permanente : le travailleur n'ayant que son travail pour survivre vit dans l'insécurité sociale à la merci d'un accident ou d'une maladie. Lorsqu'il est trop vieux pour travailler, il risque de croupir à l'hospice en attendant d'y mourir. On était sorti de cette situation grâce à la sécurité sociale. Les ordonnances de 1945 affirment le principe d'une sécurité sociale généralisée contre les principaux risques sociaux : accident, maladie, vieillesse indigente. Elle s'est constituée essentiellement par l'attachement des sécurités, protections et droits au travail. La retraite, par exemple, est une sécurité pour l'avenir du vieux travailleur déjà cité plus haut. C'est au moins, pour lui, un minimum de ressources, de droits et d'indépendance, car il ne dépend plus de l'assistance ni de ses enfants pour vivre. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte
Quelles sont ses conséquences sur les personnes ?  R. CASTEL Les libéraux disent que l'individu est libéré d'un certain type de contraintes pesantes. Il est donc plus libre et disponible pour réaliser ses capacités et entreprendre. C'est le discours du Medef. Or, oublie que tous ne sont pas égaux pour faire face à ces transformations. Certains peuvent y gagner, mais d'autres - les plus nombreux - perdent leur système de protection. Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Comment en sortir ?

 

En attachant des protections fortes au travail : Le travail est devenu un emploi : un statut qui inclut des garanties non marchandes ; droit à un salaire minimum, protections du droit du travail, couverture des accidents, la maladie, droit à la retraite. La situation du travailleur cesse d'être condition précaire, devenue la condition salariale : presque tous les individus sont couverts par des systèmes de protection. La société salariale est une société dans laquelle l'immense majorité de la population accède à la citoyenneté sociale à partir, d'abord, de la consolidation du statut salarial.

 

En construisant un nouveau type de propriété conçue et mise en œuvre pour assurer la réhabilitation des non-propriétaires, la propriété sociale. La propriété sociale : production d'équivalents sociaux des protections auparavant seulement données par la propriété privée : la retraite n'est pas une mesure d'assistance, elle est un droit construit à partir du travail. Propriété du travailleur non dans la logique du marché mais à travers la socialisation du salaire (salaire indirect). L'Etat rôle central dans la mise en place de ces dispositifs, rôle social comme réducteur de risque.

 

Quelles en sont les causes ? R. CASTEL Le chômage de masse facteur d'insécurité sociale, la précarisation. Il y a trente ans, un travailleur presque assuré de garder son travail tout au long de sa vie. La stabilité permettait la propriété. Possibilité de faire des projets sur la base d'une condition salariale solide et permanente. Si l'on vit dans la précarité, cette sécurité se perd Du travail pour être reconnu. L'insécurité sociale ou la peur du lendemain Dossier réalisé par Piedad Belmonte

 

Une société de semblables

 

La solution à l'insécurité sociale n'est pas passée par la suppression ou le partage de la propriété privée. N'a pas réalisé l'égalité des conditions sociales. La société salariale est fortement inégalitaire mais aussi fortement protectrice. Qui a permis une certaine tolérance aux inégalités. Il ne s'est pas constitué une importante classe moyenne.

 

Ce n'est pas une société d'égaux mais de "semblables" : société différenciée, hiérarchisée mais dont les membres peuvent entretenir des relations d'interdépendance parce qu'ils disposent d'un fonds de ressources communes et de droits communs. L'Etat social est le garant de cette construction.

 

Le rôle principal de l'Etat social n'a pas été de réaliser la redistribution qui a très peu affecté les structures hiérarchiques. Rôle protecteur essentiel. Petit salaire, petite retraite. Conditions minimales pour pouvoir faire société avec ses semblables.

 

La propriété sociale a réhabilité la "classe non propriétaire" condamnée à l'insécurité sociale.
Etat réducteur de risques sociaux.

 

La croissance a permis la gestion régulée des inégalités de l'insécurité sociale dans la société salariale. Insatisfaction et frustration vécues comme provisoires. Le moment fort de la croissance de l'Etat garantit la protection sociale généralisée. Ce qui compte, ce sont les droits acquis au groupe auquel on appartient. L'avoir a moins d'importance que le statut collectif défini par un ensemble de règles.

 

Dans une convention collective, ce n'est plus l'individu qui contracte, il s'inscrit dans un collectif qui fait sa force face à l'employeur. Il est protégé en fonction de ses appartenances qui ne sont plus la participation directe à des communautés "naturelles" (protection rapprochée de la famille, du voisinage, du grouper territorial) mais des collectifs construits par des réglementations, généralement un statut juridique : collectifs de travail, collectifs syndicaux, régulations collectives du droit du travail et de la protection sociale.

 

 

Chapitre III : La remontée des incertitudes

 

Crise de la modernité organisée : le libéralisme a échoué à réaliser la promesse d'une société appliquant les principes d'autonomie des individus et d'égalité des droits pour l'ensemble. La société ne peut se fonder exclusivement sur un ensemble de rapports contractuels entre individus libres et égaux car elle exclut la majorité des travailleurs dont les conditions d'existence ne peuvent assurer l'indépendance sociale nécessaire pour  entrer à parité dans un ordre contractuel. Cela passe par la construction de droits sociaux et par l'implication croissante de l'Etat dans un rôle social. Le poids de la grande entreprise, l'organisation standardisée du travail, la présence de syndicats puissants assurent la prépondérance de ces formes de régulations collectives. Les travailleurs groupés dans de grandes associations qui les défendent se plient aux exigences du développement et en contrepartie bénéficient de protections étendues sur la base de conditions de travail stables. Géré dans le cadre de l'Etat-nation.

 

Individualisation et décollectivisation
Affaiblissement de l'Etat national social garantissant un ensemble de protections dans le cadre géographique et symbolique de la nation, un développement équilibré, économique et social, en vue du maintien de la cohésion sociale. Depuis les années 70, l'Etat est de moins en moins capable de ce rôle. Avec la concurrence internationale, le leadership passe à l'entreprise. L'Etat alors contre-productif par les surcoûts qu'il impose au travail pour le financement de ses charges sociales et par les limites qu'il apporte à la recherche de la compétitivité maximale à n'importe quel coût social.
Affaiblissement de la prise en charge de la défense des intérêts des salariés par les grandes formes d'organisations collectives.

 

Le chômage remet tout en question. La solidarité des statuts professionnels se transforme en concurrence entre égaux. La restructuration du monde du travail vise une gestion fluide et individualisée du travail à la place d'une gestion collective sur la base d'un emploi stable : mise en mobilité généralisée des relations de travail, des carrières, protections. Et en même temps décollectivisation, réindividualisation, insécurisation. L'individualisation des tâches impose mobilité, adaptabilité, disponibilité.

 

Les trajectoires professionnelles deviennent mobiles : modèle biographique : chaque individu doit prendre en charge les aléas d'un parcours professionnel discontinu, faire des choix, des reconversions. Le travailleur = entrepreneur de lui-même, "faire son poste plutôt que l'occuper". Chacun doit assumer le changement, se prendre en charge. L'opérateur est libéré des contraintes collectives, ils est obligé d'être libre, sommé d'être performant, tout en étant livré à lui-même.

 

Tout le monde n'est pas également armé pour. Les néo-libéraux oublient que cette mise en mobilité générale introduit de nouveaux clivages dans le monde du travail et dans le monde social. Il y a des gagnants et ceux qui ne peuvent faire face. Pour ceux qui ne disposent pas des capitaux - économiques, sociaux, culturels - les protections sont collectives ou ne sont pas.

 

Le retour des classes dangereuses

 

Deux lectures possibles de cette dégradation :

 

désocialisation des individus : les exclus sont des collections, non des collectifs, définis sur une base négative. Personne et pas même les exclus, n'existe dans le hors social et la décollectivisation elle-même est une situation collective.
Des groupes en mobilité descendante dont la commune condition se dégrade, le sentiment d'insécurité se développe, sentiment d'être laissé pour compte - modernisation oblige. Désarroi de ne plus avoir d'avenir vécu individuellement mais réaction collective, marquée de ressentiment. Mélange d'envie et de mépris qui joue sur un différentiel de situation sociale et fixe les responsabilités sur les catégories sociales juste au dessus ou juste au dessous. Le poujadisme contre les fonctionnaires avec des revenus moyens mais censés travailler moins. C'est une frustration collective qui cherche responsables ou boucs émissaires.
La modernisation a pris une dimension mondiale, les plus affectées ne sont plus la France traditionnelle -paysannerie, petit commerce. Mais de larges franges de la classe ouvrière intégrées durant les années de croissance, employés les moins qualifiés, jeunes d'origine populaire qui seraient passés de l'école, à l'apprentissage  et à l'emploi stable; On assiste à une déqualification de masse. CAP, BEI dévalorisés condamnent leurs détenteurs à l'immobilité.
Pour courir le risque d'une mort sociale, jouer le jeu du changement, de la mobilité, de l'adaptation permanente, du recyclage incessant, certains particulièrement mal armés, on s'en est peu soucié : l'imposition de la flexibilité rarement associée à des mesures d'accompagnement. Dès lors, au mieux, ces groupes sont les soutiers d'une économie mondialisée, au pire, "inemployables", condamnés à survivre. C'est là un puissant facteur d'insécurisation.
Autrefois, envie et mépris du travailleur indépendant à l'égard du salarié à statut qui accapare les avantages sociaux, aujourd'hui, racisme à l'égard des immigrés réputés moins compétents, plus dociles, cumulant les aides sociales. Le ressentiment comme réponse sociale au malheur social cible les groupes les plus proches. C'est une réaction de petit blanc.
Le problème des banlieues : Cumulent les facteurs d'insécurisation : taux de chômage, emplois précaires, activités marginales, habitat dégradé, urbanisme sans âme, promiscuité entre origines différents, jeunes désœuvrés, visibilité des pratiques délinquantes. L'insécurité sociale et l'insécurité civile se recoupent et s'entretiennent l'une l'autre.
A partir de là, diabolisation des banlieues, stigmatisation des jeunes, relèvent d'un déplacement de la conflictualité sociale. Les banlieues, abcès de fixation de l'insécurité : retour des classes dangereuses c'est à dire cristallisation sur des groupes particuliers aux marges, de tout ce qu'une société porte de menaces. Avant hier, le vagabond. Hier, les prolétaires qui "campent au sein de la société sans y être casés".
Faire de ces jeunes le noyau de la question sociale, devenue la question de la insécurité qui menace les fondements de l'ordre républicain a certains avantages. Evite de prendre en compte l'ensemble des facteurs à l'origine du sentiment d'insécurité et qui relèvent au moins autant de l'insécurité sociale que de la délinquance. Elles permettent de mobiliser des moyens qui, s'ils ne sont pas toujours efficaces, montrent que l'on fait quelque chose sans avoir à prendre en charge des questions bien plus délicates : chômage, inégalités, racisme qui sont à l'origine du sentiment d'insécurité.
L'ennemi de l'intérieur est toujours aux marges, semble venir d'ailleurs, ne parait pas partager les valeurs culturelles dominantes.

 

La répression n'a pas du être très efficace puisqu'elle a duré plusieurs siècles. Les causes en étaient la misère de masse et le verrouillage du marché du travail par  les corporations bloquant l'embauche. Jusqu'à la loi La Chapelier.
C'est payant seulement à court terme.
Glissement de l'Etat social vers l'Etat sécuritaire.
Un Etat purement sécuritaire se condamne à creuser une contradiction entre l'exercice d'une autorité sans faille, l'Etat gendarme, pour assurer la sécurité civile et un laxisme face aux conséquences du libéralisme économique qui alimente l'insécurité sociale.

 

 

Chapitre IV : Une nouvelle problématique du risque
Depuis les années 80, difficulté croissant à être assuré contre les principaux risques sociaux. D'où une insécurisation face à l'avenir et un désarroi qui peuvent aussi alimenter l'insécurité civile surtout dans les territoires comme les banlieues où se cristallisent les principaux facteurs de dyssocialité sociale.

 

Risques, dangers et dommages
Au moment où les systèmes de sécurisation sont fragilisés apparaît une nouvelle génération de risques ou de menaces : risques industriels, technologiques, sanitaires, naturels, écologiques…

 

La prolifération des risques apparaît étroitement liée à la promotion de la modernité. Ce n'est pas le progrès social mais un principe d'incertitude qui caractérise la société moderne, société du risque. L'insécurité comme horizon indépassable de la condition de l'homme moderne.

 

Si être protégé c'est être en mesure de faire face aux principaux risques de l'existence, cette assurance doublement prise en défaut : par l'affaiblissement des couvertures "classiques" par une sentiment général d'impuissance devant les nouvelles menaces

 

L'hypersensibilité aux risques fait de la recherche de la sécurité une quête infinie, toujours frustrée. Il faut distinguer : les aléas de l'existence qui peuvent être maîtrisés parce que socialisables et les menaces dont il faudrait reconnaître l'existence sans pouvoir s'en prémunir et donc les accepter comme des limites, provisoires peut-être.

 

Un risque est un événement prévisible dont on peut estimer les chances de se produire et le coût des dommages qu'il produira. Il peut être indemnisé car il peut être socialisé. La généralisation de l'obligation d'assurance qui implique la garantie de l'Etat a été la voie royale de "la société assurantielle". C'est un modèle solidariste ou mutualiste qui est à la base de la couverture des risques sociaux.

 

Une société du risque ne peut être sécurisée de la même façon. Les nouveaux risques sont largement imprévisibles, peu calculables, ont des conséquences irréversibles incalculables : éventualités néfastes plus que risques, menaces, dangers d'advenir
Imprévisibilité, gravité, irréversibilité pousse à envisager le pire et à prendre des mesures pour l'éviter. Décimer un cheptel pour éviter des probabilités inchiffrables de dommages. Afin d'éviter une éventualité improbable et qui n'est pas probabilisable, on produit des dommages très réels.

 

Culture du risque.

 

Cependant une société ne peut éradiquer la totalité des dangers dont l'avenir est porteur. Les risques les plus prégnants jugulés, le curseur de la sensibilité aux risques se déplace et en fait affleurer de nouveaux.

 

Le principe du risque alimentaire "zéro'" serait de s'abstenir de manger (principe de précaution), C'est impraticable, restent la suspicion et l'anxiété : l'insécurité est aussi dans l'assiette.

 

Pour les nouveaux risques, il faut se demander si leur prolifération ne comporte pas aussi une dimension sociale et politique, alors qu'elle est généralement présentée comme la marque d'un destin inéluctable, un aspect fondamental de la modernité dans une société d'individus.
Les "risques" ne sont pas démocratiquement partagés. Les industries les plus polluantes sont dans les pays en développement et affectent les plus démunis en moyens d'hygiène et de sécurité, la prévention ou la réparation des dommages.

 

Plutôt que de risques, il vaudrait mieux parler de dommages et de nuisances. Il faudrait proscrire ces nouvelles formes planétaires d'exploitation ou tout au moins imposer aux multinationales des régulations sévères compatibles avec un développement durable. Mise en place d'instances politiques transnationales.

 

Privatisation ou collectivisation des risques

 

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