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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 22:01

CERCLE DES  CHAMAILLEURS
26 mars 2013

 


LE TOURISME, son histoire et son évolution
 

Présentation (Marie-Anne) :

 


A) L’essentiel de ce que je voudrais vous présenter est tiré d’un article intitulé : « Une histoire du tourisme. D'un luxe de riches à un loisir de masse », de Stéphane Lecler  Alternatives Economiques n° 271 – de juillet 2008

 
Les hommes ont toujours voyagé. Migrations de peuplement, conquêtes militaires, échanges commerciaux, pèlerinages religieux mettent en mouvement des hommes et, dans une moindre mesure, des femmes, depuis des temps immémoriaux. Mais les curiosités et l'éventuel plaisir de la pérégrination ne sont alors que des à-côtés du voyage, et non sa raison d'être.
Le tourisme - c'est-à-dire le voyage d'agrément - est apparu à la fin du XVIIe siècle en Angleterre. Les aristocrates anglais ont inventé la plupart des pratiques touristiques actuelles: aussi bien le tourisme culturel que le tourisme thermal; et ce sont eux qui ont "découvert" que la mer et la montagne, des milieux jugés auparavant hostiles à l'homme, lui offraient d'extraordinaires bains de jouvence et terrains de sport.
Quatre siècles plus tard, le tourisme est devenu un loisir de masse. Il provoque les plus importantes migrations que l'humanité ait jamais connues. 898 millions de personnes ont voyagé hors de leur pays en 2007 à des fins touristiques, selon l'Organisation mondiale du tourisme. Et l'arrivée des touristes chinois et des pays émergents devrait encore grossir ces flux dans les prochaines années. Illustration de la mondialisation des mœurs et des échanges. En France, le secteur du tourisme engendre 6,5% du produit intérieur brut (PIB) national. Tout le monde ne part pas pour autant. En France, le taux de départ stagne depuis vingt ans.
Mais au-delà de l'effet de nombre, les motivations de l'homo touristicus contemporain ne diffèrent guère de celles de ses prédécesseurs. Voyages d'initiation ou de découverte, recherche du bien-être, de ressourcement, d'aventure ou de dépaysement: nous suivons le plus souvent des voies bien balisées. En témoigne l'existence des guides touristiques, indispensables compagnons de route du voyageur.
La critique des touristes, ces "pèlerins modernes qu'aucune foi n'anime", selon l'expression du sociologue Jean-Didier Urbain, est d'ailleurs aussi ancienne que le tourisme lui-même. Il lui est reproché, pêle-mêle, sa superficialité, son caractère grégaire, son indifférence aux sites visités, sa négation de l'art du voyage. S'y ajoute aujourd'hui une critique environnementale (destruction de sites naturels, émissions de gaz à effet de serre liées au transport) et politique (marchandisation des sites et des paysages, pratiques néocoloniales vis-à-vis des populations locales). En réaction à ces excès se développent des formes de tourisme alternatives, moins consommatrices et davantage respectueuses des populations et de l'environnement (écotourisme, tourisme social ou solidaire).
Comme tout phénomène social, le tourisme a ses codes. Les destinations se déclinent selon les classes de la société et les saisons, dessinant une géographie sociale sans cesse réinventée. Les destinations touristiques, élues par des précurseurs en quête de distinction sociale, se diffusent ensuite dans la société par imitation et démocratisation, poussant les élites du moment à inventer sans cesse de nouvelles pratiques pour demeurer à l'écart des foules. Dernière illustration du phénomène: pour 200 000 dollars par tête, il est possible depuis 2008 de s'offrir un voyage dans l'espace…


1) A la rencontre des civilisations

La redécouverte des civilisations grecque et romaine à la Renaissance, puis la mise à jour de sites archéologiques (les ruines de Pompéi ont été exhumées à partir du XVIIIe siècle) incitent de jeunes aristocrates anglais à traverser la Manche pour compléter leur éducation au contact des œuvres des grandes civilisations passées et présentes du continent. Leur périple, qui prend le nom de "Grand Tour", les conduit à Paris (la cour du roi de France est alors la plus brillante d'Europe), en Suisse (Genève), dans le sud de la France (Lyon, Vienne, Orange, Nîmes, Le Pont du Gard, Arles) et bien sûr en Italie (Toscane, Rome, Naples, Pompéi). Ce rite de passage à l'âge adulte demeure exclusivement le fait des Anglais pendant près d'un siècle, avant d'être imité par les principales aristocraties du continent.
Le tourisme est né. Mais il demeure pendant plus d'un siècle un phénomène marginal, réservé à une petite élite. Le terme "touriste" apparaît d'ailleurs seulement en 1803 dans la langue française pour décrire, sur un mode péjoratif, "les voyageurs qui ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement" (Littré). Et le célèbre dictionnaire de préciser: "Se dit surtout des voyageurs anglais en France, en Suisse et en Italie." L'incompréhension des autochtones face à ces visiteurs se ressent déjà. Au début du XIXe siècle, près de 100 000 "touristes" anglais traversent la Manche chaque année pour découvrir le continent. Ils seront un million un siècle plus tard.
Après le Grand Tour d'Europe des élites anglaises des XVIIe et XVIIIe siècles, l'avènement du romantisme au XIXe popularise le mythe de l'Orient. Les voyageurs, cultivés, sont à la recherche de sensations fortes et de dépaysement, sources d'inspiration, pour se distraire des mœurs conformistes des sociétés bourgeoises du temps de la révolution industrielle. Les voyages constituent pour ces artistes une alternative aux "paradis artificiels" (usage de drogues) chantés par Baudelaire. Une autre forme de voyage.
L'Orient des romantiques est d'abord localisé sur les rivages de la Méditerranée… Les harems et les secrets d'alcôves des palais (sérail en turc) aiguisent l'imagination d'artistes aussi divers que Mozart (L'enlèvement au sérail), Ingres (Le bain turc) ou Flaubert (Voyage en Orient).
La conquête de la rive sud de la Méditerranée par les puissances coloniales européennes au XIXe siècle ouvre la voie à la découverte du Maghreb. Les artistes romantiques sont séduits par les cités et les architectures orientales: casbahs aux ruelles étroites où se presse un petit peuple d'artisans, et palais aux formes irrégulières rappellent les cités médiévales occidentales transformées par la modernité (au même moment, le Paris médiéval disparaît dans les transformations du préfet Haussmann).
Les artistes romantiques popularisent des destinations que le développement des modes de transport (chemin de fer et navigation) rend accessibles à un plus grand nombre de visiteurs. Le service ferroviaire de l'Orient-Express est créé en 1883 par la Compagnie internationale des wagons-lits pour relier Paris à Constantinople via Munich, Vienne et Budapest, avec des voitures-lits et des voitures-restaurants d'un confort et d'un luxe inégalés. Le succès rencontré conduit à l'extension du réseau au-delà de Constantinople. En 1930, il est possible de se rendre de Paris à Damas, Jérusalem, au Caire ou à Bagdad avec un seul billet de train!
L'afflux de visiteurs déflore l'exotisme de certaines destinations aux yeux des pionniers de la découverte de l'Orient. Lors d'un séjour à Istanbul en 1890, le grand voyageur et romancier Pierre Loti déplore ainsi - thème appelé à une grande postérité - "l'invasion" des touristes: "A l'ambassade de France, ce matin-là, nous sommes au moins 30 convives à déjeuner - tous touristes ! Autrefois, la traversée de la mer Noire les arrêtait encore, mais depuis deux ans avec le nouveau chemin de fer aboutissant au pied du vieux sérail, c'est effrayant ce flot de désœuvrés de l'Europe entière qui vient ici fureter partout. Tous choisis, gens aimables et de bonne compagnie; trop nombreux seulement, tournant à l'invasion, et alors pas décoratifs ici pour des yeux de peintre."
Les agences de voyages, telle celle de l'anglais Thomas Cook, développent l'activité de tour operator et promènent dans toute l'Europe les premiers groupes de visiteurs. Seul motif de satisfaction pour l'écrivain: que le palais de Topkapi soit interdit aux visiteurs ("Et ce lieu, heureusement, ne s'ouvre guère aux visiteurs profanes, n'est pas encore une vulgaire promenade de touristes"). Loti ne pouvait pas savoir qu'il constituerait l'une des principales attractions touristiques de la capitale du Bosphore un siècle plus tard…
Il faut donc aller toujours plus loin chercher l'inconnu. Les paquebots ouvrent les portes de l'Orient lointain. La colonisation de l'Indochine par la France, achevée en 1887, propose une nouvelle destination aux voyageurs épris d'exotisme. Loti, officier de marine de profession, relate dans ses romans la découverte de Tahiti, de la Chine, du Japon, de l'Inde. Chaque escale est associée à des amours avec de belles autochtones, telle la Japonaise héroïne du roman Madame Chrysanthème, qui inspira le compositeur italien Puccini pour son opéra Madame Butterfly.


2) Les vertus de l'eau et le tourisme thérapeutique

Outre l'appel des ruines antiques à l'origine du Grand Tour, les élites anglaises s'approprient un autre héritage antique qui devient le prétexte de nouveaux voyages: le thermalisme.
Au XVIIIe siècle, l'essor des préoccupations hygiénistes et du bien-être physique conduit les classes privilégiées anglaises à redécouvrir les bienfaits des eaux minérales, déjà connus du temps des Romains. Elles créent des lieux luxueux et mondains pour pratiquer ce tourisme thérapeutique. Le discours scientifique atteste des vertus des eaux, qui se prennent de manière codifiée (sous forme de bains, de douches ou de boissons)…
La station belge de Spa, lancée par des Anglais à la fin du XVIIIe siècle,… connaît le succès au point d'en devenir un terme générique désignant les stations thermales et les équipements balnéaires. Les principales monarchies du continent emboîtent le pas à l'Angleterre et fondent leurs propres stations thermales: Baden-Baden près de Stuttgart, Carlsbad et Marienbad en Bohême, Montecatini en Toscane, Aix-les-Bains en Savoie, Luchon et Vichy en France.
Ce tourisme thérapeutique centré sur les vertus de l'eau va transformer la perception de la mer et donner naissance au tourisme balnéaire. Pendant des siècles, les rivages littoraux ont été ignorés, voire redoutés. Les tempêtes et les naufrages venaient régulièrement rappeler le caractère profondément hostile des mers et de leurs rivages, ces "territoires du vide" (Alain Corbin). L'historien Jules Michelet le confirme en 1861: "Ne nous étonnons pas si l'énorme masse d'eau que l'on appelle la mer, inconnue et ténébreuse dans sa profonde épaisseur, apparut comme toujours redoutable dans l'imagination humaine."
Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que le regard se transforme peu à peu, sous l'influence de la médecine. L'Angleterre ouvre, là encore, la voie, avec l'invention des bains de mer vers 1750. Sur le conseil de leurs médecins, de riches Britanniques se rendent à Brighton, une station chic créée sur la côte de la Manche. Ils viennent y éprouver les vertus de l'eau froide, qualifiée par les médecins de "purgative, régulatrice, cicatrisante et calmante". L'immersion de courte durée provoque un afflux de sang stimulant les défenses naturelles et supposé ainsi guérir bien des maux, dont le vague à l'âme (spleen)…
Face au succès, les stations se multiplient en Angleterre et sur les rivages des mers froides du continent. En France, les bains de mer font leur apparition à Dieppe dans les années 1820; la station, devenue la plus réputée du pays, est fréquentée par Charles X, puis Napoléon III. La cité normande est rapidement concurrencée par d'autres stations sur le littoral de la Manche (Granville, Fécamp, Trouville ou Etretat). A partir de 1860, Deauville est créée de toutes pièces sur des terrains marécageux par le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III.
Parallèlement à l'essor des bains de mer, de riches Anglais commencent à fréquenter Nice, alors possession piémontaise, à partir de la fin du XVIIIe siècle. Sur le conseil de leur médecin, ils viennent y soigner leur asthme ou une santé fragile. La célèbre promenade des Anglais perpétue la mémoire de ces précurseurs.
La mer constitue une toile de fond et non le but principal du voyage. Contrairement à ce qui se pratique à la même époque sur les rives de la Manche, il n'est alors pas question de se baigner dans la grande bleue. Les touristes sont surtout attirés par le climat et la végétation, en particulier les cultures florales et les agrumes, de cette French Riviera qui ne prendra le titre de Côte d'Azur qu'un siècle plus tard…
L'hivernage se développe aussi en Italie, en particulier sur la Riviera ligure (San Remo) et toscane, sur la côte napolitaine (Sorrente, Amalfi) et, enfin, en Sicile (Taormine). Au XIXe siècle, la Corse (Ajaccio) et le Maghreb (Alger) viendront s'ajouter à la liste des destinations hivernales recherchées.


3) La découverte de la montagne
A partir du XVIIIe siècle, les aristocrates britanniques (encore eux !) se lancent à la conquête des cimes, puis inventent les sports d'hiver.
Tout comme les bords de mer, les montagnes sont longtemps perçues comme des territoires hostiles. Ces "accidents de la nature" constituent des barrières physiques s'opposant à la circulation des hommes, d'où l'importance des cols, ces rares points de passage entre vallées…
Un changement de perception s'opère là encore à partir du XVIIIe siècle. Les jeunes aristocrates britanniques prennent l'habitude de faire halte en Suisse sur le chemin de leur Grand Tour vers l'Italie. Ils séjournent à Genève, avec son lac et sa vue sur les neiges éternelles du mont Blanc. Ils s'ouvrent à la beauté des paysages, désormais qualifiés de "pittoresques" (littéralement, dignes d'être peints). Les alpages, les torrents impétueux, les cascades deviennent des objets d'admiration. De terribles, les monts deviennent aimables. La mode des tableaux de montagnes témoigne de cette nouvelle perception.
Outre le plaisir de la contemplation, le voyage en Suisse comporte également une dimension spirituelle. Le Genevois Jean-Jacques Rousseau élabore à cette époque une philosophie morale basée sur l'observation de la nature. Il pratique la promenade méditative solitaire comme moyen d'accéder à une sagesse intérieure. La Suisse, terre de liberté et de démocratie cernée par les monarchies continentales, devient le symbole d'une vie simple et pacifique, en harmonie avec la nature.
Le monde des sommets suscite une soif croissante de découverte. L'intérêt pour les curiosités naturelles se mêle à une quête de l'exploit et du toujours plus haut. Le sommet du mont Blanc est atteint en 1786. Les monts "aimables" deviennent "sublimes". Chamonix, Grindelwald (village suisse au pied de la Jungfrau) et Zermatt (point de départ de l'ascension du Cervin) deviennent les capitales d'un nouveau loisir : l'alpinisme. Des autochtones mettent leur connaissance des sentiers et leur résistance physique au service des riches visiteurs qui s'aventurent sur les sommets dans des tenues peu adaptées aux exigences du périple.
L'alpinisme, parce qu'il constitue une activité risquée et extrême impliquant un dépassement de soi, comporte une forte connotation morale qui séduit l'élite britannique. En 1857, l'Alpine Club de Londres est fondé sur le modèle des clubs fréquentés par les aristocrates, avec pour vocation d'inciter les gentlemen anglais à se lancer à la conquête des cimes. Deux tiers des alpinistes du XIXe siècle sont d'ailleurs originaires d'outre-Manche, ce qui est pour le moins étonnant venant d'un pays dont le point culminant atteint tout juste 1 300 mètres. L'Alpine Club britannique est imité sur le continent et le Club alpin français voit le jour en 1874…
La montagne se mue en paradis blanc avec l'apparition des sports d'hiver. Les pays nordiques connaissaient depuis des siècles, par nécessité, les instruments de glisse tels le ski ("planche" en norvégien). Des Anglais transforment cette pratique à partir des années 1890 en activité tournée vers les frissons de la descente grâce à la création de remontées mécaniques. Le "ski alpin" est apparu, en référence au massif qui le voit naître. Ce nouveau loisir permet de faire vivre les stations l'hiver, saison creuse jusque-là…
 Comme pour les autres formes de tourisme, la mode gagne rapidement les élites européennes. En 1914, la famille Rothschild investit dans la création d'une station dédiée aux sports d'hiver à Megève en Savoie, où la haute société se donnera rendez-vous.


4) Tourisme pour tous!
Après deux siècles au cours desquels le tourisme est demeuré un loisir réservé aux classes privilégiées, le Front populaire de 1936 constitue un tournant. La généralisation des congés payés (deux semaines) et, ce qui est complètement inédit, l'encouragement aux voyages (billets de train à tarif réduit) changent la donne. Pour le ministre de l'Education nationale, Jean Zay, "l'homme qui travaille a besoin de se recréer pendant ses heures de loisir. Pour répondre à cette nécessité, le tourisme, qui est une des formes les plus saines et les plus agréables de la vie en plein air, doit être mis à la portée de tous pendant les week-ends et les vacances". Il s'agit d'offrir éducation, bien-être et santé au plus grand nombre et de former la jeunesse par les voyages et les rencontres…
 Dès l'été 1936, ces touristes d'un nouveau genre s'élancent sur les routes de France. 600 000 billets de train de congés populaires sont vendus la première année, près de deux millions en 1937, engendrant un afflux d'estivants dans tout le pays, et en particulier sur la Côte d'Azur et dans les stations balnéaires et thermales les plus réputées. Cela n'est d'ailleurs pas du goût de tout le monde: les revues d'extrême droite ironisent sur l'invasion de prolétaires, qualifiés de "salopards en casquette" ; ils font fuir les classes aisées de leurs lieux habituels de villégiature.
Le tourisme social prend son véritable essor après la Libération, avec la multiplication des structures d'accueil pour vacanciers peu fortunés (campings, villages vacances familles, colonies de vacances, centres de vacances des comités d'entreprise…)…
Des pratiques autrefois élitistes changent radicalement d'image. Ainsi du camping, pratiqué à l'origine par des classes aisées adeptes des sports de plein air. Le matériel est coûteux et le sociologue Pierre Bourdieu voit dans cette tradition héritée du scoutisme un véritable "ascétisme aristocratique". C'est seulement dans les années 50 que ce sport élitiste se transforme en une forme d'hébergement populaire. Le nombre de pratiquants progresse rapidement et 20% des touristes français campent en 1972. Les campings constituent des microsociétés organisées, avec des règles de vie commune et des habitués qui s'y retrouvent tous les ans.
Mais les idéaux communautaires du tourisme social tendent peu à peu à s'effriter sous l'effet de l'individualisme croissant de la société contemporaine (accompagné par la diffusion de l'automobile) et du désengagement des pouvoirs publics. Le destin récent de Villages Vacances Familles (VVF) et du Club Méditerranée témoigne de cette évolution. VVF a été fondé en 1958, en partenariat avec la Caisse des dépôts, les Caisses d'allocations familiales et les comités d'entreprise. Cette association à but non lucratif, qui a géré jusqu'à 100 villages proposant des hébergements bon marché, a traversé une grave crise à la fin des années 90. Elle a été depuis transformée en société anonyme et démantelée avec privatisation d'une partie des villages.
Le destin du Club Méditerranée est tout aussi édifiant. Le Club au trident est créé en 1950, également sous la forme d'une association à but non lucratif. Il propose des séjours sportifs dans une ambiance festive abolissant les différences sociales et l'argent (on paie en coquillages), immortalisée par le film Les bronzés. Devenu entre-temps une société privée, il se repositionne aujourd'hui sur le créneau des vacances de luxe pour une clientèle haut de gamme…
Le tourisme bon marché ne disparaît pas pour autant. La libéralisation des transports a conduit à l'apparition d'une offre à bas prix (tel le low cost aérien), très prisée des voyageurs aux budgets serrés. En matière d'hébergement, la diversification de l'offre voit également l'apparition de produits ciblant les clientèles contraintes (chaînes type Formule 1). Produits standardisés, service réduit au minimum, localisations peu attractives : l'esprit militant du tourisme social a été remplacé par l'optimisation du rapport qualité/prix.
Le voyage pour tous demeure pourtant un enjeu. Le taux de départ en vacances est en recul, après avoir plafonné à 75% de la population française. 15% des ménages réalisent plus de 50% des voyages et ceux qui ne voyagent pas invoquent, dans 40% des cas, des raisons financières.
Dans le monde profondément mobile d'aujourd'hui, ne pas voyager constitue un motif d'exclusion qui vient souvent s'ajouter à d'autres difficultés. Il est également probable que la baisse continue des coûts de déplacement depuis cinquante ans viendra à s'inverser dans le contexte nouveau de raréfaction de la ressource pétrolière et de montée des préoccupations environnementales….

5) Vers l'hédonisme de masse
Le tourisme sur la Côte d'Azur et dans les stations de Méditerranée ne concerne pendant longtemps que la saison d'hiver. La mer n'y constitue qu'une toile de fond du paysage. La situation évolue après la Première Guerre mondiale. Des artistes américains de la Génération perdue installés en France (Hemingway, Scott Fitzgerald) investissent dans les années 20 la petite cité de Juan-les-Pins près de Cannes, où ils se rendent désormais l'été. La mode est lancée. Il faudra toutefois attendre les Trente Glorieuses pour que s'impose la saison d'été et que la saison d'hiver disparaisse complètement.
C'est la trilogie sea, sand and sun (mer, sable et soleil), devenue sea, sex and sun après la révolution sexuelle des années 60 chantée par Serge Gainsbourg.
La mise en valeur du corps est encouragée par l'apparition de vêtements adaptés: le maillot de bain collant, qui sculpte les formes corporelles et tend à se réduire au fil du siècle, du mono au bikini jusqu'au string. Coco Chanel, la créatrice de mode, défraie la chronique en s'exposant nue sur la Riviera dans les années 20.
Cette époque marque les débuts de l'héliotropisme, autrement dit la quête du soleil. Ce que résume à sa manière l'écrivain Colette, qui achète une maison à Saint-Tropez dans les années 30… Le bronzage, depuis toujours dénigré comme signe distinctif des agriculteurs passant leurs journées à travailler sous le soleil, devient désirable en tant que témoignage des vacances réussies et mise en valeur du corps…
La fréquentation de la Côte d'Azur monte en flèche (et se poursuit aujourd'hui: 62 millions de nuitées en 2006, dont 52% de touristes étrangers), provoquant une congestion croissante des routes et une fièvre immobilière qui a entraîné une urbanisation à outrance et chaotique de sites aux qualités paysagères exceptionnelles. Pour décongestionner la Côte d'Azur, l'Etat aménage donc, dans les années 60, le littoral languedocien et crée de toutes pièces des stations comme La Grande-Motte ou Port-Barcarès. Censées répondre aux besoins des classes moyennes, elles offrent en masse des hébergements standardisés pour clientèles familiales.
L'Etat gaulliste aménageur se lance à la même époque dans l'équipement de la montagne, avec pour objectif d'offrir au plus grand nombre les plaisirs des sports d'hiver et de faire du pays la première destination au monde pour le ski alpin. Le plan neige des années 60 multiplie les stations intégrées en altitude, avec présence d'immeubles au pied des pistes. En trente ans, plus d'un million et demi de lits sont créés dans les montagnes françaises, dont les trois quarts dans les Alpes du Nord…
 En dépit de ce développement rapide, les sports d'hiver demeurent toutefois des vacances onéreuses (forfaits, location de matériel, hébergement). Ils touchent donc une clientèle beaucoup moins nombreuse que le tourisme estival. Le taux de départ aux sports d'hiver des Français stagne à moins de 10% de la population depuis vingt ans.


6) Le monde à portée de main
L'histoire du tourisme est étroitement liée à celle des moyens de transport. Plus de la moitié des kilomètres parcourus chaque année par les Français le sont aujourd'hui pour des motifs touristiques et de loisirs.
…l'état des routes s'améliore progressivement à partir de la Renaissance, mais les voyages en diligence demeurent longs - cinq jours entre Lyon et Paris - et inaccessibles aux bourses modestes.
L'apparition du chemin de fer au XIXe siècle révolutionne les conditions de déplacement et permet l'essor du tourisme. Les durées de parcours sont divisées: Lyon est désormais à moins d'une journée de Paris à partir de 1857. Toutes les grandes stations touristiques sont desservies par des gares, condition de leur viabilité. Le développement rapide du réseau ferré est porté par des sociétés privées, dans lesquelles investissent les grandes fortunes du pays et les principales banques. Né dans les années 1830, le réseau ferré français compte près de 40 000 km de lignes au tournant du siècle, organisées selon un plan en étoile permettant d'atteindre facilement tout point du territoire depuis Paris.
Les compagnies de chemin de fer investissent dans l'hôtellerie - exemple d'intégration industrielle horizontale visant à tirer profit des synergies commerciales. Certaines se lancent dans l'aménagement de stations touristiques desservies par le train. Arcachon est ainsi aménagée dans les années 1850 par la société bancaire des frères Péreire qui possède la ligne de chemin de fer la reliant à Bordeaux. Les compagnies de chemins de fer recourent abondamment à la publicité vantant les vertus du tourisme avec des affiches mettant en scène les somptueux paysages offerts aux voyageurs.
Le XXe siècle voit l'essor de la route. Avant d'être le royaume de la voiture, elle se parcourt à vélo. D'abord accessoire ludique pour dandies, la bicyclette ne se développe qu'à partir des années 1880 avec l'apparition des pédales, qui permettent de parcourir des distances accrues, et des pneumatiques, qui en améliorent le confort. Elle se mue alors en moyen de transport à plus long cours. C'est l'âge d'or du cyclotourisme, apanage des milieux aisés - une bicyclette vaut alors un an de salaire de l'ouvrier qui la fabrique…
En 1890, des cyclotouristes fondent le Touring club de France (TCF) sur le modèle du Cyclist's Touring Club britannique. Le TCF, qui comptera jusqu'à 700 000 adhérents, d'abord cyclistes puis automobilistes, exerce un lobbying actif auprès des pouvoirs publics et contribue à la transformation de l'espace national en espace de loisirs. Le TCF s'investit dans l'aménagement de routes - dont certaines voies de montagnes vertigineuses -, il finance le premier goudronnage de chaussée en 1905, édite des guides d'hôtels, participe aux instances de protection des sites naturels et organise le premier concours des villages fleuris.
Le cyclotourisme connaîtra son heure de gloire avec les classes populaires lancées sur les routes de l'été 1936, avant d'être détrôné par l'automobile. La bicyclette deviendra alors le mode de transport local des ouvriers et des enfants pendant près de cinquante ans, avant de connaître un spectaculaire retour en grâce depuis les années 90.
Quant à l'automobile, il s'agit également, dans un premier temps, d'un loisir sportif réservé à l'aristocratie - le pays compte moins de 3 000 voitures en 1900. Elle devient un véritable mode de transport après la Première Guerre mondiale, grâce à l'amélioration du réseau routier et des fonctions support (réparateurs, stations essence, indications routières), ainsi qu'à la réduction des coûts de fabrication, qui ouvre la voie à sa démocratisation.
La croissance du parc automobile s'accélère sous les Trente Glorieuses, rendant nécessaire l'adaptation du réseau routier afin de réduire les temps de parcours, d'améliorer la sécurité (16445 tués en 1970, 3645 en 2012 sur les routes de France) et d'accroître la capacité. Les routes nationales, dont la célèbre RN7, la route des vacances menant vers le Midi et chantée par Trénet en 1955, sont remplacées par les autoroutes, plus rapides et plus sûres.
La démocratisation de l'avion depuis les années 70, sous l'impact notamment des compagnies charter et plus récemment des low cost, constitue une nouvelle étape pour le développement du tourisme. Comme le train un siècle plus tôt, les principales régions touristiques consentent des investissements importants pour disposer d'un aéroport relié au plus grand nombre de destinations possibles. L'aéroport de Nice-Côte d'Azur est ainsi devenu la deuxième plate-forme aéroportuaire de France. La fin du pétrole bon marché et la nécessaire prise en compte de l'impact du voyage aérien - dont le carburant est exempté de toute taxation - sur le réchauffement climatique seront-ils de nature à changer la donne?

 

B) A ces aspects du tourisme, je voudrais ajouter 2 éléments complémentaires :

 

1. L’impact du terrorisme sur le tourisme (D’après le site de François-Bernard Huygues, le 23 février 2011)

Que le terrorisme représente un défi majeur pour le tourisme et qu'il ait des conséquences en chaîne sur une des premières activités économiques de la planète est évident. Il existe une très abondante documentation sur l'impact financier des attentats. On connaît la chaîne de leurs conséquences pour la richesse d'un pays d'accueil… Sans parler des avions qui explosent, des bateaux capturés...
Terrorisme et tourisme sont paradoxalement deux aspects de la mondialisation. Mais leur relation n'est pas qu'économique.

- l'impact psychologique d'un attentat dans un pays sur la peur des touristes et sur sa fréquentation est sans commune mesure avec le risque statistique réel pour les visiteurs (certainement très inférieur au péril de noyade, d'accident de voiture ou de maladie exotique mortelle) et que tout est affaire de perception médiatique et psychologique.
- il existe inversement des pays où le terrorisme fait de nombreux morts, voire où se déroule une guerre civile sanglante (exemple du Sri Lanka), sans que les touristes, toujours nombreux, aient vraiment l'impression que cela les concerne…
- le fait de viser des touristes, des hôtels, des moyens de transport (avions, bateaux, bus), des grands rassemblements cultuels ou sportifs, de lieux où circulent des gens de toutes nationalités, n'a rien de spécifiquement islamique et ces pratiques remontent au terrorisme russe de la fin du XIX° siècle, comme l'attentat kamikaze ou le choix comme victimes de simples passants ne sont en rien une nouveauté ou un monopole des jihadistes…

L'attentat a une dimension stratégique : comme à la guerre, il s'agit de faire plier la volonté d'un adversaire armé…
L'attentat a une dimension tactique : ce n'est pas par hasard que les terroristes frappent depuis plus d'un siècle les véhicules, les vecteurs de transport et de communication, les lieux de rassemblement d'une population changeante, mobile, parfois socialement à l'aise et souvent cosmopolite (comme un hôtel, un théâtre, un hall d'aéroport)…
Enfin troisième dimension : la valeur "symbolique" de la cible touristique. Elle est symbolique au sens le plus simple où elle "représente" autre chose qu'elle même : le touriste devient le signe de l'étranger, du cosmopolitisme, de la globalisation, du capitalisme sans frontière, de son pays présumé impérialiste, de l'exploitation des populations pauvres, de la débauche des Occidentaux, de la guerre des civilisations etc.

 

2) L’influence de « la crise » sur le tourisme (d’après Le Parisien  du 26.09.2012)
"Contre toute attente, le secteur touristique a réussi à s'adapter à la crise économique", explique dans un entretien Taleb Rifai, secrétaire général de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT).
Le tourisme avait été frappé de plein fouet par la crise en 2008, son rythme ralentissant de 2,1%, avant de vivre en 2009 "sa pire année depuis 60 ans" selon l'OMT, avec une chute de 3,8% des arrivées de touristes.
Il a rebondi de 6,6% en 2010 puis progressé de  5% en 2011 (et on prévoit une croissance de près de 4% en 2012), alors que la crise ne semble, elle, pas près de finir.
« La seule bonne nouvelle en provenance de l'économie vient du tourisme très flexible, qui s'adapte bien aux circonstances », se réjouit Taleb Rifai, secrétaire de l'OMT, un organisme qui dépend des Nations Unies et dont le siège est à Madrid.
Malgré la crise, "le tourisme fait partie du style de vie, on ne peut pas y renoncer": les difficultés économiques "vont changer la façon de voyager, les gens vont chercher des offres moins chères, mais ils continueront à voyager", assure-t-il.
 "Cela veut dire que l'on atteindra en novembre ou en décembre 2012 le chiffre historique d'un milliard de touristes internationaux", ajoute-t-il.
 Avec quelque 235 millions d'emplois, le secteur compte pour 5% du PIB mondial. (AFP)

 

 

Résumé de la discussion (Paul) :


- La discussion porte essentiellement sur la définition du «tourisme» qu'il ne faut pas confondre avec voyage ou vacances... même si le tourisme implique des voyages et du temps libre. Ni avec exploration ou aventure...
Ce sont les Anglais, des aristocrates anglais, qui avaient du temps libre pour voyager qui ont inventé le tourisme occidental (l'article porte essentiellement sur le tourisme français). . Mais tous les voyageurs et toutes les personnes en vacances ne font pas du tourisme.
- On peut définir le tourisme comme «l'art de voyager à la découverte des pays, des personnes, des paysages.»  A partir de là, de multiples formes de tourisme peuvent être envisagées.
Tout voyage n'est pas seulement touristique. Mais à partir de cette définition du tourisme, on peut en répertorier de multiples formes et des degrés différents dans les voyages.
Différentes formes de tourisme : littéraire (« étranges voyageurs ») ou culturel (visite de musées ou de sites comme la Sainte Victoire) ou historique ou religieux (des laïques vont sur les chemins de Compostelle sans être nullement religieux) ou politique ou sexuel ou sportif ou thermal ou d'aventure ....
- Certains voyages qui ne sont pas des voyages officiellement touristiques comprennent une part de tourisme dont l'importance varie suivant les circonstances : voyages d'affaires, de congrès, d'études....qui peuvent être complétés par une partie touristique quelquefois si importante que l'objet officiel du voyage n'en est que le prétexte.

- Le tourisme a beaucoup évolué des aristocrates anglais au tourisme de masse, dans sa forme (du camping au Palace), ses lieux (à l'intérieur ou international, campagne, mer, montagne), ses moyens (à pied, en roulotte, à bicyclette, en voiture, en avion, en bateau du voilier à la croisière)...:

- Le tourisme a changé la perception d'un certain nombre de choses qui ont été «apprivoisées», la mer ou la montagne qui hier terrifiaient le terrien moyen, sont aujourd'hui devenues des lieux et des paysages recherchés.
Il a même changé la perception de la beauté ou la santé, la peau ne doit plus avoir sa blancheur hivernale car un bronzage de bon aloi témoigne de vacances ensoleillées, heureuses, dans lesquelles le tourisme peut-être réduit à sa plus simple expression.

- La discussion n'a pas du tout abordé les questions économiques, ni les questions politiques pourtant annoncées dans la présentation de l'exposé.
Dans la présentation de l’exposé, ce qui était annoncé par Marie-Anne, c’était un complément sur l’influence du terrorisme et de « la crise » sur le tourisme et non les questions économiques et les questions politiques en rapport avec le tourisme qui sont beaucoup plus larges même si ces compléments en font partie.

 

 

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