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11 novembre 2015 3 11 /11 /novembre /2015 18:36

CERCLE DES CHAMAILLEURS

20 octobre 2015

IMMIGRATION ET UNION EUROPÉENNE (PAUL)

L'Union européenne et ses institutions ont été mises à dure épreuve cette année par leur gestion de la situation de la Grèce et de l'arrivée d'un nombre particulièrement élevé de migrants économiques ou réfugiés politiques.

L'Union européenne a une frontière, une monnaie mais n'a pas de politique, pas de gouvernement. C'est apparu, lors des deux crises qui ont dévoilé l’ambiguïté des institutions et, dans les deux cas, le rôle prépondérant de la puissance allemande.
Cette situation met en question l'Union européenne dans son fonctionnement, dans la perception qu'en ont les citoyens européens et, peut-être même, dans son existence dans sa forme actuelle.

Ne sera abordé ici que la crise migratoire (La crise grecque a été évoquée dans « L'Union européenne ébranlée »).

Schengen

Ce sont les accords de Schengen (Accord 1985, Convention 1990) et le règlement de Dublin (1990, 2003, 2013) qui régissent les règles d'entrée et de séjour des ressortissants des États tiers sur le territoire de l'Union européenne.
Les normes de l'espace Schengen (1) ont été intégrées au droit de l'Union dans le cadre de « l'espace de liberté, de sécurité et de justice » par le traité d'Amsterdam (1997) et font partie des acquis communautaires. L'Irlande et le Royaume-Uni ont refusé (« opt out ») les articles du traité reprenant Schengen et Dublin.

Le traité d'Amsterdam institue le principe de libre circulation interne dans le droit communautaire. Les contrôles frontaliers sont supprimés entre les États Schengen (frontières intérieures) et maintenus aux frontières entre les États Schengen et les autres (frontières extérieures). L'agence Frontex a été créée, en 2004, pour gérer de manière intégrée les frontières extérieures.

Les contrôles d'identité des personnes qui voyagent entre des États Schengen peuvent être rétablis s'il existe une « menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure », terrorisme, émeute, hooliganisme... (art. 23/24). Cette réintroduction des contrôles doit être temporaire.
En cas de nécessité immédiate, elle peut être décidée unilatéralement par un État pour une période de 10 jours renouvelable. La Commission peut saisir la Cour de Justice pour sanctionner l’État concerné si elle estime la mesure excessive.

Quand la menace découle d'un événement prévu, l’État doit notifier son intention à la Commission européenne et consulter les autres États Schengen, comme l'a fait Malte lors de la visite du pape en 2010.

Si une défaillance à une frontière extérieure entraîne l'arrivée massive d’immigrants, le contrôle aux frontières intérieures ne peut être rétabli unilatéralement. Il doit être autorisé par le Conseil des ministres sur demande de la Commission (art. 26).
La Commission s'est opposée au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures pour des raisons tenant à l'immigration : en 2011, le Danemark a été contraint à renoncer au rétablissement de contrôles à ses frontières et la France menacée de sanctions à la suite de contrôles à la frontière italienne, face à l'arrivée de quelques milliers de Tunisiens.

Cette année, la Commission européenne est restée silencieuse quand l'Allemagne a rétabli des contrôles à ses frontières.

Dublin

Le droit d'asile dans l'Union européenne est basé sur la Convention de Genève (1951) et organisé par le règlement de Dublin. Pour que le demandeur d'asile ne puisse choisir le pays le plus laxiste ou déposer des demandes dans plusieurs pays de l'Union, le règlement de Dublin stipule que le premier État membre par lequel entre un demandeur d'asile doit relever ses empreintes digitales, traiter sa demande et le prendre en charge.
Ce règlement donne des responsabilités particulières aux États situés sur les frontières extérieures comme, dans un passé plus ou moins récent, l'Espagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie ou Malte, et pèse sur leurs finances : responsabilités et financement devraient être assumés par l'ensemble des États Schengen.

Après la révolution tunisienne de 2010-2011, le gouvernement italien a accordé un permis de résidence de 6 mois à 25 000 Tunisiens. Comme ce permis leur permettait de voyager dans l'espace Schengen, l'Allemagne et la France ont menacé d'imposer des contrôles pour limiter l'arrivée de ces réfugiés sur leur territoire.
Ces États n'ont pas proposé de partager la prise en charge de ces nouveaux arrivants, ils ont simplement voulu les maintenir en Italie.

La crise migratoire

Dans les années 2010, le nombre des migrants économiques ou à la recherche d'un asile politique arrivant dans l'Union par la Méditerranée et les Balkans a augmenté considérablement. Et aussi le nombre de ceux qui ne sont pas arrivés.

Suivant diverses sources (Centre international pour le développement des politiques migratoires, United for intercultural action), ce sont au moins 26 000 immigrants qui sont morts entre 1997 et 2012 en essayant de venir en Europe. En 2014, plus de 3 000, d'après l’Organisation internationale pour les migrations, sont morts ou ont disparu en Méditerranée.
Il a fallu la photographie d'un enfant mort sur une plage et l'arrivée de centaines de milliers de candidats à l'immigration aux frontières externes et surtout internes (en clair, de l'Allemagne) pour que les États et les sociétés civiles prennent conscience de l'importance et de la gravité du phénomène. Même si les drames répétés au printemps et la visite du pape François à Lampedusa avaient déjà éveillé les consciences.

Fin 2014, l'Union européenne n'accueillait, selon le HCR, que 6 % des réfugiés du monde entier. Les demandes d'asile sont en majorité rejetées, 73 % pour 240 000 en 2008, contre 13 % qui ont obtenu le statut de réfugié, 10 % la protection subsidiaire et 5 % une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Entre 2007 et 2011, un grand nombre de migrants ont franchi la frontière entre la Turquie et la Grèce. En 2012, suite au renforcement des contrôles par la Grèce et Frontex et à la construction d'une barrière sur une partie de la frontière turco-grecque, l'arrivée de migrants en Grèce par voie terrestre a baissé de 95 %. Cela n'a pas empêché l'augmentation du nombre de personne arrivées dans l'Union. Elles ont pris d'autres chemins. Plus chers en argent et en vies humaines !

Les personnes qui arrivent en Europe viennent de pays souvent en état de guerre. Les trois principaux pays d'origine des migrants en 2014 sont la Syrie (27,9 %), l’Érythrée (12,2 %) et l'Afghanistan (7,8 %), viennent ensuite Somalie, Soudan, Sud Soudan, République démocratique du Congo, République centrafricaine.
Le nombre de demandeurs d'asile est passé de 336 000 en 2012 à 626 715 en 2014. A la fin du mois de juin 2015, Eurostat relève que 592 000 personnes ont une demande d’asile en instance. Dont plus de 50 % pour l'Allemagne.

Les Syriens ayant fui leur pays (plus de 4 millions) se trouvent essentiellement en Turquie (2,2 millions de Syriens, 300 000 Irakiens), au Liban (plus d'un million pour 4 millions d'habitants !), en Jordanie (630 000), en Irak (250 000).

Sans solution politique en Syrie, le risque est grand de voir persister les demandes d'asile de Syriens et s'installer dans la durée des camps de Syriens comme existent depuis longtemps des camps de Palestiniens.

Migrants, Réfugiés

Ayant adhéré à la Convention de Genève relative aux réfugiés de 1951, à la Convention européenne des droits de l’Homme, ayant adopté la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Union et les États de l'Union ont l'obligation de respecter les droits des demandeurs d'asile.

Les personnes qui se présentent aux frontières ont quitté leur pays pour des raisons économiques et/ou politiques. L'Union et les États veulent faire le tri entre les demandeurs d'asile qu'ils ont l'obligation conventionnelle d'accueillir et les migrants économiques. Ils se préoccupent actuellement surtout des demandeurs d'asile syriens à cause de leur nombre et de la situation catastrophique en Syrie.

De nombreux originaires d’Afrique sub-saharienne étaient installés en Libye pour des raisons économiques. Ils ont dû quitter la Libye, à la suite de la situation créée par l'intervention franco-britannique. Sont-ils des migrants économiques ou politiques ? Le statut de réfugié leur sera-t-il reconnu ? Rejoindront-ils les autres déboutés du droit d'asile ?
Ceux qui viennent du Kosovo, d'Albanie, du Monténégro, pouvaient prétendre, hier, au statut de réfugié. Ils ne peuvent plus aujourd'hui, leur pays vient d'être ajouté sur la liste des « pays sûr ». En urgence, pour faire plus de place aux personnes d'autres origines. Seront-ils renvoyés dans leur « pays sûr depuis peu » ?

Et tous ceux qui ont quitté leur pays, victimes de la politique économique nationale et autres ajustements structurels, internationalement imposés. Faut-il les renvoyer mourir chez eux ?

Causes

En 2012, le prix Nobel de la paix a été attribué à l'Union européenne pour avoir « contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme en Europe ». Si l'Académie n'a pas attribué ce prix dans une précipitation aveugle et imprudente, comme en 2009 à Barak Obama, elle a été aussi peu clairvoyante dans les deux cas.
Il est possible d'attribuer à l'Union une part de responsabilité dans les six décennies de paix en Europe depuis les années cinquante à condition d'oublier les guerres coloniales de la France, du Portugal, du Royaume-Uni, les guerres locales, européennes, Chypre 1974, Croatie 1991, Bosnie 1992, Kosovo 1999, qui n'ont certes pas dégénéré en larges affrontements et les guerres plus lointaines dans lesquelles certains États membres se sont engagés... et dont l'Union européenne et l'ensemble des États membres subissent aujourd’hui les conséquence
s.

Il était illusoire de penser que des États pourraient intervenir militairement, quelles qu'en soient les raisons, pour soutenir un despote ici ou le renverser là (2), tout en bénéficiant de la paix et de la démocratie à domicile.
Le temps des expéditions coloniales, sans danger pour les métropoles, est terminé. Les attentats en Europe, l'arrivée de plus en plus importante de migrants, qu'ils soient victimes du système économique, des régimes dictatoriaux ou du changement climatique est, en grande partie, le résultat de politiques inadaptées...

L'arrivée d'un nombre important de migrants aux frontières extérieures, leur circulation et leur installation plus ou moins durable au sein de l'Union européenne mettent en évidence l'absence ou l'insuffisance de sa politique de l'immigration.

Bien entendu, le énième point des propositions plus ou moins « généreuses » sera toujours l'aide aux pays moins avancés, l'aide au développement (le co-développement semble passé de mode) qui ressort à chaque crise et tombe rapidement dans l'oubli.
A ces dépenses, il faudrait ajouter le coût des interventions militaires pour apporter paix et démocratie en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan et ailleurs... Pour le moment, cet argent a été plus efficace pour déclencher des migrations que pour les rendre inutiles !
Pour répondre à toutes à ces balivernes, il suffit de rappeler que l’apport financier des migrants par leurs transferts d’argent au pays est, au moins, trois fois plus important que l’aide officielle des pays industrialisés au développement.

Au Proche Orient cet interventionnisme militaire a conduit à la destruction d'une organisation des États, certes arbitraire et précaire, instituée par les Occidentaux avec pour résultat « démocratique », Daech au Proche et Moyen Orient, en Afrique...
Pour établir une stabilité dans ces pays, il faudra autre chose que des bombardements et même qu'une aventure terrestre avec les résultats qu'on a connus ici ou là. Il faudra des décennies de développement. Avec un soutien international aux peuples et au fonctionnement de nouvelles institutions.
La stabilisation sera longue à venir et encore plus la diminution des migrations.

La « crise migratoire » dans l'Union européenne participe à un phénomène plus général, l'augmentation du nombre de personnes déplacées dans le monde pour des raisons économiques, écologiques, politiques. Elle témoigne de la montée des inégalités, de l'inégale répartition des richesses, des conséquences sociales et politiques du libéralisme sans frontière. Et des conséquences écologiques du développement. Qui poussent des centaines de milliers de personnes à migrer d'abord dans leur propre pays, puis dans les pays voisins et enfin, plus loin là où ils espèrent pouvoir mieux vivre ou survivre tout simplement. Les barrières physiques, politiques pourront freiner les migrations. Elles ne les arrêteront pas.

Juncker


Élu président de la Commission européenne en juillet 2014, Jean-Claude Juncker a constitué son équipe, investie en octobre. Conscient de l'importance du phénomène, il a nommé un commissaire spécialement chargé de la migration, en coordination avec le premier vice-président, pour travailler à une nouvelle politique migratoire.

Le président de la Commission a été, pour la première fois, élu indirectement lors de dernières élections européennes. Par le Parlement européen contre la volonté initiale d'Angela Merkel. Mais son autonomie est bien relative.
Dans « la crise grecque », comme dans « la crise migratoire », ses positions, quoi qu'on pense de leurs qualités, n'ont été prises en considération que si et quand elles étaient entérinées par l'Allemagne : Wolfgang Schaüble ou Angela Merkel.

En mai 2015, Junker a fait des propositions face à « la crise des réfugiés » : mécanisme permanent de relocalisation, désignation de pays tiers comme pays d'origine sûrs, renforcement de Frontex, création de systèmes européens de gardes-côtes et de gardes-frontières, mise en œuvre d'un régime d’asile européen commun, mise en place de voies d’entrée sûres et légales pour les personnes ayant besoin de protection, approche renouvelée des migrations légales...
Ce plan a été rejeté par le Conseil européen et notamment par Angela Merkel et François Hollande, en particulier le mécanisme permanent de relocalisation. La France n'a pas manqué de rappeler par les voix de Manuel Valls puis de François Hollande : « Il n'est pas question qu'il y ait des quotas » de migrants en Europe.

Finalement, ces propositions seront reprises, comme celle de répartir 160 000 réfugiés, après le ralliement d'Angela Merkel. Ce ne sont pas des « quotas obligatoires » mais une « répartition contraignante » de Syriens, Irakiens et Érythréens – que deviendront les autres ? - qui est adoptée. Non, comme à l'accoutumée par consensus mais après un vote à la majorité, avec abstention de la Finlande et, surtout, l'opposition de quatre États, Hongrie, Tchèquie, Roumanie, Slovaquie,. Malgré pressions et menaces de représailles financières du ministre allemand de l'Intérieur, du vice-chancelier allemand, avec le soutien du ministre de l'intérieur français refusant « une Europe à la carte ».
Seule Pologne la Pologne semble avoir été convaincue.
Il est reproché aux pays de l'Est d'être incapables de comprendre que l'Union est autre chose qu'un marché ou un distributeur de subventions qu'on menace d'ailleurs de supprimer.
Mais une de leurs profondes motivations est la peur du « mutlculturalisme » qu'ils constatent dans les pays de l'Europe occidentale et qu'ils ne veulent pas chez eux.

Merkel, aller-retour

Les récentes fluctuations d'Angela Merkel et la souplesse de François Hollande sur l'ouverture ou non de l'Union européenne aux demandeurs d'asile, sans parler des autres migrants, risquent d'être peu convaincantes.

En mai, l'une et l'autre refusent le plan Juncker.

En Août, Angela Merkel annonce qu'elle ne renverra plus dans le pays de première arrivée les migrants débarquant en Allemagne, en contradiction avec le règlement de Dublin et sans concertation, ouvrant l'accueil quasiment inconditionnel aux Syriens (non suivie par François Hollande).
Elle apparaît soudain comme l'incarnation principale des "valeurs européennes". Pour l'année 2015, 800 000 entrées de demandeurs d'asile sont annoncées, en Allemagne, soit 4 fois plus que l'année précédente.

Quelques semaines plus tard, spectaculaire revirement : Angela Merkel annonce, sans crier gare, la fermeture "temporaire" de la frontière avec l'Autriche et dépêche mille policiers pour faire respecter cette fermeture.
Face à l’« inaction » de l’UE. Angela Merkel fait valoir que son pays ne peut recueillir seul l’exode syrien et irakien et que l'Allemagne est« au bout de ses capacité d’accueil ». Les autres États auraient dû suivre. Ils n'ont pas suivi. Même Hollande avec sa modeste proposition d'accepter quelques dizaines de milliers de personnes.
Réalistes, les demandeurs d'asile ont entendu les déclarations généreuses - mais irresponsables - de la chancelière et le silence des autres. Ils ne se font guère d'illusions sur les chances d'être bien accueillis dans nombre de pays de l'Union. Ils sont aux frontières de l'Allemagne, non à celles des pays de l'Est ou de la Franc
e.

Avec ces déclarations successives et contradictoires, Angela Merkel, relocalise les problèmes de l’Allemagne que sa décision d’ouverture avait accentués, dans les pays qui n’étaient que des pays de transit, comme l'Autriche, et deviennent des pays de séjour.
Elle ouvre et légitime le « chacun pour soi » ! De nouvelles frontières se ferment, au total, celles de 8 pays : après la Hongrie, l'Allemagne et l'Autriche, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie et la Finlande.

De multiples raisons ont été données aux déclarations généreuses du mois d'août. La Chancelière a pu être sensible comme beaucoup à la grande émotion suscitée par la photo du jeune enfant mort sur une plage. Peut-être a-t-elle réagi à l'extraordinaire mobilisation des Allemands et suivant la vague, voulu l'accompagner, lui donner un débouché institutionnel.
Peut-être faut-il tenir compte aussi, du passé de l’Allemagne, de son attachement à sa loi fondamentale : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes, le peuple allemand, animé de la volonté de servir la paix du monde en qualité de membre égal en droits dans un Europe unie... ». Et du souvenir des millions d'Allemands venus de l'Est qui ont trouvé refuge en Allemagne de l'Ouest après la fin de la Seconde guerre mondiale.
Aujourd'hui en Allemagne, « un quart de la population actuelle est composé de ces expulsés et de leurs descendants ».

Au-delà des raisons circonstancielles, des raisons démographiques (faible natalité), économiques (besoin de main d’œuvre) peuvent expliquer une plus grande ouverture à l'immigration. Avec la volonté de réussir leur intégration.
Angela Merkel pense avoir les moyens de cette politique. « Les réfugiés, un coup de pouce bienvenu pour la croissance allemande... L'accueil des réfugiés représentera 11 milliards d'euros de dépenses en 2016... toute une économie s'est mise en place pour faire face au défi » (Les Échos).
Ce que ne peuvent faire tous les pays de l'Union.

Quoi qu'il en soit, malgré ses erreurs, son rapide revirement, Angela Merkel, par cette déclaration a rappelé que l'Union doit respecter un certain nombre de valeurs qui sont sa raison d'être et qui sont consignées dans les textes. Dont le droit d'asile. Cette « crise des réfugiés » peut être son « moment historique ».
Car, à cette occasion, les éloges se sont faits entendre : « Avec cette intervention souveraine et son discours tenu devant le Parlement européen, Merkel a fait preuve de leadership politique, en Allemagne et au-delà. Elle a conforté ainsi ses propos tenus il y a un mois : 'nous y arriverons'. Une politique courageuse, car la cote de popularité de Merkel continue de chuter et les critiques se multiplient au sein de son parti… Au cours de ses dix années de mandat, Merkel a plus souvent géré qu'agi. Sur la question des réfugiés, il lui a aussi fallu du temps pour se positionner. Mais elle le fait aujourd'hui avec verve, c'est devenu sa mission. Ceci rend son positionnement différent de celui adopté dans la crise grecque. Elle considère le problème des réfugiés comme un défi personnel, comme un défi que lui pose l'histoire. » (Der Standard Autriche 09/10/15). Avec cette ouverture, elle « est devenue aujourd’hui la seule responsable politique de stature continentale, ou encore la femme « qui a restitué la dignité à l’Europe ». Orban est devenu le symbole du mal, Merkel « le visage humain de l’Europe » (Federica Mogherini, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité)

Mais ce peut aussi être sa perte, si elle ne réussit pas à entraîner les Allemands, le peuple allemand et d'abord les membres de son parti. Angela Merkel a essayé de flatter le peuple : « c'est le signe que notre pays est attractif », « on y arrivera », « notre pays deviendra de plus en plus divers »..
Mais Die Zeit remarque qu'au Parlement européen, « au lieu du mot 'espoir', employé par Mitterrand et Kohl, les discours de Merkel et Hollande étaient marqués par le mot 'crise' ». Ce qui n'est pas propre à déclencher l'enthousiasme.

Il faut aussi susciter une mobilisation de l'opinion européenne qui puisse donner un sens à des contraintes qui peuvent être ressenties comme venant seulement de l'Allemagne et qui seraient mieux acceptées si elles venaient d'une partie significative des peuples de l'Union.

Sinon, une fois de plus, on pourra penser comme la Deutschlandfunk (02/09/15) : « Lors de la réforme des accords de Dublin il y a deux ans, l'Allemagne avait farouchement rejeté l'idée d'un mécanisme de solidarité. Et voici qu'on nous annonce que l'heure est à la solidarité, parce que cette fois-ci, cela profite à l'Allemagne. Le comble du cynisme. Il ne s'agit pas d'une solidarité vis-à-vis de personnes chassées de leur pays. ». Ce qui confirmerait l'opinion de beaucoup que, en Europe, ce qui est bon pour l'Allemagne est bon pour tous les Européens. L’Allemagne ne s'est guère émue quand la pression migratoire s'exerçait sur l’Espagne, l'Italie, Malte, la Grèce ou la Hongrie.

Mais il ne faudrait pas qu'une fois de plus, Angela Merkel, suive ses troupes, l'ouverture avec les uns et le revirement avec les autres.. Car l'Allemagne doute, elle est partagée.

Réticences et critiques se font entendre au niveau des peuples européens, y compris du peuple allemand et même au sein de la CDU, parti de Angela Merkel. A travers les déclarations de certains ministres fédéraux ou des ministres des Länder.

Dès le 13 septembre, quand l'Allemagne rétablit sa frontière avec l'Autriche, le ministre de l'Intérieur affirme : « la solidarité allemande ne peut pas être abusée ». Il propose de limiter l'afflux en Allemagne et prône un « contingent » de réfugiés dans l'Union. D'étendre aux frontières terrestres de l'Allemagne une procédure accélérée d'examen des demandes d'asile, active dans les aéroports depuis 1993, pour renvoyer plus vite les refusés au statut de réfugié. Angela Merkel est aussi critiquée depuis de semaines par les dirigeants bavarois de la CSU, aile droite de la coalition CDU-CSU, pour cette politique d'ouverture... « Face à des centaines de milliers de réfugiés, les Länder et les communes sont de plus en plus dépassés et le mécontentement de la population enfle. Une grogne essentiellement dirigée contre Angela Merkel : la crise historique des réfugiés devient la crise de son mandat… (Frankfurter Allgemeine Zeitung 19/10/15)

Malgré l'enthousiasme initial des foules, même si de très nombreux citoyens continuent à aider des réfugiés, les opposants se font entendre. Les manifestations, voire les attaques contre les centres d'accueil se multiplient. Plus de 400 délits contre ces centres depuis le début de l'année. Pegida (patriotes européens contre l’islamisation de l'Occident), chaque semaine ou presque depuis un an, réunit des milliers de personnes dans les rues de Dresde. Mais les points de manifestations sont nombreux, plus ou moins fournis, avec Pegida ou AfD ou des groupuscules d'extrême droite à : Göritz, Plauen, Sbnitz, Meissen, Postdam, Chemnitz, Erfurt, Wuppertal, Dortmund, Hamm. Toujours, contre la présence de trop nombreux immigrés, contre l'islamisation... Et aussi à l'étranger, notamment dans les pays de l'Est : des manifestations, ont eu lieu aussi à Varsovie, à Prague, à Bratislava... pour s'opposer à la venue de migrants, des pétitions circulent pour demander la sortie de l'Union en Autriche, en République tchèque...

Les sondages en Europe sont défavorables. Quelle que soit leur valeur, ils sont écoutés par les politiques.
En moyenne, 56% des Européens ont des réticences à l'accueil de migrants, ce taux est de 81% en République tchèque, de 78% en Lettonie, de 77% en Slovaquie, de 70 % en Lituanie.

En Allemagne, 51 % des sondés ont peur des réfugiés et la popularité de la chancelière a chuté de 9 points à 54 % (niveau très enviable pour bien des chefs d’État et de gouvernement). La Frankfurter Algemeine Zeitung, le plus fort tirage de la presse allemande, dans un éditorial intitulé « L’Europe de l’Est a raison » a écrit que l'accueil des réfugiés constituait « une erreur de jugement sans précédent ».
Selon un sondage Ifop, 59 % des Français sont favorables à une limitation du nombre d'immigrés européens en France ; « immigrés européens », donc remise en cause des accords de Schengen.

Cette opposition a une traduction politique. En Allemagne, l'AfD, avec un discours contre les immigrants recueillerait aujourd’hui 7 % aux élections législatives. La candidate à la mairie de Cologne, favorable aux migrants, élue depuis maire, a été poignardée quelque jours avant son élection. En Italie, les intentions de vote en faveur du parti autonomiste du nord recueillerait 3 fois plus de voix qu'aux législatives de 2013, 2 fois plus qu'aux européennes de 2014. Aux élections régionales en Haute Autriche, le 27 septembre, le FPÖ a obtenu 30,4 % des voix (15,1 points de plus qu'en 2009), à Vienne, 33 % (plus 5 points) et le SPÖ 39,5 % (moins 5 points). En Suède, pour la première fois, le 20 août, un sondage met en tête avec 25 %, l'extrême droite, Démocrates de Suède, « pour une tolérance zéro vis à vis de l’immigration ». Aux Pays-Bas, un sondage, fin septembre, donne au Parti de la Liberté 25 sièges sur 150 à la Chambre des députés (+10) et 27 au parti libéral du premier ministre. Et en Suisse, la poussée de la droite populiste se confirme (Le Monde 19/10/15).

Angela Merkel résistera-t-elle jusqu'au bout, sans nouveau revirement un peu trop rapide. Comme dans les relations avec la Turquie ? « A quel prix se fera la coopération turque ? » (Frankfurter Allgemeine Zeitung 19/10/15).
C'est, en effet, la question à poser au moment où Angela Merkel semble lui faire de concessions discutables.

Et maintenant viennent les révisions indispensables.

Angela Merkel le dit sur tous les tons : « La question des migrants va nous occuper bien plus que la Grèce et la stabilité de l'euro »... « il y aura des conséquences, même si nous ne le souhaitons pas ». Elle a qualifié d'« obsolète » le système européen de demande d’asile et « plaide en faveur d’une nouvelle procédure » pour répartir avec « équité » les demandeurs d’asile entre pays européens.
Une politique d’asile commune devrait être la prochaine grande avancée de la construction européenne avec transfert de souveraineté. L'Union européenne ayant pour coutume d'avancer à l'occasion de crise, le moment est venu pour la politique migratoire commune. En quelques semaines, les choses ont bien changé, au moins en parole. Reste à voir comment elles vont évoluer.

Tout le monde semble d'accord pour condamner, aujourd'hui, le règlement de Dublin. Il est regrettable que les États, par absence de solidarité, ne se soient pas aperçus, plus tôt, par temps calme, qu'il était injuste.
L'Union européenne et les États européens n'ont pas bronché tant que la charge incombait aux États de « la ligne de front » : Espagne d'abord, puis Italie, Malte, Grèce et enfin Hongrie.

L'Espagne a été laissée seule quand les immigrants, vivants ou morts, arrivaient sur ses plages. Même les barrages de Ceuta et Melilla ont été discrètement tolérés.
L'Italie malgré Lampedusa et l'action « Mare Nostrum » qui a permis le sauvetage de 150 000 migrants et l'arrestation de 351 passeurs en 2014 n'intéressait personne. Cette action a même été arrêtée sous la pression allemande (Der Standard Autriche). Remplacée par « Triton », confiée à Frontex avec un triplement des sommes allouées pour protéger les frontières, cantonnant son action aux eaux territoriales alors que Mare nostrum s'approchait des côtes libyennes.
La Hongrie, un pays touché par un nombre importants de migrants, se déclare, incapable de gérer seule ces arrivées. Comme le fait remarquer Viktor Orban, ce n'est pas seulement une frontière de la Hongrie mais une frontière de l'Union européenne et plus particulièrement de l'Allemagne. La Hongrie construit une barrière de 175 km entre la Hongrie et la Serbie pour arrêter les migrants qui entrent illégalement dans l'espace européen. Elle annonce ensuite la construction d'une autre barrière le long de la frontière avec la Croatie, puis la Roumanie.
Cette fermeture physique des frontières est accompagnée de mesures législatives, une loi est votée en septembre au parlement hongrois, rendant le franchissement illégal de la frontière passible d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de prison.
Qui a proposé de parta
ger la charge de la Hongrie face à l'arrivée de ceux qui voulaient rejoindre l'Allemagne ? Seuls les « barrages de la honte » ont été dénoncés. Le régime de Viktor Orban, ses motivations, ses méthodes facilitaient largement les choses. Mais de janvier à juillet 2015, plus de 100 000 personnes sont arrivées en Hongrie d'après Frontex, 200 000 selon Laszlo Tracsanyi, ancien ambassadeur de la Hongrie à Paris et 170 000 demandes d'asile déposées (Figaro Vox 30/09/15 ) pour un pays de 10 millions d'habitants.
Il n'a pas été question alors de relocalisation, de répartition...

Les choses sont bien différentes quand 800 000 personnes arrivent dans un pays de 80 millions d'habitants. Pourtant, la proportion est la même. Et l'Allemagne est plus riche, elle peut mieux recevoir, elle est plus puissante aussi et donc capable de se faire mieux entendre... Dès lors la relocalisation, proposée par la Commission, rejetée jusque- là, notamment par l'Allemagne, est maintenant prônée par celle-ci et acceptée par la plupart des États. A l'exception de quatre États de l'Est conduits par… la Hongrie.

Ce n'est pas la Hongrie qui a inventé les barrages aux frontières externes de l'Union. Il existe des barrages en Espagne depuis 1993 à Ceuta et Melilla. En 2012, la Grèce (4) érige une barrière longue de 18 kilomètres et haute de 3 mètres sur une partie de sa frontière terrestre avec la Turquie. En juillet 2014, la Bulgarie construit un mur de 3 mètres de haut avec des barbelés sur 30 kilomètres, le long de sa frontière avec la Turquie, mur en train d’être étendu à 130 nouveaux kilomètres sur les 259 que compte la frontière.

Que dire de la « double clôture » de 2 à 4 mètres de haut, clôture, non barrage, que, le 25 août 2015, la France et le Royaume-Uni ont décidé d'installer sur 3 kilomètres de long à Calais pour empêcher les migrants d’accéder au terminal d’Eurotunnel. Cela n'intéresse pas l'Union. Parce que c'est une double clôture, d'entrée et de sortie ? ?

Jusqu'ici Viktor Orban, malgré des lois qualifiées de liberticides, avait bénéficié du soutien de Berlin et de la solidarité du Parti populaire européen (5). Il est devenu le symbole du souverainisme xénophobe. Parce qu'il remet en cause les valeurs sur lesquelles repose l'Union plus par ses déclarations que par ses barrières ? «Ce qui se passe maintenant est une invasion, nous sommes envahis ; […] la Hongrie et toute l’Europe sont en danger».

La relocalisation obligatoire d'urgence est désormais actée au niveau européen. Bien qu'elle aille à l'encontre de l’esprit du droit d’asile et du respect du choix du réfugié.
Actuellement, plus de la moitié des demandes ont été déposées pour l'Allemagne. Pour des raisons pas toujours discutables : mirage allemand, faible taux de chômage, politique d'intégration, spectaculaire réveil de la population, déclarations de Merkel, présence de parents ou connaissances...

La « relocalisation » doit être faite selon des critères, objectifs, quantifiables et pondérés : taille de la population, pondération de 40 %, PIB 40 %, demandes d’asile antérieures, 10 %, taux de chômage, 10 %. Cette relocalisation porte, pour le moment, sur 160 000 personnes, sera financée par le budget de l'Union avec 780 millions d'euros pour des États membres participants : 6 000 euros par personne accueillie.

Elle sera obligatoire pour tous les États, même pour ceux qui ont voté contre. Chacun aura un contingent ou... une « amende ». Obligatoire aussi pour les candidats au statut de réfugié qui seront donc « assignés à résidence » dans le pays qu'ils n'auront pas choisi obligatoirement, ce qui n'est pas la meilleure façon de favoriser l'intégration à laquelle chaque pays les destine. Accepteront-ils d'être relocalisés ailleurs que dans le pays qu'ils ont choisi et où ils sont arrivés ?

La Commission a proposé d'ajouter quelques pays à la liste commune des pays sûrs Albanie, Bosnie, ancienne république yougoslave de Macédoine, Serbie, Turquie pour faciliter le traitement des demandes des candidats de ces pays et leur rapatriement.

L'inscription de la Turquie sur la liste des pays sûrs n'est qu'un aspect de ses nouvelles relations avec l'Union européenne.
L’Union qui craint la dérive autoritaire et la gestion de la question kurde du président Erdogan, a désormais grand besoin de la Turquie pour gérer les flux migratoires. Elle est donc prête à faire des concessions, et à lui apporter un soutien électoral, en pleine campagne pour les élections législatives voulues par M. Erdogan, avec une relance de la guerre contre le Parti des travailleurs du Kurdistan, son orientation politique peu démocratique et les risques graves pour l'équilibre du pays. La Turquie, un pays sûr ? « Ce qui a été longtemps nié à la Turquie lors de son difficile chemin de démocratisation de ses institutions politiques, maintenant lui est accordé tandis que son système politique connaît une évidente, claire et préoccupante évolution autoritaire. Certes, après l’imprudente déclaration d’ouverture de l’Allemagne à tous les demandeurs d’asile, il fallait bien trouver un moyen d’en arrêter le flux auprès du principal pays de transit ». (Sole 24 Ore Italie 20/10/15)

La Turquie, devenue un pays sûr, relance la question de son adhésion à l'Union. Sur cette question, la chancelière semble varier autant que sur les frontières, suivant les circonstances : en 2009, elle soulignait que "la position commune" de Berlin et Paris était "un partenariat privilégié pour la Turquie, mais pas une adhésion pleine et entière" (Le Monde 21/05/09). Quatre ans plus tard, lors d'une visite en Turquie elle a « des entretiens politiques avec les dirigeants turcs qui attendent qu'elle confirme sa promesse, après celle exprimée par la France, de relancer le processus d'adhésion moribond de leur pays à l'Union européenne » (Le Parisien 25/02/13). Aujourd'hui, elle pense que le moment est venu de reprendre le processus et elle estime comme un progrès d'avoir lié la question des migrants à une relance du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union, officiellement ouvert en 2005 et aujourd’hui au point mort. (Le Monde 19/10/15)
Compte-t-elle sur la durée, interminable, des négociations et sur l'opposition, résolue, de certains États de l'Union européenne pour gagner à tout coup ? (3)

Le pays devenu sûr, l'adhésion à l'Union à nouveau sur la table, la Turquie réclame la suppression des visas pour ses ressortissants voyageant en Europe. De nombreux gouvernements européens se méfient d’une suppression des visas pour les 78 millions de Turcs. François Hollande a « insisté pour que, si libéralisation des visas il doit y avoir, avec la Turquie, ce soit sur des bases extrêmement précises et contrôlées ». Pour lui, cela ne soit pas se faire « dans n'importe quelles conditions, avec des visas qui pourraient être accordés à des individus dont on ne connaît pas l'identité. »

L'Union européenne et la Turquie se sont mises d'accord sur un plan d'action commun pour réduire le flux des réfugiés. En contrepartie à l'admission parmi les pays sûrs, Ankara devra mieux contrôler ses frontières.

La Turquie essaie aussi d'obtenir le soutien de l'Union à « la création d'une sone de sécurité et d'exclusion le long de la frontière syrienne », « une région à majorité kurde où la rébellion kurde est soutenue par les Occidentaux pour combattre l’État islamique » (La Croix 19/10/15).

Reste la question financière : la Commission prévoit 200 millions en 2015 et 300 millions en 2016 pour le Programme alimentaire mondial obligé de réduire les rations alimentaires. Il faut aussi prévoir une aide financière pour que la Turquie garde les réfugiés syriens sur son sol et les empêche d’affluer en Europe. La chancelière a notamment confirmé que l’Union envisageait de débloquer environ 3 milliards d’euro, mais ce fonds de soutien n'existe pas au niveau du budget européen. Il relèvera du budget des États (Le Monde.fr 16/10/15). Le président de la Commission a déjà appelé les États à honorer leurs promesses de plus de 2 milliards.
M.Erdogan, de son côté, « chiffre les dépenses engagées pour l'accueil des réfugiés à 6,7 milliards d'euros et estime qu'il n'a reçu jusqu'ici que 371 millions d'euros ».

Améliorer les conditions dans les camps contribue à fixer les réfugiés. Mais pour combien de temps ? Quel est leur devenir ? Vont-ils obtenir l'asile en Turquie ? C'est peu probable. Encore moins au Liban et en Jordanie. Il ne faut pas attendre grand-chose des pays arabes. Ni des États dont certains sont pourtant fortunés, ni de leur société civile qu'on a peu entendue jusque-là.

En Europe ou ailleurs, les États vont-ils accepter les seuls demandeurs d'asile arrivés dans le pays ? Où installer des antennes dans les camps pour distribuer des visas ? Vont-ils faire le tri des « bons » candidats et abandonner les autres ? Où va-t-on installer des « hot spot » européens, formule élégante car anglicisée pour dire centre de tri, dans les camps qui géreront les demandes et les relocalisations ? Combien de personnes seront « exfiltrées » de ces camps et combien vont y rester ?

Comment Liban, Jordanie, Irak, Turquie vont-ils résoudre les problèmes posés par la présence de ces nombreux réfugiés dans des camps ? S'il est beaucoup question de la Turquie où les Syriens sont les plus nombreux, que va-t-il se passer en Irak, en Jordanie et surtout au Liban dont on parle beaucoup moins. Parce qu'ils ont moins d’atouts que la Turquie pour négocier. Jusqu'à « Daechisation » ou explosion ?

Les questions financières vont aussi se poser en Europe dans les pays d'accueil dont les budgets ne sont pas toujours aussi à l'aise que celui de l'Allemagne : financement des politiques européennes non budgétisées au niveau européen mais financement de l'accueil et de l'intégration des réfugiés installés sur leur territoire.

La Commission pourra allouer cette année 100 millions d'euros pour l'aide d'urgence aux États membres de l'Union confrontés aux arrivées de demandeurs. Une enveloppe de 600 millions d'euros est destinée aux agences européennes - Frontex, le bureau d'asile européen (EASO) et Europol - chargées d'aider les États à gérer les arrivées et surtout les retours.

La proposition de Pierre Moscovici, prendre en compte cette nouvelle charge pour les États dans le calcul des déficits publics de certains pays, a été vue à Berlin comme une nouvelle tentative de Paris de ne pas se soumettre à la discipline européenne. Pourtant, l'idée avance et Bruxelles pourrait considérer « la crise des réfugiés » comme une « circonstance exceptionnelle ». L'Italie, l'Autriche et l'Irlande ont officiellement demandé plus de marge de flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. La Commission serait ouverte à cette idée pour le budget 2016. Cela renforce la suggestion de la Commission, soutenue par certains États, d'accorder aux États plus de possibilités d'investissements publics. Sous l’œil réprobateur de Berlin et Helsinki.

Et voici que l'Allemagne pourrait accepter des conditions plus assouplies pour le programme grec prévu dans le « mémorandum ». En contrepartie, la Grèce devra accepter de conserver sur son territoire plus de réfugiés du Moyen-Orient (La Tribune 16/10/15). Ainsi, après avoir refusé toute concession durant la « crise grecque », l'Allemagne de Mamma Merkel cherche à décharger l'Union et particulièrement l'Allemagne d'un certain nombre de demandeurs d'asile potentiels. Ils seraient déjà 400 000 dans un pays de 11 millions d'habitants. Faut-il croire que ce n'est pas suffisant ?

L'intégration a un coût non négligeable. L'arrivée de nombreux immigrants du Proche-Orient inquiète : « Si nous faisons venir en Europe d'importants groupes de populations issues du Proche-Orient, nous y importerons les conflits et la haine qui règnent là-bas... » Même pour cette arrivée est dangereuse, rien ne sert de pleurer ou de regarder en arrière. Si l'on croit à ce danger et si l'on veut l'éviter, il faut s'en donner les moyens.

Pour l'OCDE, ces moyens doivent être importants, sur tout au début. La Frankfurter Allgemeine Zeitung (06/09/15) estime pour sa part, que, à court terme, l‘intégration de 1,5 million d'arrivants en 2015 devrait coûter à l'Allemagne 10 milliards d'euros, soit quatre fois plus que l'an dernier autour de 13.000 euros par personne. Sans conséquence sur le chômage pour les résidents. C'est un investissement d'avenir dans un pays qui manque de main d'œuvre et dont le taux de natalité est si faible. Du côté de l'économie, tous les feux sont au vert pour accueillir ces migrants en Allemagne.

L’Allemagne depuis 15 a choisi d'assimiler par la langue, le travail, la transmission des valeurs constitutionnelles et de l'héritage chrétien défini comme « le bien commun de tous les Allemands même si l'islam a sa place dans notre pays » et s'en donne les moyens : accès à la nationalité facilité, « cours d'intégration » avec apprentissage de la langue (600 heures par an contre 330 heures en France pour l’apprentissage de la langue), lutte contre la xénophobie et le racisme...
L'Allemagne a pris aussi des mesures pour faciliter les expulsions et accélérer l’examen des dossiers de demandeurs d’asile, en particulier ceux des Balkans qui, dans leur écrasante majorité, sont considérés comme des migrants économiques.

Tous les États n'ont pas les ressources financière de l'Allemagne pour mener leur politique, surtout dans le cadre d'une crise économique qui s'éternise. Certains économistes considèrent que si « les immigrants coûtent cher au début », à terme « c'est un investissement très rentable ». De plus, tout le monde a intérêt à la réussite d'une intégration économique plutôt qu'à la constitution de poches de pauvreté...

Cette intégration économique pourrait être facilitée par un respect moins strict des critères européens qui pourraient aider au démarrage de la croissance.

La « crise des réfugiés » a mis en évidence la nécessité d'une gestion européenne des frontières. Une gestion intégrée avec création d'un corps de gardes-frontières européens aux frontières extérieures a été entériné. La Commission préconise l'envoi d'équipes d'intervention rapides européennes, composées de gardes-frontières, de policiers, de juristes et d'interprètes, placées sous l'autorité de l'État demandeur, la constitution de corps de gardes-côtes et de gardes-frontières européens.

Bien entendu ces mesures supposent un partage de souveraineté. Mais toute la crise démontre la difficulté pour un État européen de répondre seul, dans l'urgence ou à long terme, aux questions posées. Même l'Allemagne a demandé à partager le fardeau. Il est possible que la difficulté soit trop grande pour que les États et les peuples acceptent d'être solidaires. Il n'est pas sûr que, pour les uns et les autres, l'éclatement soit la solution.

L'aide au développement sera admise et oublié avec la même unanimité. Ce point, comme d'autres, réapparaîtront.
Que va faire réellement l'Union européenne pour régler la question syrienne ? Cela sera-t-il aussi long que pour la question palestinienne ? Les Syriens sont-ils condamnés à vivre dans des camps aussi longtemps que les Palestiniens ? L'Union financera-t-elle la Turquie, le Liban, la Jordanie pour qu'ils « partagent le fardeau », maintiennent et entretiennent ces camps ? Cela risque d'être pour eux, en dehors du coût financier, un risque nouveau de déstabilisation nationale.

Certains veulent voir dans la crise migratoire une de ces « crises nécessaires » pour faire avancer l'Union européenne. Ainsi les membres du Conseil ont voté à la majorité qualifiée pour empêcher quelques États de bloquer le fonctionnement des traités. Cet exemple sera-t-il suivi pour éviter les consensus paralysants sur d'autres sujets ?

La crise migratoire permettra-t-elle aux 19 pays concernés de répondre aux 40 procédures lancées par la Commission pour ne pas avoir encore « mis en conformité » leur législation avec la dernière directive européenne sur le droit d'asile. Parmi les 19 États figurent la Grèce, l'Italie et la Hongrie mais aussi l'Allemagne et la France.


Conclusion

1 – Lors de la « crise grecque » comme lors de la « crise migratoire », il a été évident que le pouvoir n'était ni fédéral (la Commission européenne), ni confédéral (le Conseil européen). C'est le pays le plus puissant qui commandait en la personne de Wolfgang Schaüble dans le premier cas, d'Angela Merkel dans le second. On a pu entendre le murmure de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. La vois de Federica Mogherini, Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (chef de la diplomatie européenne) était imperceptible. Les autres chefs d’État ou de gouvernement ont pu faire quelques commentaires ou s'incliner de bonne ou de mauvaise grâce.

2 – La question migratoire, comme les questions économiques et financières, ne peuvent avoir des règles nationales ou européennes sans être gérées de façon collective. Elles nécessitent une règle commune avec une gestion commune. Sous le contrôle d'un Parlement européen dont le rôle n'a sauté aux yeux de personne pendant ces crises.

3 – L'inadéquation de la politique de l'immigration de l'Union européenne, les désordres quelquefois créés par des États de l'Union européenne, l'absence de ligne définie quant à la place de la Turquie dans la politique étrangère de l'Union européenne l'ont rendu dépendante et complice d'une Turquie peu démocratique.

4 – L'Union européenne ne peut avoir une « ministre des affaires étrangères » sans politique extérieure commune alors que les actions des uns peuvent avoir des conséquences non négligeables pour les autres en l'absence de politique extérieure commune, encore plus dans l'environnement immédiat.

- Conséquences des interventions en Libye, en Syrie...

- Indécision dans l'adhésion de la Turquie qui la met en situation de force au moment le plus critique et fait accepter des exigences aberrantes.

5 – Il y a dans l'Union européenne des europhobes et des eurosceptiques, ils risquent d'être renforcés si la crise migratoire n'est pas traitée de façon satisfaisante


Notes

1 - Cet espace comprend, en plus des 26 États membres ( Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Finlande, Suède, Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie, Croatie), quatre États non membres — Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse — et trois micro-États européens — Monaco, Saint-Marin, et le Vatican. Tous les États de l'Union, sauf deux — l'Irlande et le Royaume-Uni — doivent, à terme, mettre en œuvre l'acquis Schengen. À l'exception de la Bulgarie, de Chypre, de la Croatie et de la Roumanie, tous les autres États membres y participent déjà. L'espace Schengen englobe actuellement plus de 400 millions d'habitants sur une superficie de 4 312 099 km2.Andorre,

2 – Ou bien le destituer après l'avoir soutenu. Lors du Troisième sommet Afrique-UE de 2010, Mouammar Kadhafi a accueilli les dirigeants de 80 pays africains et européens pour mettre en place partenariat Afrique-UE allant de 2011 à 2013 : emplois, investissements, croissance économique, paix, stabilité, migration, changement climatique. Tout était à l’ordre du jour. Sauf que Kadhafi a été déstabilisé par ses amis français et britanniques avant d'être tué. Et des dizaines de milliers de travailleurs originaires de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb contraints au retour au pays ou à un nouvel exil.

3 - En raison de l'opposition de plusieurs membres de l'UE dont Chypre et la France, seuls 14 chapitres de négociations sur un total de 35 ont été ouverts à ce jour et un seul a été clôturé. L'Allemagne est prête cette année à ouvrir le chapitre 17 et à préparer l'ouverture des chapitres 23 et 24. L'Allemagne était jusqu'à présent le dernier Etat membre à s'opposer à cette ouverture. Le Figaro 19/10/15

4 - L'Allemagne pourrait accepter des conditions plus assouplies pour le programme grec prévu dans le mémorandum. Mais en contrepartie, la Grèce devra accepter de conserver sur son territoire plus de réfugiés du Moyen-Orient (La Tribune 16/10/15). Ainsi, après avoir refusé toute concession durant la « crise grecque », l'Allemagne cherche à bloquer les demandeurs d'asile en Grèce. Ils y seraient 400 000 dans un pays de 11 millions d'habitants. Faut-il croire que ce n'est pas suffisant ?

5 - On peut parler d’inaction de l’UE. Celle-ci aurait dû mettre en œuvre l’article 7 du traité de l’Union, qui peut aboutir à la suspension du droit de vote d’un État membre. Et le PPE, groupe de partis conservateurs du Parlement européen auquel appartient le Fidesz, aurait dû exclure ce dernier. László Rajk, Libération 19/10/15

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