LE CERCLE DES CHAMAILLEURS
Mardi 8 novembre 2016
La fiancée du pirate (Présentation par Olga)
Dans ma filmographie il y a les films de Bergman, « Paris Texas » de Wim Winders, « Le jour se lève » de Marcel Carné, « A bout de souffle » de Godard, les films de Almodovar, de Carlos Saura, ce film vietnamien « L’ odeur de la papaye verte » et tant d’autres ... « La fiancée du pirate » est l’un de mes films préférés , pas « le » préféré , mais celui qui, spontanément , quant nous avons eu à proposer un choix, est venu à mon esprit.
Le film, comédie dramatique et satirique, réalisé par Nelly Kaplan et co-ecrit avec Claude Makovski est sorti en décembre 1969.
Je l’ai vu pour la première fois au moment de sa sortie, j’avais été enthousiasmée par le jeu de Bernadette Lafont, par le personnage de Marie qu’elle incarne magnifiquement, par sa lutte contre la xénophobie, la bêtise, l’injustice, sa marche vers la conquête de la liberté.
J’avais aimé l’ensemble de la distribution, chacun plus vrai que nature dans son rôle, et en particulier par Michel Constantin, le projectionniste qui ouvre à Marie les portes du monde à travers le cinéma.
La musique de Georges Moustaki, la chanson interprétée par Barbara, les dialogues vifs et naturels, l’humour noir, la satire violente de l’ordre social ... m’avaient énormément touchée et continuent de m émouvoir.
Que raconte le film ?
Il s’agit de la vengeance de Marie contre la médiocrité et le mépris des « notables » de Tellier, village triste et gris, où elle et sa mère, venues d’ailleurs, et donc différentes, se sont installées.
Nelly Kaplan écrivait de son film « C’est une histoire de sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs car c’est elle qui les brûle »
L’hypocrisie commence dès l’arrivée de Marie et de sa mère, nomades et sans papiers, qui soit disant reçues généreusement et charitablement par les notables du village, sont exploitées pour exécuter les travaux les plus pénibles, et qui vont jusqu’à exercer une sorte de droit de cuissage, y compris de la part de la riche propriétaire terrienne, Irène.
Le jour où la mère de Marie se fait tuer par un chauffard, son corps est transporté dans leur misérable cabane par les «élites » du village , l’adjoint du maire, le garde champêtre, le pharmacien qui décident de déclarer ce décès comme « Mort naturelle » aucun d’eux ne souhaitant une enquête de la gendarmerie qui risquerait de révéler les conditions de vie des deux femmes . Pour la première fois, Marie se rebelle.
Face au harcèlement des hommes du village et au meurtre de son bouc noir, elle décide de se venger. Dorénavant, sous la menace de révéler à leurs femmes leurs «visites » à sa cabane, elle contraint les villageois à payer ses faveurs, faveurs qu’elle accorde au projectionniste ambulant qui lui ouvre les portes du cinéma et de la ville.
Nelly Kaplan écrira « J’ai senti mon film comme un hommage au cinéma et j’ai voulu que celui – ci joue un rôle capital dans l’histoire. La vision de « La comtesse aux pieds nus » aide Marie à se libérer, et le cinéma lui fait découvrir que l’univers ne se limite pas à ce coin de campagne perdu, qu’il, existe autre chose ailleurs »
Faveurs qu’elle accorde également à l’ouvrier agricole espagnol en même temps qu’elle refuse la demande en mariage d’un notable, Gaston Duvalier.
Marie va amasser une assez grosse somme d’argent qu’elle utilise pour s’offrir objets modernes et frivoles dont elle n’a pas l utilité et qui ne servent qu’à narguer le village.
Grâce à un magnétophone, elle enregistre les confidences, critiques, médisances qu’elle recueille sur l’oreiller. Elle fera entendre ces enregistrements à la messe, quand tout le village est rassemblé. Fous furieux, les villageois se ruent vers la cabane de Marie où ils arrivent trop tard : elle l’a incendiée avant de s’enfuir.
Marie prend la route de la liberté sur fond de campagne printanière, accompagnée de la voix de Barbara.
Que dire du film ?
Le sens du film est complexe et multiple : libertin et libertaire, politique (on voit placardée sur la porte de la cabane une affiche revendiquant la contraception expliquée à tous) ou bien lorsque Marie encourage le valet d’Irène de ne pas se laisser exploiter, poétique : le bric à bac coloré rassemblé par Marie qui ne sert à rien, il n’y a aucun confort dans la cabane et séchoir à cheveux, machine à coudre etc … ne servent à rien, ses collages et dessins composent de magnifiques sculptures d’art brut .
La musique du film
Georges Moustaki a composé la bande originale, la chanson « Moi je me balance » est interprétée par Barbara.
Le film fait allusion à « L’ opéra de 4 sous » de Berthold Brèche et Kurt Weill, La fiancée du pirate et le chant de Barbara sont les titres de deux chansons de « L’ opéra de 4 sous »
La sortie du film en décembre 1969 à été accompagnée d’une série de critiques très positives :
J.L. Bory (N.Obs) écrivait « Marie, c’est Bernadette Lafont. En fille insoumise, en vamp pétroleuse, en Antigone de la bouse de vache, elle est du tonnerre de Belzebuth. Quel œil ! Ça pétille jusque dans les coins, et quel sourire ! Réservoir des sens et championne du mauvais esprit, elle ravage tous les plans. La fiancée du pirate est un des rares film français vraiment satirique, vraiment drôle »
Michel Martin, dans « Les Lettres Françaises » : « Ce film féroce et ravageur ne pourra choquer que les imbéciles, car c’est, au fond, une belle histoire d’amour. »
Michel Duran, dans le Canard Enchaîné : « Ce premier grand film de Nelly Ka plan est saccageur et insolent. Il réjouira le public tout simple par sa truculence, et plaira aux experts, aux raffinés pour ses références et sa contestation. »
Claude Mauriac, dans le Figaro Littéraire : « Nelly Kaplan s’attaque à la xénophobie, à l’hypocrisie, à l’injustice. Ce film où nous rions de bon cœur est plus grave que nous le pensions. Guignol aux champs, soit, mais qui jouerait du Maupassant corrigé par Lautréamont »
Guy Braucart dans la revue « Cinéma » : « Ce n’est pas tous les jours, ni même tous les mois qu’un film exalte ainsi d’aussi provocante et saine façon, des valeurs qui nous sont chères et essentielles comme la révolte, la liberté de vie, le cinéma, ou du moins, un certain cinéma, le bon , celui qui ne mystifie pas et n’aliene pas »
Robert Chazal, dans France Soir : « Un film pour Bunuel mais réalisé par une femme. C’est dire que les coups de bélier (il y en a dans le film) sont remplacés par des coups de griffes. Mais il reste suffisamment de cruauté pour enthousiasmer les uns et indigner les autres, il y a surtout une œuvre pleine de sève qui tranche heureusement sur la production ambiante »
Henri Chapier, dans « Combat » : « L’ intelligence de Nelly Kaplan est d’avoir réussi à la fois un film d’auteur et un film pour grand public, sans jamais frôler la vulgarité et en donnant à la moindre banalité une poésie indicible »
Claude Mercier, dans le « Guide des films » : « Marie, magnifiquement interprétée par Bernadette Lafont, tire .les ficelles de marionnettes qui représentent un ordre social hypocrite, à la belle fille libre et à morale s’opposent les caricatures d’un monde lâche, médiocre et pudibond. Une comédie jubilaire aux confins du surréalisme »
Analyse des films de 1969 : « Il s’agit d’une satire impitoyable de la population de tout un village. Réalisé par un cinéphile et une femme cultivée, le film évoque à la vois Stroheim, les sensualistes, Bunuel et Maupassant .Malgré ses défauts et ses outrances, il a un ton personnel »
Larousse, Dictionnaire des Films : « Porte – drapeau d’une révolte contre l’ordre établi et l’hypocrisie des conventions bourgeoises, Marie incarne un érotisme (audacieux alors) qui est le ferment d’une allègre anarchie. Les notables remarquablement croqués dans des seconds rôles bien choisis sont les bêtes noires de cette fable ironique et salubrement impertinente »
PS : Nelly Kaplan née en 1931 (ou 1936) à Buenos Aires de parents émigrés d’origine russe, quitte l’Argentine à la fin de ses études pour Paris où elle va consacrer toute sa vie au cinéma et à l’écriture. Documentaliste, on lui doit, entre autres films documentaires, le « Regard Picasso » en 1957, réalisatrice, scénariste « La fiancée du pirate » est sa première réalisation, écrivain, « Mémoires d’une liseuse de draps » sort en 1974, essayiste, elle écrira de nombreux essais sur le cinéma.
Elle travaillera pendant de longues années avec Claude Makoski, producteur, auteur et scénariste.