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27 novembre 2012 2 27 /11 /novembre /2012 16:37
CERCLE DES CHAMAILLEURS
     
  « Le livre, le numérique »

Mardi 9 octobre 2012

 

Présentation par Michel

 

Dans la revue Le débat (n°170, mai-août 2012) consacré à ce thème, j’ai sélectionné 5 articles (sur les 22 de ce numéro) qui portent notamment sur la politique du livre et sur les transformations entraînées par le développement du numérique et leurs conséquences sur les différents métiers de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs et libraires) mais aussi sur les lecteurs eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une synthèse de ces articles mais d’une présentation successive .des idées-clés des cinq auteurs.

 

1. Un combat pour le livre (Hervé Gaymard)

 

« Nous vivons une période de « grande transformation » sans doute aussi importante que  la révolution de Gutenberg et la naissance de l’édition moderne au XIXème siècle…
La lecture numérique, plus séquentielle, parcellaire, indexée, utilitariste, fragmentée, va forcément modifier notre façon de penser et d’appréhender une œuvre…
Comme le disait Malraux dans son discours de 1968 sur la crise de civilisation : « Nous ne sommes pas les Romains plus les machines, nous sommes des Romains transformés par les machines que nous avons inventées. »

« Le trentième anniversaire de l’entrée en application de la loi du 10 août 1981 relative au prix unique du livre, portée par Jack Lang, et votée à l’unanimité, est l’occasion de redire qu’elle reste pertinente, y compris à l’ère d’Internet et qu’il serait imprudent de la réformer…C’est une véritable loi de développement durable, à la fois culturelle, économique et territoriale… »

« Le livre papier va-t-il disparaître, évincé par le livre numérique ? Evidemment non. Jamais, dans l’histoire de la transmission de la connaissance, un nouveau truchement n’a chassé l’ancien…
Aujourd’hui, en Europe, la part du numérique représente au mieux 1 à 2 % du marché. Aux Etats-Unis, on approche les 10 %.
Selon les experts – mais ils se trompent souvent -, le numérique devrait représenter à terme un tiers du marché.
Dans cette nouvelle géographie des vecteurs de transmission, on n’est pas à l’abri de surprises. Ainsi, on pouvait penser que les guides de voyage et les livres de recettes de cuisine seraient tués par internet…or ce n’est pas le cas…Le domaine des sciences humaines peut profiter de ce nouveau vecteur, par la publication sous forme numérique d’œuvres exigeantes, impubliables sous une forme papier pour d’évidentes raisons économiques… »

…la géographie des métiers de la chaîne du livre va changer. Certains vont disparaître. D’autres vont muter. Et de nouveaux métiers devraient apparaître.
Les imprimeurs seront les premiers impactés.
L’auteur, l’éditeur et le libraire vont connaître d’intenses mutations.

H. Gaymard considère que le droit des créateurs est un préalable « irréfragable » (c’est-à-dire auquel on ne peut s’opposer). Et c’est pourquoi, dit-il, « le procès intenté par l’Authors Guild, la guilde des auteurs américains, et cinq grands éditeurs contre Google a été emblématique…certains éditeurs français, ainsi que la Société des gens de lettres et le gouvernement français, ont fait de même…Google avait en effet entrepris une numérisation sauvage de toutes les œuvres, y compris celles sous droits d’auteur…une solution transactionnelle a (finalement) été trouvée avec certains éditeurs comme Hachette et La Martinière.

 

H. Gaymard propose la feuille de route suivante :

 

« 1) Sauver la librairie française : « Par sa densité territoriale (il y a plus de librairies en France que dans tous les Etats-Unis…) et la qualité de ses professionnels, la librairie française est unique au monde. Mais, si rien n’est fait, cela risque de n’être qu’un souvenir. Des marges très faibles, une rotation lente des stocks, la concurrence de la vente du livre papier par Internet, l’augmentation des loyers en centre-ville concourent à fragiliser la situation des libraires…Tout le monde doit être conscient, notamment les éditeurs, y compris à l’ère numérique, que les libraires sont indispensables…(notamment) parce que la fonction de conseil, face à la profusion du choix, sera encore plus essentielle à l’avenir qu’aujourd’hui. »
Parmi les mesures qu’il propose :
- peut-être interdire la gratuité du port (pratiquée par exemple par Amazon).
- développer un nouveau concept de librairies, lieux de conseils, de débats, de loisirs, de convivialité. (Dans un autre article de la revue, à la question posée à Erik Orsenna : « Les libraires ont-ils raison d’être inquiets pour leur avenir ? », celui-ci répond : « Les libraires, non, les vendeurs de livres, oui. »).
- les éditeurs et les imprimeurs doivent décider que les libraires soient la porte principale d’entrée de l’impression à la demande

 

2) Développer l’impression à la demande : car ce procédé d’impression « va permettre de rendre disponibles des œuvres épuisées, mais aussi des œuvres originales, notamment dans le domaine des sciences humaines ».

 

3) Développer le marché du livre numérique : pourquoi le marché ne décolle-t-il pas en France ?
L’auteur évoque l’inadaptation des outils de lecture mais les liseuses de dernière génération sont de plus en plus conviviales et performantes.
D’après lui, une autre cause est à rechercher dans la rétention d’offre des œuvres du domaine français.
Il faudrait également que les éditeurs baissent le prix des livres numériques.

 

4) Développer la lecture publique (=ensemble des fonctions assurées par les bibliothèques publiques) : qui, d’après Gaymard, a connu une belle progression ces dernières années, notamment grâce aux médiathèques.

5) Adapter le droit d’auteur à l’ère numérique : car « la loi du 11 mars 1957 qui régit le droit d’auteur n’est pas applicable, dans maintes de ses dispositions, à l’univers numérique ».
Et, « un certain nombre d’auteurs souhaitent que soient signés des contrats séparés pour l’exploitation numérique de leurs œuvres. »

Pour conclure, il estime que, « à l’instar de ce que Malraux disait du cinéma, le livre est, plus que jamais, aussi une industrie ».


2. Le livre dans l’économie numérique  Quelle politique ?
(Jacques Toubon)

 

J. Toubon cite la proclamation de Jacques Delors : « La culture n’est pas une marchandise ».
 « Le réseau Internet est maintenant en situation d’oligopole autour de quatre fournisseurs majeurs de terminaux et de logiciels, Amazon, Apple, Google et Microsoft…Le premier enjeu de cette domination concerne le droit d’auteur. Parce que les systèmes juridiques sont différents et que notre attachement au droit moral des auteurs est loin d’être universellement partagé. »
Mais, ce qui l’a le plus alarmé et choqué, c’est l’attitude des Européens.
« Le régime européen de la TVA connaît dans 24 pays sur 27 l’absurdité de la divergence entre des taux réduits sur le livre papier et des taux normaux sur le même livre mis à disposition par un service en ligne…Enfin, s’agissant de la fiscalité directe, l’impôt sur les bénéfices, les groupes américains ont installé leur domicile fiscal là où cet impôt est le moins élevé, en Irlande ou à Jersey. »
De son côté, « l’Union européenne tarde à réaliser ce qu’elle nomme son « agenda numérique ».

 

3. La lecture régulière de livres : un recul ancien et général
 (Olivier Donnat)

 

« L’enquête « Pratiques culturelles des Français » que le ministère de la Culture mène régulièrement depuis le début des années 1970 » (en1973, 1981, 1989, 1997 et 2008) a notamment mis en évidence « que le profond renouvellement que connaissent aujourd’hui  les pratiques culturelles s’inscrit  pour une large part dans le prolongement de tendances à l’œuvre depuis plusieurs décennies.

Les résultats des enquêtes incitent « à résister à la tentation de lire l’ensemble des mutations actuelles à l’aune exclusive de la révolution numérique. » Et, ceci pousse «  à voir  dans la diffusion massive d’Internet et des ordinateurs, consoles de jeux, téléphones multifonctions et autres tablettes ou liseuses une nouvelle phase d’un mouvement au long cours entamé au tournant des années 1960 : la montée en puissance de la culture d’écran au détriment de la culture de l’imprimé. »

Donnat rappelle qu’il n’a jamais été facile de parler de la lecture au singulier dans la mesure où il s’agit de « la plus polymorphe des pratiques culturelles ».
« Comment appréhender la lecture dans le monde numérique où les textes sont agencés de manière radicalement différente du fait de l’existence de liens hypertextes et sont, de surcroît, associés à d’autres contenus (vidéos, musiques, etc.) ? »
A la lecture des chiffres, il apparaît que « pour un niveau de diplôme donné, l’intérêt des Français pour le monde des livres est aujourd’hui nettement inférieur à ce qu’il était trente-cinq ans auparavant. » On observe aussi une baisse de la quantité de livres lus.

De plus, «  la lecture régulière de journaux (payants) a régulièrement perdu du terrain. »

L’ampleur de la baisse « a été nettement plus importante dans les rangs masculins, ce qui s’est traduit par une féminisation du lectorat. »
La féminisation du lectorat « est particulièrement sensible dans le cas des romans car les hommes, quand ils sont lecteurs, préfèrent les livres d’histoire, les bandes dessinées et les livres scientifiques et techniques : les femmes sont trois fois plus nombreuses que les hommes à lire des romans autres que les romans policiers. »
« Cette accentuation du caractère sexué du rapport au livre est sensible chez les ouvriers et les employés, où le décrochage masculin a été particulièrement marqué ces dernières années, mais elle n’épargne pas les milieux favorisés. »

En ce qui concerne l’âge, « les 15-24 ans étaient au début des années 1970 les plus nombreux à lire des livres (et à en lire beaucoup) et le restent aujourd’hui. Il est faux, par conséquent, de dire – comme on l’entend souvent -  que les adolescents d’aujourd’hui lisent moins que leurs parents ou grands-parents…. ; de leur côté, les personnes de soixante ans et plus comptent plus de lecteurs que leurs prédécesseurs de 1973... »

Les résultats « indiquent un certain recul de la lecture de romans et une progression de la lecture de consultation » rendue plus facile par les nouvelles technologies.
D’autre part, « il semble difficile de ne pas mettre la baisse de la lecture de livres en relation avec les transformations du système scolaire. » C’est ainsi que « le recul de l’enseignement des humanités et la prépondérance de plus en plus marquée des filières scientifiques ont entraîné un certain délitement du rapport privilégié que les élites françaises entretenaient avec la culture littéraire ».

 « On ne lit pas un texte sur un ordinateur (et plus encore sur un téléphone portable) de la même manière qu’on lit un livre : les dispositifs dont bénéficie le lecteur sur écran permettent de sauter d’un texte à l’autre et favorisent les lectures fragmentées, discontinues, tournées vers la recherche rapide d’informations, au détriment de la lecture linéaire de textes exigeant une attention soutenue et continue. »

Enfin, dans un tel contexte et devant une telle évolution, « comment ne pas s’interroger sur l’avenir de la littérature ? »


4. La métamorphose du lecteur (Pierre Assouline)

 

 « Que l’on s’en réjouisse ou  s’en lamente, il faut s’y faire : on n’écrira plus, on ne lira plus, on n’éditera plus tout à fait comme avant ».

Il ne manque pas de pessimistes « pour affoler les masses lettrées sur la mort prochaine du livre » … et certains écrivains « sont les premiers à sonner le tocsin ». C’est le cas de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco « dans un livre à deux voix au titre pathétique N’espérez pas vous débarrasser des livres. Comme si c’était la vocation de l’Homo connecticus ! » précise Assouline. Il est vrai que la consommation de papier dans l’édition de livres baissera de 52% d’ici à 2020 aux Etats-Unis d’après une projection. »

« La cérémonie de l’adieu au papier, telle qu’elle se manifeste régulièrement sous la plume des meilleurs intellectuels, est un spectacle aussi déchirant qu’anachronique. »… « Pourtant, on ne change pas de contenu : on glisse simplement d’un support à un autre. »
Pour Assouline, « il est très contestable d’assurer que le papier est plus favorable à l’intelligence d’un texte que ne l’est l’écran. Ne serait-il pas temps de désacraliser le papier ?

« Etrange la façon dont ses détracteurs dénoncent l’addiction à Internet comme s’ils n’avaient jamais entendu parler  de l’addiction à la lecture dans le siècle qui les a vus naître. »
Un écrivain américain, Jonathan Franzen, « est encore plus pessimiste : il voit dans l’e-book un instrument à corrompre les valeurs en raison de son caractère fugitif, éphémère, volatil…Dans sa phobie d’Internet, Franzen englobe tout : e-book, Facebook, Twitter ».
Quant à Yann Moix, « de l’excès il a probablement voulu faire un des beaux-arts en appelant les lecteurs à l’ « e-todafé », très précisément au brûlage des liseuses ».

Selon Assouline, « les rares ouvrages consacrés à l’univers du numérique qui tiennent la distance sont les essais à connotation philosophique tels ceux de Milad Doueihi », comme dans son ouvrage La Grande Conversion numérique. L’auteur, « qui n’est pas un numéricien, reconnaît avoir d’abord fait l’apprentissage de l’amitié et de la convivialité en découvrant le réseau. (Par ailleurs), il lui est apparu que cette conversion, contrairement aux autres, n’impliquait aucun reniement ; même s’il l’ignore, le monde numérique est selon lui foncièrement lettré. »
Doueihi rappelle le vers de René Char qu’il a placé en épigraphe de son livre : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».

Assouline rapporte également que Doueihi consacre l’ « humanisme numérique »  comme « le quatrième humanisme  à la suite de ceux décrits par Claude Lévi-Strauss : aristocratique de la Renaissance, bourgeois et exotique du XIXème siècle, et démocratique du XXème siècle ».

Pour Assouline : « Reste encore à imaginer quelles sortes d’humanités la civilisation numérique s’apprête à créer ».
Il parle aussi des ratés de la technique et rappelle un incident « du plus mauvais goût » survenu en 2009 et pour lequel « Jeff Bezos, le fondateur et P.D.G. d’Amazon, la plus grande librairie en ligne, « avait dû présenter des excuses publiques à ses clients…Il s’agissait de 1984 et de La Ferme des animaux de George Orwell. Ou, plus exactement, de leur pulvérisation à distance. En effet, ces deux classiques modernes étaient téléchargeables sur le Kindle, liseur électronique commercialisé par Amazon…Mais lorsqu’il s’est avéré qu’elle n’en détenait pas les droits numériques…Amazon a purement et simplement annulé ces livres chez ceux qui les avaient déjà achetés on ne peut plus légalement et qui étaient en train de les lire et de les annoter. Détruits à distance ! Ce qui a ramené leurs propriétaires au dur constat de cette dure réalité : téléchargés, les livres ne sont jamais que des fichiers … et ceux qui avaient écrit des commentaires sur leurs exemplaires virtuels d’Orwell y ont perdu leurs notes en marge…Big Brother est plus que jamais watching you » !

« La lecture sur écran va nous rendre moins respectueux de l’écrit ; ce qui apparaissait autrefois comme « gravé dans le marbre » est désormais trop fluide, inconstant, en un mot : manipulé ; en migrant du papier vers l’écran, l’écriture perd de son caractère intangible.»
Le plus grand effort exigé des sceptiques est d’«apprendre à dissocier le livre du texte qu’il contient…Entre eux, les professionnels américains du livre parlent d’ailleurs de moins en moins de book ( livre ) et de plus en plus de content ( contenu ). »
Assouline estime que « c’est une plus grande révolution que celle de Gutenberg, où l’on était passé du papier au papier, alors que l’on passe là du papier à l’immatériel, et que celui-ci offre la solution à deux des problèmes du lecteur contemporain (l’encombrement et le nomadisme), résolus ensemble par la seule liseuse. »
Cependant, « le flux sera vraiment l’avenir du livre le jour où le livre sur écran se débarrassera véritablement de cet héritage en cessant de singer le livre traditionnel par une simple métamorphose en format PDF ; un tout nouveau contrat  entre l’auteur et le lecteur est à établir, qui tienne compte du caractère mouvant et interactif du support. »

Pour Assouline, il faut faire confiance à la « plasticité neuronale » des lecteurs. « Il n’y a pas de différence entre lecture sur papier et lecture sur écran d’un point de vue neurologique, ce sont les mêmes zones cérébrales qui sont activées, si l’on en croit Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive et ergonomique à l’université de Nice Sophia-Antipolis. »

« Les gens s’adapteront, comme ils se sont adaptés en passant du cinéma muet au cinéma parlant ; il y aura deux marchés, celui du livre fonctionnel (dictionnaires, manuels scolaires, guides de voyage et surtout encyclopédie telle l’Encyclopedia Britannica, créée en 1768, qui vient juste d’annoncer l’abandon de sa traditionnelle édition en trente-deux volumes pour n’être plus consultable qu’en ligne) et le livre plaisir ; mais, entre le livre papier devenu un objet de luxe et le livre numérique, il n’y aura plus de place pour le livre de poche, seule victime annoncée. »

Mais, est-ce la faute à l’écran ? Pour Oliver Larizza, la vraie menace se trouve ailleurs : « Ce qui tuerait le livre ce n’est pas l’e-book mais l’exode, la migration des talents vers d’autres formes d’expression multimédia et non plus textuelles. »

Pour Assouline, le lecteur a conscience que le numérique est d’ores et déjà une civilisation.

Il mentionne à la fin de son article que Google caresse le projet d’une grande bibliothèque d’inspiration ptoléméenne sur le modèle de l’ancienne Alexandrie !


5. Le livre et son double Réflexions sur le livre numérique
 (Françoise Benhamou)

 

Les e-books qui représentaient à peine 0,6 % du marché en 2008 aux Etats-Unis, en représentaient 9,4 % en 2011. » C’est ainsi qu’à l’été 2011, Amazon a vendu 242 e-books pour 100 livres papier.
« En Europe, et singulièrement en France, le marché demeure très faible, souffrant de deux handicaps : des prix élevés et un catalogue insuffisant. »

Le livre numérique reste un « objet mal identifié » et ne saurait se résumer au texte numérisé.
« Le livre numérique ne saurait (en effet) être pensé comme un simple produit dérivé du livre papier. Il peut être « augmenté » ou enrichi par des liens, des séquences interactives, des images fixes ou animées, du son, et se transformer en un objet hybride (on évoque même l’idée d’un « service ») dont le nomadisme devient celui de sa forme même. Le livre cesse d’être un objet clos disposant d’un début et d’un point final. Consultable sur un support dédié (la liseuse…) ou banalisé (ordinateur, smartphone, tablette, tel l’iPad, console), le contenu s’émancipe du support unique auquel il était attaché ; la lecture rompt avec la linéarité imposée par le papier…La mise en page devient malléable et, en grossissant la police de caractères, le lecteur s’autorise une intervention a minima qui n’est que le premier pas d’une relation nouvelle avec l’œuvre.

Allons-nous vers la fin de l’éditeur traditionnel ? La fonction éditoriale sera-t-elle portée par les mêmes acteurs ? Rien ne le démontre…Un processus de désintermédiation peut s’enclencher, portée par la liberté nouvelle de l’auteur qui s’émancipe de sa relation avec l’éditeur, Internet facilitant la publication. Certains se prêtent même au « rêve de l’auto-édition. »

Complément : articles récents concernant l’auto-édition  (M Le magazine du Monde, 22 septembre 2012) :

La guerre des best-sellers  :
Cinquante nuances de Grey (par E.L. James de son vrai nom Erika Leonard, britannique), un ovni littéraire d’abord auto-édité sur le Net puis vendu à 40 millions d’exemplaires grâce aux réseaux sociaux (essentiellement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne).
Ce livre, surnommé « du porno pour maman », est une romance à l’eau de rose pimentée de scènes de sexe explicites à caractère sadomasochiste.

Le Web, eldorado de l’apprenti écrivain ?
Les auteurs en herbe peuvent désormais publier leur prose en quelques clics.
« Sur les écrans tactiles, les thrillers sentimentaux ou policiers et les récits de science-fiction séduisent. D’autres plumitifs, moins fervents de romance, profitent de la tendance pour publier leur thèse universitaire, une compilation de recettes ou un album de famille.
Sur le Kindle Direct Publishing d’Amazon, tous ces téméraires tapent leur nom, le titre de leur ouvrage et un résumé de ce dernier. Puis téléchargent leur fichier avant de fixer leur prix de vente. Le tout gratuitement. Pour un livre vendu entre 3 et 10 euros, des tarifs attractifs par rapport à ceux pratiqués pour le format papier, le géant de l’e-commerce culturel reverse aux auteurs 70 % de la somme. L’équivalent de ce qu’ils gagneraient  en librairie pour un livre à 20 euros.
Amazon et ses concurrents n’interviennent pas dans le contenu littéraire. « Nous ne sommes pas un éditeur et nous l’assumons », insiste la directrice des contenus Kindle chez Amazon France. « Nous offrons à des gens la possibilité d’écrire pour être lus par des centaines de milliers d’internautes. Le lecteur est assez exigeant, ensuite, pour faire la part des choses. »
Il faut simplement « parvenir à se faire repérer…et maîtriser les réseaux sociaux pour se faire un peu d’autopromotion. »

Exemple de deux succès :

David Forrest : avec En série, journal d’un tueur, au moment de publier sur le Net, il avait avisé son entourage : « Allez, si j’en vends dix, je fais péter le champagne »…Il en a vendu 13000 exemplaires !

Lilou Vermont : R.I.P., son premier roman, est l’histoire d’une voyante encombrée par son don. L’auteure, qui signe sous pseudonyme, est dépourvue de comptes Facebook et Twutter. Elle est salariée dans le secteur du cinéma et l’écriture relève pour elle du loisir ; elle s’était contentée de prévenir quelques proches par un mail. Son roman figure parmi les cinq meilleures ventes d’e-books sur le site Amazon.


Pour F. Benhamou, « A côté de ces initiatives encore marginales, le numérique nécessite des investissements de la part des éditeurs…Le livre numérique permet cependant d’économiser les coûts d’impression, de transport et de stockage physique. Pour les éditeurs qui sont aussi distributeurs, la distribution de livres papier est une source importante de revenus ; la réduction des volumes distribués signifiera un manque à gagner  dont l’ampleur et le rythme sont encore inconnus. »

Qu’en est-il de la demande ?
Le livre numérique peut-il réveiller le goût de lire ?
« Alain Giffard craint la domination d’une lecture sans savoir-lire (« reading without literacy »). La lecture numérique est vagabonde. Nomade, elle glisse d’un type de contenu vers un autre. Même si la lecture séquentielle n’a pas attendu le livre numérique, elle se répand à la faveur de ce dernier ; tournée vers la consultation, elle se fractionne selon des cheminements nouveaux…En certains domaines, l’apport est incontestable, comme dans le cas d’un livre d’histoire associée à la consultation de documents d’archives (écrits, vidéos). »
« L’interactivité est sans doute l’apport tout à la fois le plus artificiel et le plus prometteur du numérique. C’est ainsi que le lecteur se fait aussi contributeur. »

« Wikipédia a plus que perturbé le marché des encyclopédies et, malgré les bévues (erreurs et approximations corrigées par les contributeurs mais s’étant diffusées avant ladite correction), est désormais un des sites les plus consultés au niveau mondial. L’encyclopédie en ligne a reçu une sorte de reconnaissance avec la publication d’un article dans Nature montrant que le nombre d’erreurs n’était pas significativement plus élevé que celui que l’on pouvait repérer dans l’Encyclopedia Britannica.»

En conclusion Françoise Benhamou souligne « les formidables apports du numérique : l’échange immédiat et permanent des savoirs et des œuvres, leur circulation qui se joue des frontières, les programmes de numérisation donnant vie au projet des Lumières, une bibliothèque universelle et des savoirs décloisonnés, un nouveau temps de l’histoire du livre marqué par un accès plus aisé  pour ceux qui en étaient exclus, de nouvelles formes créatives. »

 

Complément :
Dans un autre article récent du Monde « En France, la rentrée littéraire est placée sous le signe du numérique » (Le Monde, 30 août 2012), le journaliste souligne que, cette année, « Plus de 90 % des nouveautés sont disponibles en version numérique ».
Ceci montre la rapidité de l’évolution actuelle.
En effet, «en 2011, Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine Vigan, lauréate du prix Fnac la même année, a été le roman de la saison précédente qui s’est le plus vendu avec environ 400 000 exemplaires papier contre juste un millier de téléchargements. »


Résumé de la discussion (Yvonne)

Un premier point, très technique, est d’abord évoqué : il est fait remarquer que l’existence même du livre numérique est le résultat des développements du principe de la numérisation (que l’on retrouve dans tous les supports de l’information, téléphone, télévision, radio…). Ce principe, associé aux progrès technologiques, permet la vitesse élevée des transferts de l’information, et un stockage efficient de celle-ci.

 

Le caractère hétérogène de la présentation est souligné, rendant difficile une discussion de fond ; des points particuliers seront ainsi évoqués, comme l’assertion prêtée à Claude Lévi-Strauss sur les divers humanismes : « aristocratique de la Renaissance, bourgeois et exotique du XIXème siècle, et démocratique du XXème siècle » ; on s’étonne que ne soit pas mentionné l’humanisme du XVIIIème siècle, celui des Lumières, qui a pourtant été l’humanisme fondamental des temps modernes

 

Une autre contradiction est relevée : le livre numérique est réputé permettre la diffusion des ouvrages très peu lus ; or, les progrès technologiques permettent d’effectuer des tirages à la demande des livres, ce qui est autrement efficace pour la diffusion de livres confidentiels, qui sont le plus souvent accessibles à tous, ce qui n’est pas le cas du livre numérique

 

Une autre remarque : la technologie du livre numérique facilite le plagia de textes ou parties de textes par la technique dite du « Copier-Coller ». On a constaté que les cas de plagias se multiplient chez les journalistes, les élèves dans les écoles…

 

Une précision : quand on parle de numérisation d’ouvrages, il faut entendre d’ouvrages anciens, dont on dispose de quelques exemplaires papier ; car, aujourd’hui, tout écrit n’apparaît que sous une forme numérique, puisque créé sur un ordinateur et non sur une machine à écrire. Or, on continue à dire qu’une parution récente a été ou non numérisée ; il ne s’agit là que de sa diffusion ou non sous forme numérique.

 

Le livre numérique tue-t-il le métier de libraire ? Mais la question qui se pose est l’existence même, aujourd’hui, de ce métier de libraire ; il y a, en France, 36.000 points de vente de livres, mais combien de libraires ? Très peu sans doute. Alors que chez les fournisseurs de livres numériques (via Internet), la facilité de recherche peut pallier l’absence du libraire-vendeur de livres. Se développent aussi les associations regroupant les amateurs de lecture et permettant les informations sur les livres, de même les clubs de lecture à haute voix. Mais tout ceci s’applique aussi bien au livre numérique qu’au livre papier.

 

Mais on peut aller encore plus loin avec le livre numérique, ou, plutôt, avec le traitement électronique de l’information : on peut envisager aujourd’hui de se passer d’auteur ! En effet apparaissent des programmes qui, en fonction de l’actualité, génèrent les textes commentant cette actualité. Cela existe aujourd’hui dans les domaines des informations sportives et économiques, du moins boursières.

 

A partir de ce moment, la discussion va surtout porter sur le traitement électronique de l’information, et non plus sur le livre numérique. En particulier, il est dit qu’il est clair que le livre numérique change la lecture. Mais il change aussi l’écriture. L’utilisation de machines à traduire et d’analyse de texte en vue de faciliter les recherches  conduit les auteurs à n’utiliser qu’un vocabulaire simple et des formes grammaticales rustiques. Déjà, les écrivains écrivaient différemment leurs livres et les articles de journaux !

 

On ne comprend pas bien l’affirmation selon laquelle le livre de poche serait plus menacé par le livre numérique : c’est, peut-être, parce que le livre de poche n’est pas un objet attachant (ce n’est qu’un support d’information). L’argument économique ne semble pas pouvoir être retenu, car, le livre de poche a été créé pour permettre aux moins fortunés de lire ; on ne peut pas dire que le livre numérique vise tout à fait le même public même si le prix des tablettes et surtout des liseuses a maintenant bien baissé .

 

Un avantage phénoménal est reconnu à la transmission et au stockage de l’information via Internet : c’est la possibilité de création démocratique de documents ; le meilleur exemple est « Wikipedia », pour lequel tout un chacun peut apporter sa contribution. On rejoint ainsi l’esprit des encyclopédistes du XVIIIème siècle, pour qui l’encyclopédie n’était pas seulement un support du savoir, mais aussi un message.

 

La révolution apportée par les technologies numériques est, peut-être, plus importante aujourd’hui dans d’autres domaines que le livre numérique : par exemple, les guides automatiques dans les musées ou les villes, la création d’œuvres artistiques virtuelles en peinture ou sculture (techniques 3D), la possibilité d’établir des liens entre plusieurs œuvres, par exemple littéraire et picturale ou musicale…

 

Une conclusion ? Le livre numérique, un progrès ou une régression ? Aucun des Chamailleurs ne possède actuellement une liseuse ou une tablette, et, c’est heureux, car, ils peuvent continuer à me prêter (ou me donner) des livres papier…..

 

 

 

 

                                                                                                     

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